mardi 15 décembre 2015

# 31 - le locataire chimérique de Roland Topor


Ce texte fait écho à la critique du film ciné parue il y a quelques semaines sur mon blog. à lire ici: 


C'est au cours de l'une des conversations imaginaires que j'eus avec lui qu'il me confia ces propos. Lui, dont je tais le nom, est agent immobilier en retraite et historien du patrimoine. La journée était sombre et orageuse, nous étions seuls dans son bureau si peu éclairé. Pour le rencontrer j'avais invoqué le fallacieux prétexte de la recherche d'un petit bien à m'offrir. Et là, sans détour, je venais de le questionner sur l'effet qu'avait eu en 1964 la publication du Locataire Chimérique de Topor.

- Mais pourquoi vouloir ré-ouvrir cette vieille porte?
- On m'a dit que vous étiez historien, c'est bien ça non?
- Il y a quelque chose que je ne sens pas chez vous Suzie Q... En fait j'ai l'impression que vous n'êtes absolument pas intéressée par l'achat d'un appartement?
- C'est vrai, on va jouer cartes sur table, je suis là uniquement pour cette année 64!
- Mais qui êtes vous bordel? Une journaliste? Une enquêtrice? Une fouteuse de merde?
- Pire, une p***** de blogueuse!
- Mais ces quoi ces astérisques, j'y capte que dalle?
- Pense à lutin, pense à mutin et maintenant pense à la même chose avec un P. Tu vois où je veux en venir?
- Non...
- Si...
- T'es une putain de blogueuse...
- C'est pas très poli mais c'est toi qui l'a dit, bonhomme. Alors maintenant tu me dis tout, ok? 1964?

Il se leva, vint à mes côtés et nous servit à chacun un grand verre d'eau. Nous observâmes pendant une bonne minute les éclairs qui déchiraient le ciel et puis il reprit la parole.

- Quand j'ai refermé ce livre, j'ai su que je tenais entre les mains une bombe à retardement. 
- Vous y allez un peu fort non? Vos vieux démons vous reviennent, hein on le connait le sens de l'exagération des agents immobiliers...
- Pas du tout Suzie Q, t'es trop jeune pour avoir connue cette époque mais crois moi à l'époque la construction immobilière était en plein boom. Chaque ville y allait de ses programmes immobiliers collectifs, petits ou grands il y en avait pour tout le monde. 1964 c'est la fin de construction de la cité des 4000... (lire ici: http://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1976_num_79_1_2349) Alors j'ai tout de suite su que ce minuscule roman avait le pouvoir de tout foutre en l'air. 
- Ben ça n'a pas fonctionné à priori... les tours sont toujours là!
- Grâce à nos réseaux! J'ai aussitôt alerté les représentants de notre profession et nous avons activé nos ressources pour faire remonter ça aux plus hautes instances du pays. Notre travail de lobbying à marché et rapidement Jacques Maziol qui était à la construction sous le gouvernement de Georges Pomidou II a entendu nos craintes. 
- Et alors que pouvait-il faire?
- T'as raison le livre était sorti, on allait pas l'interdire, cette époque était finie mais Maziol depuis son minsitère a tout fait pour en atténuer l'effet, désamorcer la bombe si tu veux. On allait tout de même pas foutre en vrac un secteur majeur de l'économie Française. Alors tout a été fait pour que ce livre reste confidentiel, tirage limité, pression sur les critiques littéraires pour ne pas en faire trop de publicité. Le tout avec la bénédiction du Général-qui-tu-sais. 
- Et bien c'était du sérieux...
- Oh que oui, on a même foutu la pression façon barbouze à Goscinny et à Sempé pour qu'ils se dépêchent d'achever leur nouveau tome du petit Nicolas. Et ça a marché, Joachim a des ennuis qui depuis a été rebaptisé Le petit Nicolas a des ennuis est sorti et tu sais comment est le public, lorsqu'il a le choix il se tourne toujours vers ce qui est divertissant et amusant et si possible pas trop intelligent. Même les  ventes de Fantômette et l'île de la sorcière sortie en août de cette même année ont été meilleures!
- Mais que craigniez-vous homme dont je tais le nom?
- Mais tu l'as lu non? Donc tu sais très bien de quoi je parle. Tu as senti ce climat oppressant qui habite ce roman. Et cette oppression a quoi est-elle due? à la vie en appartement! Cet appartement n'est pas hanté, il n'est pas possédé, il est tout ce qu'il y a de plus banal mais petit à petit il détruit son locataire. Si ce livre avait été un succès plus personne n'aurait voulu habiter dans nos constructions immobilières. Les logements seraient restés vide, des millions auraient été investis pour rien, notre profession se serait cassée la gueule et on ne s'en serait jamais relevé! Alors il fallait le faire et on l'a fait. 

***
*

Difficile de vérifier les dires de mon interlocuteur imaginaire mais il avait cependant utilisé un mot, mot qui moi aussi m'avait traversé l'esprit à la lecture du locataire chimérique. Oppressant. Oui ce roman est oppressant. Et c'est peut-être pour cela qu'il est si court. A près de 170 pages il est oppressant et à 200 comment serait-il, étouffant? C'est vrai, ce roman ne donne pas envie de vivre en appartement, car l'oppression ce sentiment qui pèse une tonne, qui rend l'atmosphère insupportable est partout. Elle est chez les voisins du dessus dont les pas résonnent à toute heure, comme ceux du dessous qui font des messes basses, elle est à droite chez ceux qui épient, elle est à gauche chez ceux qui fomentent, elle est everywhere!

En revanche l'erreur de mon interlocuteur imaginaire est d'attribuer le climat oppressant à l'appartement - en faire en quelque sorte un lieu maudit - et non à la psychose du personnage principal, Trelkowsky. Normal on peut pas être à la fois agent immobilier, historien et en plus psychiatre, faut choisir à un moment donné! Car l'appartement est il est vrai tout à fait banal, un poil pourri même avec son chiotte sur le palier. L'appartement n'est donc doté d'aucun pouvoir occulte. Par contre son locataire a lui un vécu oppressant, persécutif et interprétatif. Psychose paranoïaque? Je suis pas autorisé à l'écrire comme me le confirme le référentiel tarabiscoté des diagnostics Nanda / Anadi ou celui un peu moins ridicule de la CII, mais il y a de ça, je vous le dis! Et si je me plante, foi de Suzie Q, je mange mon chapeau!

Ici le délire de Trelkowsky est celui d'être intimement convaincu que ses voisins se sont liés contre lui et cherchent à lui faire suivre la même trajectoire (verticale!) que la précédente locataire de l'appartement à savoir en finir via un saut de l'ange. C'est un délire qui rapidement envahit toutes les sphères, tous les secteurs de son quotidien. Un délire très systématisé où chaque événement s'inscrit avec une parfaite cohérence dans la construction du délire.

A la lecture de ce livre, difficile pour un soignant de ne pas relativiser la pertinence des projets patients mis en place dans les services de soins. Certes c'est une bonne chose d'accompagner le patient dans sa recherche de logement mais attention, ce roman nous le montre avec une acuité troublante, l'appartement peut-être l'objet, le médiateur d'une nouvelle décompensation psychique.

De l'auteur, Roland Topor, je ne savais pas grand chose.  Le genre de type dont on a toujours entendu parler, enfin dont le nom nous est familier, sans trop savoir pourquoi. Faut dire que le gars à le chic pour brouiller les pistes. Un touche à tout qui s'est illustré tout d'abord dans le dessin (illustrateur à Hara Kiri, animation) puis dans le cinéma (acteur, metteur en scène), dans les différents médias (radio avec la cultissime émission des papous dans la tête, un must have heard pour qui ose se brancher sur france culture, à la tv, c'est à lui que l'on doit le tout aussi cultissime téléchat) et bien entendu dans la littérature.

Donc un artiste protéiforme et toujours actif près de 20 ans après sa mort puisqu'en 2012 est sorti un film dont Topor en crédité comme scénariste. Miracle? Non, adaptation posthume d'un scénario! Si les critiques ciné  sont sévères envers ce film, son titre me donne néanmoins très envie de le voir: L'orpheline avec un plus un bras en moins! Génial non comme titre? 

Alors si le registre de la comédie semble transversal dans l'oeuvre de Roland Topor, tout ce qu'il créa n'était pas drôle, loin de là. Ainsi le Locataire chimérique est une oeuvre éminemment dramatique qui au cours de ses 167 pages ne suscite pas la moindre esquisse de sourire chez son lecteur.

J'avais critiqué il y a quelques semaines l'excellente adaptation ciné que fit Polanski de ce roman, film qui m'avait donné envie d'aller plus loin en découvrant le texte de Topor. Ce n'était pas tant l'envie de comparer ces deux œuvres en se posant la sempiternelle question que se pose les adeptes d'Hunger Games ou du Labyrinthe à savoir "which is the best? the movie or the book" mais bien d'entrer un peu plus en profondeur dans ce personnage troublant qu'est Trelkowsky.

Ce qui est génial c'est l'intensité avec laquelle est menée cette histoire. Il se passe tellement de choses dans l'esprit de cet homme là. Chacun des 18 chapitres nous fait avancer un peu plus loin dans sa folie. Trelkowsky est un homme qui pense et qui se parle. Un homme qui pense tout le temps et qui se parle tout le temps. Il interprète tout et s'enfonce dans ses convictions sans jamais les remettre en question. Ainsi p39 alors qu'il est au ciné avec une jeune femme qui ne demande qu'à passer à l'étape supérieure lui se dit :

"Que désirait-elle, la pauvre petite idiote, le séduire? lui? pourquoi précisément lui?" .... "D'un geste sec, il repoussa la tête de la jeune fille et se leva. Il avait compris. C'est son appartement qui l'intéressait."... "on le courtisait pour son appartement".

S'ensuit l'oppression et la peur des autres. p42 :

"il était un odieux personnage. Il réveillait l'immeuble tout entier au bruit insupportable de ses ébats.il n'avait donc aucun respect pour les autres? Il n'était pas capable de vivre en société?" 

Viennent alors les questionnements sur le corps. p59 :

"on m'enlève un bras, fort bien. Je dis moi et mon bras. On m'enlève les deux je dis: moi et mes deux bras. On m'ôte les jambes, je dis : moi et mes membres. On m'ôte mon estomac, mon foie, mes reins, à supposer que cela soit possible, je dis: moi et mes viscères. On me coupe la tête, que dire? Moi et mon corps ou moi et ma tête? De quel droit ma tête qui n'est qu'un membre après tout, s'arrogerait-elle le titre de"moi"?"

ou encore p99 ou Trelkowsky aborde son schéma corporel.

"il se recroquevillait sous les couvertures. Plus que jamais il avait conscience aiguë de lui-même. Ses dimensions lui était familières, il avait employé tant d'heures à observer et redessiner son corps...", "il cherchait à s'éparpiller le moins possible.... les mollets étaient contre les cuisses, les genoux venaient presque toucher le plexus, les coudes serrés au corps."

Chaque page est ainsi truffée de phrases qui nous aident à mieux comprendre ce qui se passe dans l'esprit d'un homme délirant. Si comme moi, il vous arrive de bosser de nuit dans un service de psychiatrie alors vous savez que le nombre de patient s'endormant avec la lumière allumée (type plafonnier aux néons bien agressifs tant qu'à faire) est important. J'avais toujours attribué cela à l'effet des hypnotiques qui faisaient sombrer brutalement la personne dans les bras de Morphée sans lui laisser le temps d’éteindre sa lumière. Topor en  livre une explication différente, p100-101:

"Il se recoucha, mais dès qu'il eut tourné l'interrupteur et que l'obscurité fut revenue, il eut la sensation que la pièce dans laquelle il se trouvait diminuait de taille au point d'épouser parfaitement le volume de son corps. Il étouffait. Lorsqu'il alluma, la pièce, d'u bond, reprit ses dimensions normales. [...] Il éteignit. La chambre, comme un élastique tendu qu'on lâche à une extrémité, se rabattit sur Trelkowsky. Tel un sacrophage, elle l'entourait, lui broyait la poitrine, lui enserrait la tête, lui écrasait la nuque. Il suffoquait déjà. Heureusement, au dernier moment son doigt retrouva l'interrupteur. La libération fut aussi brusque que la première fois. Il décida de s'endormir avec la lumière."

Si ces quelques extraits du livre vous donnent envie d'aller plus loin alors après la lecture du livre je vous invite à en lire l'interprétation psychanalytique que l'on peut trouver ici: file:///home/chronos/u-17ef675304ad8d8595162c33f8a0924c4fdd2275/Downloads/Dialnet-PourUnApprofondissementTextuel-58608.pdf. Une autre analyse, que je n'ai pas encore lue, est disponible ici: http://psy-troyes.com/2013/01/23/le-locataire-de-roman-polanski/

Vous l'aurez compris, j'ai trouvé ce livre excellent. Le genre de roman dont il faut conseiller la lecture dans les IFSI car suffisamment court et intrigant pour capter l'attention des étudiants rarement adeptes de lecture et si riche en description clinique qu'il peut servir de support à l'enseignement de la psychopathologie. Avis aux cadres formateurs, s'il passe par ici.

Merci de m'avoir lu et @ très bientôt,
SuzieQ




dimanche 13 décembre 2015

# Revue du web du 13 décembre 2015



1- de sacré passages à l'acte auto-agressif et de belles radios qui vont avec: http://biomedicales.blogs.sciencesetavenir.fr/archive/2015/12/06/le-schizophrene-a-l-arbalete-23390.html

2- on peut trouver ça désuet voire ridicule mais le mandala ça marche! témoignage-coloriage: http://www.huffingtonpost.fr/2015/11/27/coloriages-adultes-pas-honte_n_8645208.html?utm_hp_ref=france

3- ça n'a pas trop changer le métier! Aujourd'hui certes on filme en full HD ou en 4K mais au fond IDE en psy c'est toujours pareil... Si différence il y a c'est qu'aujourd'hui on joue moins aux cartes ou aux boules avec les patients et on remplit plus de papiers et de questionnaires! une sympathique vidéo d'archivehttp://www.canal-u.tv/video/cerimes/cet_inconnu_l_infirmier_psychiatrique.8720

4- ça n'aura pas traîné! l'assouplissement de la loi Evin a peine voté que le lobby du vin se lâche! http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/12/08/24390-lobby-vin-lance-campagne-dinformation-contestee

5- Mais qui sont ces professionnels de santé qui ont voté pour cet assouplissement catastrophique de la Loi Evin: http://www.francetvinfo.fr/sante/politique-de-sante/ces-professionnels-de-la-sante-qui-ont-vote-pour-l-assouplissement-de-la-loi-evin_1191641.html

6- Psycom partage un texte publié sur le site du GEFERS, texte de Walter Hesbeen. à télécharger, lire et relire! http://www.psycom.org/Actualites/Pour-en-savoir-plus/Article-Le-soignant-les-soins-et-le-soin

7 - Un point intéressant sur la sismohttp://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/11/27/24353-sismotherapie-fait-etincelles-contre-depression-severe?m_i=1xw1wTAD2E9jACJECJxD_LRjlAMlBs7%2B_Wy54EIwyXu7dtTfCCtSECThR_Y7_BCsoSzbbxp0MMGiSRqdDlK27UhRzcu5yFfUqHeJnV1Z&a2=20151130113316&a3=763-3394554-883581#xtor=EPR-300-[actualites]-20151130




vendredi 11 décembre 2015

# 30 - Augustine, un film d'Alice Winocour


Difficile d'échapper à ce film pour une infirmière en santé mentale. Même si aujourd'hui, l'hystérie à disparue des classifications modernes internationales, son VRP, Jean Mart' reste une figure incontournable de la psychiatrie. Et si la grande hystérie telle qu'il la décrivait est aujourd'hui rare, les symptômes hystériques sont quant à eux encore aujourd'hui cités dans nombre de prise en charge.

Ce devait être lors de ma première semaine en service d'admission: alors que je passais la porte du service, une jeune femme était allongée juste devant moi dans le couloir central. Je l'observai un bref instant, imaginant qu'elle venait de faire une chute, mais alors que je m'apprêtais à intervenir, un détail me frappa. Alors que le couloir était loin d'être désert, il y avait à la fois des soignants et des patients, personne n'intervenait. Je m'avançai néanmoins vers elle pour vérifier de quel maux elle souffrait quand un collègue me fit signe et me suggéra de ne pas intervenir. à voix basse il me dit quelque chose comme cela:

- laisse tomber, c'est une hystéro, ne vas pas la voir, ça donnerait du crédit à tout son cinéma.

Ainsi tout le monde était familier de ces crises d'hystérie et personne n'en faisait plus cas. J'écoutai mon collègue et quelques minutes plus tard, la jeune femme était à nouveau debout et ne semblait souffrir d'aucune gêne consécutive à sa chute. Les jours suivants ces épisodes se reproduisirent à plusieurs reprises et j'eux même la chance de voir cette jeune femme s'allonger d'elle-même au sol dans un geste ô combien théâtral. C'était une mauvaise actrice, un histrion au sens étymologique du terme, et c'est surement à cette piètre qualité de jeu que l'on pouvait distinguer qu'il s'agissait de théâtre et non d'une réelle chute.

J'étais donc très impatient de voir ce film dont je n'avais entendu que du bien. Pour qui s'attend à un biopic de la vie de Charcot, c'est loupé. Non ce n'est pas l'ambition de ce film. Le film s'appelle Augustine et non pas Jean-Martin. Le film d'Alice Winocour s'intéresse à un moment important de la vie de Charcot, sa prise en charge de cette patiente dénommée Augustine avec qui il entretiendra des relations dépassant le cadre strict de la relation soignant-soigné pour bifurquer sur quelque chose de l'ordre du désir érotique.

Avec ses leçons à la Salepetrière, Charcot livre une version old-school des castings du cours Florent! à qui le grand prix de la grand hystérie? Ici c'est Soko qui truste le prix grâce à son excellente interprétation d'Augustine. Un rôle loin d'être évident qui oblige à des scène de simulation intense (cf scène de la simulation du viol entre autre). Donner vie à ces leçons de Charcot est l'une des grandes réussite du film. 

une leçon clinique à la Salepetrière par André Brouillet
Ces scènes nous permettent de découvrir les enjeux et buts poursuivis par Charcot et notamment sa quête de reconnaissance par ses pairs. Charcot nous convie via la mise sous hypnose de ses patientes à assister en live à ces crises d'hystérie qu'elles vont reproduire face à un public toujours plus nombreux. Car ce spectacle à quelque chose de stupéfiant et fascinant et devient à Paris l'événement à ne pas manquer! C'est d'ailleurs ce spectacle qui est à l'origine du film comme le confiait la réalisatrice lors d'une interview:

"Le tableau d’André Brouillet Le Docteur Charcot à la Salpêtrière qui représente des hommes habillés en costume trois pièces regardant une femme comme un animal traqué. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de très violent dans cette situation ; des hommes habillés et une femme presque livrée en pâture. Cette atmosphère sulfureuse de la Salpêtrière, ce mélange du côté médical et l’érotisme latent derrière l’alibi médical m’a fascinée. "

Pour qui voudrait s'intéresser à l'hystérie, ce film est une bonne introduction. La première scène du film est particulièrement palpitante grâce au travail de précision et de méticulosité fait par la réalisatrice. La crise d'hystérie est décomposée dans ses moindres signes et l'on ressent l'angoisse à laquelle est confrontée la malade. Si la théorie de l'utérus, perçu comme un petit animal en mouvement, n'est pas évoquée, c'est bel et bien une maladie de femme qui est montrée ici. La clinique que nous montre Winocour comporte: paralysie, trouble de la sensibilité, troubles visuels, évanouissements, modification de l'état de conscience, contractures musculaires, crise épileptiques, agitation, crise tétaniforme et aussi érotisation des rapports. Bonne introduction mais pas plus. Car ici on se cantonne au travail descriptif de neurologue élaboré par Charcot et non pas à l'interprétation psychanalytique qu'en fit Sigmund Freud alors élève de Charcot. Ainsi il faudra pousser ses recherches un peu plus loin si l'on souhaite s'attarder aux notions essentielles de névrose et de conversion psychiques.

Hystériques sous hypnose à la Salpétrière par D.M. Bourneville et P. Régnard (1876-1880)

Si l'hystérie a aujourd'hui officiellement disparue des DSM et autres CIM, au profit de troubles de la personnalité histrionnique ou troubles somatoformes, c'est bien le terme hystérique qui est encore utilisé dans les salles de réunion. Si on ne l'écrit plus, on n'hésite rarement à l'employer à l'oral. Malheureusement ce terme renvoie à quelque chose de négatif, à une simulation de maladie avec pour les équipes soignantes le risque de passer à côté d'un réel problème somatique.

Si l'envie de vous replonger dans l'iconographie du fin 19ème vous intéresse, je vous invite à visiter cette banque d'image qui en offre de magnifiques à l'instar de celle-ci: 


Pour finir la bande annonce du film:






mardi 8 décembre 2015

# 29 - Mon coup de gueule contre l'HAS et ses protocoles.


Il n'en fallait pas plus pour me mettre en colère. D'ordinaire, j'essaye d'avoir une certaine maîtrise de mon humeur... Quand une situation s'annonce tendue, je la gère à grands coups de lâcher prise et de pleine conscience. Le mindfullness est à la mode et j'essaye d'en appliquer quelques principes simples. Mais voilà, là, j'ai rien vu venir, ça m'a pris à la face, il était trop tard pour réagir. Christophe André, Matthieu Ricard et tous les bouddhas du monde entier peuvent me chasser du royaume du bien-être, je n'y ai assurément pas ma place! This is Bullshit, MotherF****r!

Faut dire que quand on se pose peinard devant son ordi pour y lire des recommandations HAS, on ne peut imaginer une telle tournure. Et pourtant. Et pourtant, c'est ce qui s'est passé.

Je n'ai pas de problème avec l'HAS. Au contraire même. Le site has-sante.fr est dans mes favoris sur chrome comme sur firefox, pas de jaloux. Je suis abonné à la newsletter à laquelle je jette un œil distrait de temps en temps. Je suis l'actualité de l'HAS sur Twitter et en reçoit même son fil RSS. Avec une telle couverture, digne d'une surveillance d'Etat, autant vous dire qu'il y a peu d'infos labellisées HAS qui m'échappent.   

Cependant dans les services de soins en psychiatrie, l'HAS a rarement la cote. Et c'est un euphémisme. Ce qu'on en dit: grosso modo, qu'elle n'est qu'une emmerdeuse, bonne à publier toujours plus de protocoles déshumanisant, à délivrer encore plus de recommandations, de guide de soit-disant bonnes pratiques. Tout cela pour mieux marquer au fer rouge les professionnels de terrain qui - dès lors qu'ils déviraient d'un iota par rapport à ces guides - seraient de fait dans une mauvaise pratique. L'HAS est dite technocratique car perçue comme une autorité (le A de son acronyme "fait mal" à tous les soignants insubordonnés que nous sommes!) tellement éloignée des pratiques de terrain, de la complexité humaine des patients, qu'elle ne peut qu'aller toujours et encore plus loin dans le processus déshumanisant dans lequel elle est.

Mais moi, à ça je ne crois pas. Tout d'abord une "recommandation à" n'est pas une "injonction à". Différence sémantique d'importance: on nous dit que ce serait mieux de faire de telle ou telle façon, mais on ne nous oblige pas à le faire. D'autre part et c'est la, la plus importante, j'aime lire les guides, protocoles et reco de l'HAS car cela m'oblige à me questionner sur ma pratique. Cela m'oblige à me questionner sur la différence qu'il existe entre ce que l'on fait en service et ce qui est recommandé. Et le questionnement est la première étape d'une amélioration des pratiques. De ça je suis convaincue. Mes certitudes sont des pièges que je dois déjouer. Et ne dis-t-on après tout pas que le doute est le premier pas vers la sagesse. Alors se remettre en question ce n'est pas une option, c'est une obligation! Ahhahh, à parler ainsi de sagesse, je vais peut-être me réconcilier plus tôt que prévue avec André, Ricard, & Co. Tout ça pour dire, n'hésitez pas à aller jeter un œil ou deux sur cette page: HAS psychiatrie.

Alors quand une publication touche à la psychiatrie, je la note dans un coin de ma tête (sur google keep en réalité :-) ) pour mieux y retourner quand un moment calme s'offre à moi. Car les articles de l'HAS ont ceci en commun: il faut les lire au calme car ce sont des textes sérieux, des textes barbants mais c'est là une chose normale car un protocole n'a pas vocation a faire dans le littéraire ou à susciter des passions. Etre chiant, pour un protocole, c'est une qualité. 

Dans l'une de mes récentes revues de presse j'ai parlé d'un document diffusé en juin dernier par psydoc et l'HAS intitulé "Comment améliorer la prise en charge somatique des patients ayant une pathologie psychiatrique sévère et chronique." Mais je n'avais pas encore pris le temps nécessaire pour le lire. C'est chose faite à présent. Et c'est ce qui m'a mis hors de moi. "Mais quoi donc dans ce document de 32 pages a pu te faire jaillir de tes gonds Suzie Q?" me demandez vous. J'y viens, j'y viens... mais deux précisions tout d'abord:

First, je suis non fumeuse, non fumeuse depuis toujours et normalement pour toujours. Ensuite, les buralistes ont le don de m'énerver en se faisant passer pour les malheureuses victimes des décisions de santé publique. Qu'ils se reconvertissent ou qu'on les condamne pour atteinte à la santé d'autrui, mais qu'on cesse enfin d'en faire leur publicité à chaque hausse du prix du tabac. Si je dis ça c'est juste pour préciser que le tabac c'est pas mon truc et que j'espère bien que dans quelques décennies on rigolera au souvenir mortel de ces rouleaux de papier qui alimentent tant et tant de débats. Mais quand même... de là à écrire ce genre d'insanités, il fallait oser.

A la rubrique "lutter contre la tabagisme", page 23, il est noté, je cite:

"Il est recommandé aux personnels des structures sanitaires, médico-sociales et sociales d’être actifs dans la recherche de diminution du risque tabagique. En particulier ils ne doivent pas, en présence de personnes accueillies dans ces structures ou en présence de personnes dont ils ont la charge, avoir un comportement susceptible d’entretenir le tabagisme de ces personnes, en particulier ils n’ont pas à les alimenter en cigarettes, à faciliter l’achat de cigarettes, à fumer ou présenter des stimuli associés au tabac comme par exemple des paquets de cigarettes visibles sous leurs vêtements."

Je n'y crois pas. Attendez faut que je relise, il ne faut pas quoi?

- alimenter les patients en cigarettes
- faciliter l'achat de cigarettes
- fumer
- porter un paquet de cigarettes visibles sous les vêtements.
- avoir un comportement susceptible d'entretenir le tabagisme.

Tout soignant en psy connaît la valeur des cigarettes. On parlera pas de valeur thérapeutique, non on oserait pas quand même, mais au moins de valeur apaisante. Si nos poches ne débordent pas de paquets de marlboro ou autres, elle fourmillent d'histoires où la clope s'est révélée être un merveilleux médiateur pour entrer en relation à l'autre ou pour désamorcer une situation de crise. Combien de situations mal embarquées se sont dégonflées telle un brassard tensionnel dès lors qu'un ridicule mégot, une clope mal roulée ou encore une belle blonde entra en scène? Combien? Des dizaines, des centaines. Cela se produit tous les jours dans tous les hôpitaux psy de notre beau pays.

Alors oui, nous organisons la livraison du tabac dans le service, oui nous passons commande auprès du buraliste, oui quand un patient ne peut supporter la frustration de ne pas avoir de tabac, frustration qui bien souvent s'ajoute à celle d'être enfermée, nous trouvons un moyen de le dépanner d'une clope. Oui, nous faisons tout cela et nous allons continuer à le faire.

Allez j'aimerais continuer sur ce mode première personne du pluriel mais je ne suis pas la porte-parole de ma profession alors je vais reprendre le "je" qui n'engage que moi. Je refuse de porter la responsabilité du tabagisme de nos patients. Alors ne me demandez pas, ni à mes collègues, de ne pas fumer. Les patients sont eux-mêmes responsables de leur tabagisme. Dire qu'un patient continue de fumer parce qu'il voit un soignant fumer, c'est renforcer le sentiment de culpabilité du personnel soignant dans les échecs de sevrage tabagique et c'est aussi déresponsabiliser les patients. Alors autant aller jusqu'au bout de cette logique ultra-paternaliste en interdisant complètement l'usage du tabac dans les hôpitaux. Au moins, cela reposerait non pas sur le bon vouloir du petit personnel mais sur une loi.

A l'heure ou un article récent du nouvel obs faisait le constat amer que les parcs et cafétérias de nos hôpitaux psychiatriques sont de véritables plaques tournantes de trafics de drogues en tous genres, écrire qu'il serait judicieux que les soignants apprennent à mieux dissimuler sous leur chemise leurs clopes est révoltant et stupide.

Car ce constat du nouvel obs, nombre de soignants le partage. Et en font l'expérience quotidienne. Une expérience teintée d'amertume, puisque peu de choses sont entreprises pour lutter contre ce vaste marché de la drogue qui s'est installé dans nos institutions.

Désobéir face à la bêtise. Oui voilà où j'en suis. Prête à glisser quelques euros, pour m'acheter un paquet de clopes pour la prochaine commande de tabac. Oui, chère HAS, vous me donnez envie de fumer.

Où sont vos recommandations à former le personnel soignant aux méthodes cognitivo-comportementales des addictions? Plutôt que nous inciter à avoir un comportement exemplaire, pourquoi ne pas recommander aux directeurs d'établissements de mettre l'accent sur des méthodes efficaces de prise en charge des addictions?

à bon entendeur...




dimanche 6 décembre 2015

# Revue du web du 6 décembre




1- Où l'on revient sur la défintion d'une CUMP, objet star des médias... http://www.lareponsedupsy.info/CUMP

2- Où la mère d'un jeune homme schizophrène livre son désarroi d'un système soignant qui ne soigne pas. Touchant: https://blogs.mediapart.fr/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/271015/mon-fils-ce-schizophrene/commentaires

3- Où l'on revisite à travers l'histoire la notion d'empowerment, cette notion qui invite l'individu à prendre sa vie en main et que nous soignant retrouvons via l'éducation thérapeutique. Un article dense mais passionnant qui mêle, hacking, logiciel libre, culture du do it yourself, bref aux antipodes de notre lorgnette habituelle. http://www.internetactu.net/2015/11/13/breve-histoire-de-lempowerment-a-la-reconquete-du-sens-politique/

4- Inscrivez-vous, c'est gratuit! Jérome Favrod est un infirmier Suisse dont les travaux sur la prise en charge de la schizophrénie sont passionnants et innovants. D'orientation TCC il est l'auteur de l'excellent ouvrage "se rétablir de la schizophrénie". Il donne une conférence en ligne le 16 décembre à 17h30 heure de Paris pour présenter son programme PEPS! https://attendee.gototraining.com/r/3774164192177091842

5- Où l'on parle du cadre, un très beau texte qui soulève beaucoup de questions. Alors Germaine, ide psy au top ou électron libre soucieuse d'être le bon objet permanent? Il était une fois en psy:
http://iletaitunefoisenpsychiatrie.tumblr.com/post/134341806039/il-%C3%A9tait-une-fois-%C3%A9pisode-23-un-matin-en



vendredi 4 décembre 2015

# y'a pas que la psy - novembre 2015

1- La canaille. Oh mais quel album, juste incroyable. Ce qu'on appelle du rap-conscient je crois. Alors ok on est dans la rubrique "y'a pas que la psy", mais autant vous le dire il y a un morceau qui y fait quand même écho. Il faut ABSOLUMENT regarder cette vidéo, pour y voir la performance habitée de Lazare dans la chanson Omar avec Serge Teyssot-Gay rescapé de Noir Désir. Une merveille, à voir et à écouter.



1- Soko. C'est grâce au film Augustine, récemment chroniqué sur ce blog que j'ai découvert la chanteuse Soko. Alors que je n'avais jamais entendue parler d'elle, j'ai été étonnée de constater qu'elle jouissait d'une popularité importante. Je m'attendais à une enième chanteuse pop à la mode, j'ai découvert une chanteuse à l'univers singulier. Son dernier album "My dreams dictate my reality" avec ses accents cold-wave et sa tonalité qui fait penser au meilleur de Cure m'a très agréablement surpris.




2 - Revival. Chaque année c'est pareil, il y a les livres que je lis tout au long de l'année que j'aime un peu, bof, moyennement, pas trop, beaucoup, vachement etc... Et puis il y a le King, qui porte décidément bien son nom. C'est bien simple j'ai aimé de façon inconditionnelle toutes ses dernières œuvres de 22/11/63 à Joyland en passant par Mr Mercedes et maintenant Revival. Ici on suit le parcours d'un homme depuis son enfance dans les années 60 jusqu'à nos jours. Sa rencontre avec un révérend, pasteur, homme de foire, prédicateur mais surtout illuminé d'électricité. On parle de réhabilitation et de reconstruction post- dépendance à l'héroïne et de techniques de guérisons empruntant autant à la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rtms) qu'aux spectacles de magie dans les fêtes foraine. C'est bon, très bon et le final est juste superbe bien qu’extrêmement angoissant. C'est bien simple les derniers chapitres m'ont donné l'impression de plonger dans le paneau droit du Jardin des délices, le tryptique de Jérome Bosch. 



4- Enfin je l'ai vu... Le Django Unchained! Et maintenant je rêve d'un biopic réalisé par Quentin Tarantino himself sur la vie Jean Baptiste Pussin. C'est vrai y'a pas que ce bon Dr Schultz qui libéra Django de ses chaînes, il y a aussi de ce côté de l'Atlantique Jibé Pussin qui fit la même chose avec les aliénés de Bicêtre et de la Salpétrière... 
ça donnerait quelque chose comme ça, accompagné d'une belle voix grave comme seule Hollywood en connaît:
 "Matt Damon is Jean Baptiste Pussin"
- Excusez moi Dr Pinel... désolé de vous déranger...
- WHAT?
- Alors c'est juste une suggestion, ne vous énervez pas?
- WHAT?
- Alors voilà, ça va vous semblez débile j'en suis sûr et parfois moi-même je me demande où je vais chercher ces idées originales voire foldingue...
- WHAT?
- Oui, oui, oui, j'y viens... Les fers, bon, on connaît le système, solide, fiable, froid, efficace. Alors je me suis dit pourquoi on ne retirait pas ces fers de nos fous?
- WHAT?
- oui je m'en doutais vous trouvez ça stupide? Non mais faut voir les choses dans leur globalité? On restera à proximité pour qu'ils ne s'échappent pas et on ne va pas les retirer aux plus énervés d'entre eux. 
- SO WHAT?
- Ben si vous voulez ça va nous permettre de passer l'antirouille sur nos fers parce que question entretien on est pas au top... Et puis, ils ont les mollets et les pieds dégueulasses on peut pas laisser ça comme ça... ça fait mauvais genre, non faut qu'on les soigne un minimum non?  
- I DO NOT FUCKING KNOW?
- Ecoutez visiblement l'argument de la contagion des qualités du fer par contact avec la peau du malade n'a pas fonctionné. Ils n'ont choppé aucune des qualités sus-cités. Regardez ils sont toujours aussi faibles et chauds bouillants. J'parle même pas de leur fiabilité et de leur efficacité car là ça laisse carrément à désirer. Alors tentons le retrait des chaînes pendant quelques heures et observons ce qui se passe.
- OK DO IT NURSE PUSSIN.
- Merci Doc, par contre pourriez vous arrêtez de parler Anglais, z'êtes aussi Français que moi. 
En salle Soon, le nouveau Tarantino:
INSANE UNCHAINED


mardi 1 décembre 2015

# sélection vidéo novembre 2015



Une vidéo tirée du site du New York Times qui montre la pris en charge des malades mentaux en Afrique de l'Ouest. où le manque de moyens conduit à l'utilisation des chaînes.


Encore du très très bon avec cette vidéo qui décortique avec humour et sérieux la schizophrénie. J'adore!



Ce mois-ci je me suis intéressé à Florent Babillote, un homme qui soigné contre son gré à Rennes il y a quelques années, et qui est aujourd'hui aide-soignant dans le même service qui l'a soigné. Fou non? Il y a beaucoup de vidéos qui lui sont consacrée. J'ai choisi celle du magazine de la santé.



Un court tiré du site suisse Journées de la schizophrénie:


Un beau sujet sur un jeune schizophrène: 



Une petite vidéo tout à fait intéressante où l'on rend dépressives des souris pour le plaisir... eu non... pour le progrès! 



dimanche 29 novembre 2015

# Revue du web du 29 novembre 2015





2- où le numérique s'invite via T-shirt et soutien-gorge pour venir en aide aux personnes bipolaires. Très prometteur, l'univers 2.0 voire 3.0 avec ses fringues connectées à un smartphone va bouleverser nos vies. à lire ici, le projet PSYCHE :http://somapsy.org/le-projet-psyche-de-monitoring-multiparametrique/



5- où je vous invite à télécharger et à lire cette BD intitulée l'éclipse d'un ange qui parle de l'expérience d'un jeune patient schizophrène. http://www.artambules.com/ Bravo, beau travail réalisé par un HDJ!

6 - où l'on fait le point sur la commission départementale des soins psy, la CDSP. Instructif: http://www.sante.gouv.fr/a-quoi-sert-la-commission-departementale-de-soins-psychiatriques-cdsp.html

7- où l'on reparle des contentions mais cette fois-ci avec des propositions plus ou moins discutables: http://www.santementale.fr/actualites/contention-et-isolement-des-soignants-formulent-des-propositions.html






vendredi 27 novembre 2015

# 28 - la suite royale - épisode 4/4: l'alternative et le débrief

@Irina Souiki


Nous y voilà! C'est l'heure du dernier épisode de cette chronique consacrée à une intervention en chambre d'isolement. T'as loupé le précédent épisode, tu peux le lire ici: http://suzieqisinthehouseofmadness.blogspot.com/2015/11/26-la-suite-royale-episode-34.html

***
*

Quand David est revenu avec le petit verre en pyrex Franck et moi étions avec la patiente dans la chambre d'isolement. D'un commun accord nous avions décidé de reporter à demain la prise des paramètres vitaux. Il s'approche de la jeune femme, j'aimerais qu'il me donne le verre mais non il y va.

- Tenez madame, c'est le traitement prescrit par le médecin.

Son regard se pose alternativement sur David puis sur le verre à la couleur trouble. Elle affiche un air suspicieux qui nous fait comprendre qu'elle n'est pas décidée à avaler ça sans manifester un minimum d'opposition. Après une longue hésitation, elle finit par se saisir du verre, elle l'approche de ses lèvres puis se rétracte et le pose au sol.

- Non, non, non, vous reprenez ce verre s'il vous plaît. Et vous le buvez. On va pas y passer la nuit.

La scène se rejoue avec un ai de déjà vu. Elle reprend le verre, lentement le porte jusqu'à ses lèvres, puis alors qu'on est tous suspendu à son action, elle le repose, sans en renverser une goutte.

David trépigne d'en finir. Alors il lance l'argument que nous maîtrisons à la perfection:

- Ecoutez, prenez ce traitement par la bouche ce sera beaucoup plus simple pour tout le monde. Car ce traitement vous l'aurez d'une façon ou d'une autre. Soit vous le prenez par la bouche, soit on vous l'injecte dans la fesse. Pour nous peu importe.

David est sur un mode "j'te parle à l'impératif", il n'y a pas de négociation possible. L'alternative per os ou en injection n'en est pas une, c'est une injonction à prendre le traitement, il le lui  fait bien comprendre. Le traitement, tu administreras. On dirait l'un de ces putain de dix commandements. En soit il n'a pas tort. D'une sédation, elle a grand besoin, ça on est tous du même avis. C'est la méthode qui me dérange un peu. Car par moments Mle K. laisse entrevoir quelques idées de persécution, lui administrer de force le traitement, c'est renforcer son idée de traquenard. Et à l'injection de force, on y va droit... Car rien à faire elle refuse de reprendre le verre. La tension est remontée d'un cran. On peut presque sentir sa colère contenue, prête à nous exploser au visage, s'il nous faut la forcer à s'allonger de force sur le lit. David cherche notre regard, il attend qu'on lui confirme l'injection pour qu'il puisse s'absenter jusqu'à la pharmacie la préparer. Mais ni moi ni Franck ne le regardons, notre silence ne signifie qu'une chose "attendons encore un peu". Et ce temps s'étire irrémédiablement, les secondes sont des minutes, les minutes des heures. Alors Franck de sa voix la plus calme interpelle la jeune femme.

- J'aime pas quand il y a cette tension dans l'air. Ce que j'en ai horreur, j'ai l'impression de suffoquer. ça vous dirait de fumer une clope en attendant que mon collègue revienne avec l'injection.

Immédiatement David s'éclipse. La jeune femme ne répond rien à la proposition de Franck ce qui ne l'empêche nullement de poursuivre.

- ça ne vous dérange pas si je m'assoie à côté de vous, histoire de pouvoir discuter tranquillement.

Il sort son paquet de Lucky, porte une cigarette à sa bouche et lui tend le paquet. Alors qu'elle s'apprête à y prendre une cigarette à son tour, il retire le paquet et lui dit:

- Buvez votre verre d'abord. On se fume la clope après, ça fera passer le goût amer.

Sans rien dire, elle prend le verre, le boit et enchaîne sur la cigarette comme convenu.

- Vous me filerez une clope quand vous serez sortie d'ici ok?

Quand quelques minutes plus tard nous sortons de la chambre, David vient trouver Franck qui comme toujours a la victoire modeste.

J'suis désolé, j'ai merdé.

- Mais non t'inquiète pas, t'as eu une journée difficile, t'avais envie que la chambre se fasse vite, sauf qu'avec une patiente comme elle, il faut prendre le temps. C'est elle qui est accélérée, pas nous.

- C'est pas faux. Mais j'ai merdé. J'ai placé l’entretien dans une espèce de rapport de force foireux.

- Et bien super si tu t'en rends déjà compte. Tu remarqueras qu'on a veillé à ne pas te contredire, histoire de ne pas te mettre plus en difficulté. Ton alternative n'était pas mauvaise mais à mon sens tu l'as amené trop tôt. Et pour preuve elle a finit par le prendre son traitement.

- Trop tôt? comment ça?

- Tu sais quand on intervient physiquement sur un patient, on se met en danger. Les coups peuvent tomber et tu le sais très bien même un petit gabarit comme elle peut avoir des ressources surprenantes et décuplées si elle se croit menacée. Alors l'injection de force c'est pour moi la dernière option. Il faut avoir usé toutes nos cartouches avant d'en arriver là. On est pas là pour se faire taper dessus. A la limite si toi t'as envie de te mettre en danger, c'est ta vie, mais dans le cas présent tu ne peux pas impliquer toute l'équipe sans qu'on en ait parlé au préalable. Ok?

- Ben oui je suis d'accord, j'ai fais une connerie.

- Non mais ne prend pas cet air dépité! Reste pas sur cette connerie comme tu dis mais vois plutôt l'expérience que tu en tires. Dis toi que c'est au travers de ces moments que tu améliores ta pratique. C'est bon t'as fait ton mea-culpa, n'en garde que le positif maintenant!

- Tu ne m'en veux pas trop alors ?

- Mais arrêtes, j'ai eu un coup de bol, tu sais c'était 50/50, j'ai tenté le coup de la clope, j'y croyais pas vraiment, si ça n'avait pas fonctionné, on allait à l’intervention physique et j'aurais été aussi ferme et cadrant que toi. Et puis qu'est-ce que tu veux? Personne ne nous forme à l'intervention en chambre. A peine embauché ici, on nous envoie en chambre d'isolement. La plupart des IDE n'en ont jamais vu avant de débarquer ici. Aucune info, aucune instructions sur ce que je dois y faire, ce que je dois y dire. Tout ne se fait que par l'observation des pairs, c'est lamentable et pourtant c'est le meilleur des cas. Dans le pire, c'est de l'impro totale. Alors ta soit disant connerie c'est avant tout celle de la hiérarchie.

- Bon, ben merci!

- Ouais une dernière chose.

- Quoi?

- Fais bien la distinction, soit tu interviens pour ton patient, soit tu es renfort. Et si tu es renfort, c'est mieux de fermer ta bouche. T'es là pour aider, prendre les constantes si on te le demande, intervenir si ça chauffe, mais c'est pas à toi qu'il incombe de mener l'entretien.

- D'accord, bon ça va faire beaucoup de leçon à apprendre.

- Et c'est que le début Dave. Mais il y a quelque chose de fort en toi, c'est ta capacité à te remettre en question. Des collègues qui pensent qu'être cadrant est la seule et unique façon de faire, j'en croise tous les jours. Certains l'étaient déjà quand ils ont débuté et leur façon de faire n'a dévier d'un iota. Et ils s'étonnent d'être toujours au cœur des situations pourries. Mais tout le monde le sait même si personne ne le dit, ils ont leur part de responsabilité dans ces situations qui partent en vrille.

- Je vais réfléchir à tour ça.

- Alors, une seule ligne de conduite: ne reste pas comme tu es, évolue mec

- Message reçu Franck.




mardi 24 novembre 2015

# 27 - la suite royale - épisode 3/4: l'entretien médical

@Luca Rossato


Me dit pas que t'as loupé l'épisode 2. T'as de la chance il est sur le replay! 
Allez file le lire: PREMIER CONTACT

***
*



Trente cinq minutes que l'on poireaute. Dans la chambre d'isolement, la tension est retombée et chacun prend son mal en patience. Franck s'est posté à l'entrée de la chambre, mains dans les poches, posture détendue, il a le regard dans le vide. Il ne dit rien mais montre qu'il est disponible. Je suis en retrait, dans le couloir, avec le cadre de garde. Nous faisons le point sur les papiers en notre possession. Carte d'identité, certificats divers et variés, c'est toujours un vrai bazar réglementaire quand un patient est admis sur décision du Préfet. Entre nous et Franck, nos deux collègues en renfort se sont assis à même le sol. L'un d'entre eux, David, celui qui est du style rentre-dedans lis un vieux Closer qui traînait dans le placard. Enfin quand j'écris "lis un vieux Closer" comprenez "feuillette un torche-cul de seconde main"... Mais bon ça ne s'écrit pas, Suzie Q elle fait dans le propret! Et Mle K. dans tout ça? Et bien elle, elle mange difficilement. Elle débute un plat, repose sa fourchette en plastique et interpelle Franck avec des propos plus ou moins incompréhensibles. Lui, stoïque, se contente d'opiner du chef, lui signifier qu'il l'écoute. Mais à quoi bon répondre? Face à une pensée aussi désorganisée, ce n'est pas quelques mots qui suffiront pour remettre de l'ordre. Alors oui il opine, hoche la tête et envoie quelques relances à base de "hummhumm", "d'accord" ou encore "je vois". Rien de plus mais c'est suffisant. Elle se pose petit à petit, reprend une fourchette dans sa barquette de ratatouille et comme nous, elle attend. La seule demande claire qu'elle formule est celle d'avoir une cigarette, mais il n'y a aucun paquet dans ses affaires alors nous n'avons pas d'autres choix que celui de différer sa demande.

Elle attend que le médecin vienne la voir. On aurait envie de lui en vouloir mais on n'y arrive pas. On le sait, il est coincé sur une situation chaude c'est le cadre qui nous en a informé. Mais bordel, nous on est là, 4 soignants, extraits de leur service. Alors on nous dira que c'est dimanche, qu'il n'y a qu'un médecin pour tous les services mais nous on s'en fout de ces excuses. Car c'est pas nous qui sommes dans la galère avec nos Closer pour tuer le temps. Non la vraie galère, c'est celle de nos collègues que nous avons laissés, nos collègues en service, en effectif minimum et qui doivent prendre en soin 25 patients. Un seul médecin et tellement de situation explosives.

Et puis finalement il arrive. Tout le monde se salue, se serre la main et sans plus attendre le psychiatre file dans la chambre d'isolement. C'est Franck qui fait les présentations. Mais la jeune femme semble avoir un contentieux avec le monde médical et elle lui fait rapidement savoir. Aussitôt elle se lève et se précipite au fond de la pièce. Elle se recroqueville à nouveau et débute une logorrhée à peine audible faite de coqs à l'âne et de calembours. Elle semble sur ses gardes, dans un état d'hypervigilance.

- Bonjour, Mme K., je suis Dr X, médecin psychiatre, psychiatre de garde sur l'établissement. Je viens vous voir dans le cadre de votre admission. Comment vous sentez-vous?

- Cent T? un T, deux T, trois T, quatre T, cinq T, six T, cent T. Non K. elle est pas sans T elle est avec T. Elle est: 
Terrorisarmor, elle est
Terrifacochère, elle est
Tétanisphère, elle est
Tremblotaroulotte, elle est
Tachicardinale.

L'échange se poursuite sur ce même mode. Aux questions précises du psychiatre qui tente de reconstituer l'itinéraire de Mle K, celle-ci répond en usant au mieux sa propre palette des troubles du contenu de l'expression verbale. Entretien difficile, entretien laborieux qui, s'il n'apporte que peu de réponses quant au passé de la patiente, a le mérite de mettre en évidence l'étendue de ses symptômes et le besoin urgent de soin.

- Bon Mme K. les infirmiers vont vous donner un médicament. Vous aller le prendre, ça va vous aider à vous détendre et à dormir. Vous serez revue dès demain par le psychiatre du service qui vous aura en soins. Je vous souhaite un bon rétablissement.

Le psy revient vers nous, Franck lui reprend sa place dans l'encadrement de la porte.

- Bon vous lui mettez 100 gouttes de loxapac. Je vous le prescris en injectable si elle refuse. Bon courage, je vous laisse, on m'attend en gérontopsy. Mais je passe d'abord dans votre bureau, saisir ma pres' et mon observ'. Et puis si besoin, vous n'hésitez pas à me biper! Salut!

***
*

La suite et dernier épisode de cette chronique sera publiée le 27 novembre. Elle sera consacrée à l’administration du traitement. Stay Tuned!