lundi 14 mai 2018

texte pour l'infirmière magazine mai 2018

p.18 de l'infirmière magazine n°393 mai 2018.

C'est une contrainte que j'apprécie. De celle qui m'oblige à faire un effort de concision. Moi qui ai tendance à privilégier les textes longs, à favoriser les digressions et les dialogues qui s'étirent à l'infini j'aime quand l'on me demande un travail d'écriture qui m'impose de sortir de ma zone de confort. Si un blog est un peu no limit ce n'est pas le cas d'un magazine. J'ai l'honneur d'être au sommaire du dernier numéro de l'infirmière magazine. Un texte court que vous trouverez à la rubrique "l'invité". 

J'espère que vous apprécierez ce texte court dédié à aux collègues et à notre rôle. Je l'ai intitulé "les 30 secondes qui précèdent". Bonne lecture!

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A la fin des trans, il y a ceux qui vannent, blaguent et manient l’humour noir comme d’autres le système de contention 5 points.

A la fin des trans, il y a ceux qui revendiquent, s’alarment puis désespèrent et se lamentent. D’une situation catastrophique ils imaginent un monde hospitalier post-apocalyptique. Quand la dystopie tutoie la réalité, il faut prendre le pouvoir pour ne pas sombrer.  

A la fin des trans, il y a ceux qui jacassent. On ragote sur les médecins, les cadres, la direction mais aussi sur les collègues. La moulinette à gossip n’épargne personne. Union ou désunion, malheur ou bonheur tout y passe, tout se transforme. La vérité n’est qu’une option, le parfum de scandale est tellement plus savoureux.
   
A la fin des trans, les éclats de rires se mêlent à la colère, les Oh! aux Ah!, les Noooon!! aux Yes!!

La fin des trans c’est ce qui nous soude, ce qui fait que malgré l’eau qui monte nous restons à bord. C’est peut-être absurde mais c’est ma - notre? - réalité. De simple collègues, nous devenons confrères et consoeurs.   

Et puis le carillon de la porte d’entrée interrompt ce moment de bonheur. Une admission. Chouette. Un lit vide ne le reste jamais longtemps. Le sol n’a pas séché qu’un nouvel occupant est annoncé.

C’est ce moment que je préfère. Ces quelques secondes qu’il me faut pour traverser le couloir qui sépare le bureau infirmiers de l’entrée de l’unité.

Ce moment c’est le temps qu’il me faut pour me rassembler. Quel est mon rôle? L’accueil d’un patient n’est pas une formalité, c’est un moment déterminant du soin. Y mettre ce qu’on peut de bienveillance c’est dire sans les mots à celui qui attend avec angoisse de l’autre côté “t’as frappé à la bonne porte mec, on va prendre soin de toi.” Accueillir avec empathie c’est casser les représentations violentes sur la psychiatrie, celles qui nourrissent l’imaginaire collectif façon Jack Nicholson et Nurse Ratched.

On dit que lors d’une rencontre les 30 premières secondes sont déterminantes. C’est vrai mais je crois aussi que les 30 qui précèdent sont essentielles. Elles sont la quintessence de notre job. Ce moment où je suis seule avec moi-même. Quel est le sens de ce que je vais faire? Quelle est ma mission? Suis-je capable de mettre de côté toute la rancoeur accumulée face à cet hôpital qui nous rend malade? Oui? Alors file et sois présent à l’autre. Si ta réponse est non alors il encore temps de faire demi-tour et pour aujourd’hui passer la main à ton “plus que collègue”.



KissKiss
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