vendredi 18 septembre 2015

#13 - impro + castor = thérapie... épisode 2!


@Bon Adrien
https://www.flickr.com/photos/derfokel/


Avant de lire cette chronique, mieux vaut avoir lu la précédente, ça se passe par ici:


S'ils ne se sont pas croisés 20 fois dans la journée ces deux là, on en est surement pas loin... Jean-Michel, du coin de l’œil, lui jette parfois quelques regards mais sans jamais oser lui adresser la parole. Comme s'il attendait que ce soit Franck qui prenne les devants. Mais Franck à une stratégie, il n'en changera pas

Et puis, c'est peu avant le dîner que Jean-Michel vient à la rencontre de Franck. Dans le couloir du service, il l'interpelle. Il dit se sentir faible et demande à ce qu'on lui prenne sa tension. Franck ne croit pas vraiment à cette histoire de tension mais il prend néanmoins la demande du patient au sérieux en le fait entrer dans la salle de soins.

Avant d'aller plus loin, il faut que je vous parle de Franck. Franck pourrait être une caricature de l'infirmier en psychiatrie. Cette caricature que l'on voit dans les films dès lors que l'on filme une agitation dans un service psy. Grand, costaud et avec un regard si noir et pénétrant qu'il lui suffit de lever les yeux pour mettre un terme à toute velléité de jouer avec le cadre institutionnel. Son regard à même eu raison de plus d'une crise clastique. Mais dès lors qu'il parle, c'est un autre infirmier que l'on découvre. Chacune de ses paroles, chacune de ses syllabes est chargée d'un telle empathie qu'il ne peut tromper son monde: cet homme est un soignant, il n'a rien d'un vigile ou d'un gardien de fous! Alors, si certain le surnomme la masse au vu de son quintal et demi moi je n'y vois qu'un modèle... Ce niveau d'empathie qui ne contient jamais la moindre once de condescendance pourrait laisser penser que Franck à 20 ans de métier. Or il n'en est rien, je crois savoir que cela fait à peine 5 ans qu'il est DE. Et pourtant, de toute l'équipe, c'est lui ne cesse de m'impressionner par sa capacité à, à la fois apaiser les situations de crise et à recueillir les confidences de nos patients grâce à sa bienveillance naturelle.

Je suis dans la salle de soins quand il y entre avec Jean-Michel. Je suis occupée à rincer les plateaux et le petit matériel qui trempent depuis le matin dans le bac de désinfection. J'hésite à sortir mais d'un simple regard Franck me fait savoir que je peux rester. Jean-Michel s'installe sur la table de consultation et Franck lui passe le brassard autour du bras droit. Et tandis que le dynamap fait son boulot, Jean-Michel demande alors à Franck "et donc vous pensez que je peux m'en sortir de ce merdier dans lequel je suis?" 

- ce que je pense on s'en fiche peu non? lui répond Franck. Par contre, vous, ce que vous pensez, c'est important. Vous avez les cartes en main, vous pouvez changer les choses, nous on est là que vous accompagner dans ce changement.

- d'accord, mais je sais pas par où commencer...

- c'est normal que tout soit confus dans votre tête, ça vous fait combien d'hospitalisations pour sevrage?

- pfff.... je compte plus! des dizaines...

- l'histoire se répète on dirait.

- c'est à dire?

- Vous arrivez toujours sur le même mode, fortement alcoolisé mais avec un discours déterminé pour vous en sortir. Et puis après quelques jours à vous requinquer, vous demandez votre sortie et à peine dehors vous reconsommez jusqu'à la prochaine hospit.

- ben oui, putain d'alcool, c'est plus fort que moi... et puis je suis bien nulle part!

- j'en conviens, mais voilà soit vous faites le choix de poursuivre ainsi et vous multiplierez probablement les épisodes de sevrage soit vous entamez à présent un travail pour changer.

- Mais je les prends moi les comprimés valium, seresta, xanax, je fais tout ce qu'on me dit de faire et ça marche jamais!!

- Ce que venez de dire est très intéressant Jean-Michel.

- Comment ça?

- et bien vous venez de dire "je fais tout ce qu'on me dit de faire"

- oui c'est vrai, et alors?

- et bien c'est une partie de votre problème.

- ...?

- Vous faites ce qu'on vous dit de faire, sans jamais vraiment vous impliquez dans votre thérapie. Mais merde Jean-Michel ça ne vous dirait pas de jouer le premier rôle de votre vie plutôt que d'en être un simple figurant ou spectateur! Ces comprimés que vous prenez depuis des années, êtes vous en mesure de m'expliquer pourquoi vous les prenez?

- J'en sais rien, moi j'fais confiance...

- Et c'est super, c'est la base du soin! Mais nous on a besoin que vous soyez un acteur de votre prise en charge. On ne vous aidera pas sans une participation active de votre part!

- et je fais quoi?

- vous voyez ce que vous venez de faire tout à l'heure en me sollicitant et bien c'est la bonne façon d'agir. ça peut vous sembler bête mais il y a une différence majeure entre le fait que ce soit moi ou l'un de mes collègues qui vienne vous voir ou que ce soit vous qui veniez nous demander un entretien. C'est ça être acteur.

- Je suis pas venu pour un entretien je suis venu pour ma tension...

- Oui et l'on sait vous et moi que vous n'avez aucun problème de tension... Et puis c'est vous qui avez ensuite repris notre conversation où elle s'était arrêtée hier soir.

- Et donc, si je suis acteur de ma vie comme vous dites, ça va allez mieux.

- C'est pas aussi simple mais déjà, en nous sollicitant, en posant des questions, vous n'aurez plus l'impression de subir les soins, vous allez y participer ce qui veut dire vous serez partiellement responsable de chaque victoire comme de chaque échec. 

- je suis pas sûr d'en être capable...

- Essayez, de toute façon vous n'avez rien à y perdre.

- Mais je fais déjà des efforts vous croyez que c'est facile quand on est dans le merde de se pointer aux urgences et de demander à se faire hospitaliser. C'est la honte.

- C'est vrai, j'imagine que ce sont des sentiments difficile à affronter...

- et comment, ils me connaissent tous là-bas. T'arrive, ils te rient au nez, t'adressent à peine la parole si ce n'est pour te dire "Alors encore bourré, Jean-Mich".

- Je n'ose pas imaginer à quel point ce doit être douloureux... Il n'empêche que dans ces moments là vous trouvez la force d'être un acteur de votre vie, de vous levez et de dire stop, de venir aux urgences alors que vous savez d'avance que cela va être difficile.

- Pas le choix quand on est au bout du rouleau...

- Peut-être mais cette force que vous avez dans ces moments là, il faut la conserver. Parce qu'ici, c'est l'inverse, quand vous arrivez, vous vous abandonnez complètement aux mains de l'équipe. On pourrait vous faire avalez n'importe quoi... La lutte contre l'alcool est comme l'ascension d'un immense escalier dont la première marche serait très haute. Alors vous vous trouvez la force de gravir cette première marche et ensuite au lieu de poursuivre votre ascension vous vous effondrez et attendez que l'on vous porte sur nos épaules... Mais ça ne marche pas comme cela, l'escalier de l'abstinence c'est à vous le gravir.

- un putain d'escalier hein?

- ouais un escalier Jean-Michel.

- Je crois comprendre ce que vous voulez me dire.

- Alors c'est super,

- Bon on va peut-être en rester là pour aujourd'hui, ça va être l'heure de passer à table.

- ça marche. et si vous voulez qu'on aille plus loin...

- j'viendrais vous voir!

Jean-Michel s'en alla et sans rien dire Franck rangea le dynamap en prenant bien soin d'enrouler les câbles. Avant qu'il l'éteigne je jetai un œil sur l'écran digital. Celui-ci indiquait 127/93 et une fréquence à 79 mais de ces chiffres, on se fichait éperdument...




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