vendredi 11 décembre 2015

# 30 - Augustine, un film d'Alice Winocour


Difficile d'échapper à ce film pour une infirmière en santé mentale. Même si aujourd'hui, l'hystérie à disparue des classifications modernes internationales, son VRP, Jean Mart' reste une figure incontournable de la psychiatrie. Et si la grande hystérie telle qu'il la décrivait est aujourd'hui rare, les symptômes hystériques sont quant à eux encore aujourd'hui cités dans nombre de prise en charge.

Ce devait être lors de ma première semaine en service d'admission: alors que je passais la porte du service, une jeune femme était allongée juste devant moi dans le couloir central. Je l'observai un bref instant, imaginant qu'elle venait de faire une chute, mais alors que je m'apprêtais à intervenir, un détail me frappa. Alors que le couloir était loin d'être désert, il y avait à la fois des soignants et des patients, personne n'intervenait. Je m'avançai néanmoins vers elle pour vérifier de quel maux elle souffrait quand un collègue me fit signe et me suggéra de ne pas intervenir. à voix basse il me dit quelque chose comme cela:

- laisse tomber, c'est une hystéro, ne vas pas la voir, ça donnerait du crédit à tout son cinéma.

Ainsi tout le monde était familier de ces crises d'hystérie et personne n'en faisait plus cas. J'écoutai mon collègue et quelques minutes plus tard, la jeune femme était à nouveau debout et ne semblait souffrir d'aucune gêne consécutive à sa chute. Les jours suivants ces épisodes se reproduisirent à plusieurs reprises et j'eux même la chance de voir cette jeune femme s'allonger d'elle-même au sol dans un geste ô combien théâtral. C'était une mauvaise actrice, un histrion au sens étymologique du terme, et c'est surement à cette piètre qualité de jeu que l'on pouvait distinguer qu'il s'agissait de théâtre et non d'une réelle chute.

J'étais donc très impatient de voir ce film dont je n'avais entendu que du bien. Pour qui s'attend à un biopic de la vie de Charcot, c'est loupé. Non ce n'est pas l'ambition de ce film. Le film s'appelle Augustine et non pas Jean-Martin. Le film d'Alice Winocour s'intéresse à un moment important de la vie de Charcot, sa prise en charge de cette patiente dénommée Augustine avec qui il entretiendra des relations dépassant le cadre strict de la relation soignant-soigné pour bifurquer sur quelque chose de l'ordre du désir érotique.

Avec ses leçons à la Salepetrière, Charcot livre une version old-school des castings du cours Florent! à qui le grand prix de la grand hystérie? Ici c'est Soko qui truste le prix grâce à son excellente interprétation d'Augustine. Un rôle loin d'être évident qui oblige à des scène de simulation intense (cf scène de la simulation du viol entre autre). Donner vie à ces leçons de Charcot est l'une des grandes réussite du film. 

une leçon clinique à la Salepetrière par André Brouillet
Ces scènes nous permettent de découvrir les enjeux et buts poursuivis par Charcot et notamment sa quête de reconnaissance par ses pairs. Charcot nous convie via la mise sous hypnose de ses patientes à assister en live à ces crises d'hystérie qu'elles vont reproduire face à un public toujours plus nombreux. Car ce spectacle à quelque chose de stupéfiant et fascinant et devient à Paris l'événement à ne pas manquer! C'est d'ailleurs ce spectacle qui est à l'origine du film comme le confiait la réalisatrice lors d'une interview:

"Le tableau d’André Brouillet Le Docteur Charcot à la Salpêtrière qui représente des hommes habillés en costume trois pièces regardant une femme comme un animal traqué. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de très violent dans cette situation ; des hommes habillés et une femme presque livrée en pâture. Cette atmosphère sulfureuse de la Salpêtrière, ce mélange du côté médical et l’érotisme latent derrière l’alibi médical m’a fascinée. "

Pour qui voudrait s'intéresser à l'hystérie, ce film est une bonne introduction. La première scène du film est particulièrement palpitante grâce au travail de précision et de méticulosité fait par la réalisatrice. La crise d'hystérie est décomposée dans ses moindres signes et l'on ressent l'angoisse à laquelle est confrontée la malade. Si la théorie de l'utérus, perçu comme un petit animal en mouvement, n'est pas évoquée, c'est bel et bien une maladie de femme qui est montrée ici. La clinique que nous montre Winocour comporte: paralysie, trouble de la sensibilité, troubles visuels, évanouissements, modification de l'état de conscience, contractures musculaires, crise épileptiques, agitation, crise tétaniforme et aussi érotisation des rapports. Bonne introduction mais pas plus. Car ici on se cantonne au travail descriptif de neurologue élaboré par Charcot et non pas à l'interprétation psychanalytique qu'en fit Sigmund Freud alors élève de Charcot. Ainsi il faudra pousser ses recherches un peu plus loin si l'on souhaite s'attarder aux notions essentielles de névrose et de conversion psychiques.

Hystériques sous hypnose à la Salpétrière par D.M. Bourneville et P. Régnard (1876-1880)

Si l'hystérie a aujourd'hui officiellement disparue des DSM et autres CIM, au profit de troubles de la personnalité histrionnique ou troubles somatoformes, c'est bien le terme hystérique qui est encore utilisé dans les salles de réunion. Si on ne l'écrit plus, on n'hésite rarement à l'employer à l'oral. Malheureusement ce terme renvoie à quelque chose de négatif, à une simulation de maladie avec pour les équipes soignantes le risque de passer à côté d'un réel problème somatique.

Si l'envie de vous replonger dans l'iconographie du fin 19ème vous intéresse, je vous invite à visiter cette banque d'image qui en offre de magnifiques à l'instar de celle-ci: 


Pour finir la bande annonce du film:






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