lundi 11 septembre 2017

Parlons addiction sexuelle, parlons du démon d'Hubert Selby Jr.



bah ouais j'me la pête avec ma petite collection Hubert Selby Jr.




Quand mon libraire m'a conseillé "le démon" je me suis sentie conne. Faut dire que j'ai toujours revendiqué Hubert Selby Jr comme l'un de mes auteurs américains préférés juste aux côtés de Bukowski, Tom Wolfe, Henry Miller ou encore Philip Roth. Alors ne pas avoir lu et pire ne même pas connaître ce démon me ficha une belle honte... Et quand il m'annonça que c'était probablement le livre de Selby le pus lu et vendu en France, je ne pus résister et le lui achetai.


Autant le dire d'emblée, ce n'est peut être pas le chef d'oeuvre que j'espérais. Je n'ai pas retrouvé ici le style explosif d'Hubert Selby Jr mais ce livre fait néanmoins monter le curseur Babelio à 4 étoiles sur 5. Et s'il trouve sa place ici, sur le blog, ce n'est pas tant parce que je le considère comme un très bon livre mais plutôt parce qu'il traite de ce qui nous intéresse, à savoir une plongée lente mais dévastatrice dans la détérioration psychologique d'un homme, sa solitude et sa folie.


Ce démon est comme le domino manquant entre Shame, le film exceptionnel de Steve Mc Quenn et American Psycho (qui lui atteindrait presque la note maximale de 6 étoiles sur 5...) de Monsieur Bret Easton Ellis. Un croisement entre l'addiction sexuelle d'un cadre voué à un avenir professionnel sans limite et un psychopathe finalement plus addict à l'excitation que ressent celui qui joue avec le feu, les limites et les interdits.

A Shame il emprunte l'extrême solitude du héros et la souffrance que génère son appétence pour le sexe. On imagine aisément le personnage principal Harry sous les traits de Michael Fassbender. A American Psycho il emprunte, au moins dans le dernier tiers du roman, la logique froide et l'absence d'empathie. Et là encore on pourrait imaginer Harry ressembler à Christian Bale l'acteur qui tenait le rôle de Patrick Bateman dans l'adaptation ciné qu'en avait faite Mary Harron.

Donc du sexe, oui. Ça commence comme une pulsion et dès les premières lignes le programme est annoncé. "Ses amis l'appelaient Harry. Mais Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des femmes... des femmes mariées." C'est brut et absolument pas métaphorique.


(Remarque: L'utilisation du verbe enculer en ouverture d'un roman est-elle la garantie d'un grand livre? Rien n'est moins sûr mais je fais néanmoins le constat que bien avant Vernon Subutex, Virginie Despentes dans ce qui était alors à mes yeux son Masterpiece intitulait son chapitre 1 "Je t'encule ou tu m'encules?". Ce qui par ailleurs pose la question de l'emprunt éventuel de ce verbe et l'hommage à Selby Jr de Despentes qui dans une interview à Télérama (à lire ici) citait volontiers l'Américain comme influence (parmi d'autres).)


Le livre nous donne à suivre la vie de Harry sur plus d'une décennie, depuis sa vie de célibataire hébergé chez papa et maman, à celle de jeune époux et jusqu'à celle de père de deux enfants. Professionnellement on suit son évolution depuis ses débuts comme jeune cadre prometteur jusqu'à devenir l'un des businessman influent de New York qui s'affiche sur les couvertures des magazines de son pays. Mais on le comprend vite Harry souffre d'une forme d'addiction. Une addiction au sexe à une époque (1976) où l'expression n'existait pas encore. En effet il faudra attendre le milieu des années 80 pour que Carnes puis Goodman la conceptualise. (plus d'info ici) "Ce qu'il voulait c'était baiser quand il avait envie de baiser, et se tirer ensuite". Harry est comme ça, sa vie se résume à une multiplication des aventures sexuelles.

Et tout d'abord on croit suivre un dragueur invétéré, le genre de bonhomme insupportable qui arrête toute activité dès qu'il croise "une belle paire de nichons et un beau cul bien rond"Sa routine: profiter de sa pause déjeuner pour aller rencontrer en ville au parc des femmes et les fixer d'un regard sans ambiguïté.

"fixant avec insistance (...) l'arrondi de la fesse"; "contempla ostensiblement ses jambes croisées"; "Harry ne détourna pas les yeux"; "il dévisageait les femmes d'un œil lubrique"; "la dévisageant avec concupiscence"

Une fois la jeune femme ferrée, Harry aime se faire désirer et joue volontiers avec ses femmes à usage unique qu'il jette dès l'acte consommé.

"il ne jugeait pas mauvais de laisser Mary poireauter quelques temps"; "la faire languir lui procurait une satisfaction supplémentaire"; "plus il y songeait plus ça l'excitait"

Alors il invente des faux noms et ne donne aucune adresse de façon à ne devoir entretenir aucune relation. Sinon "elle lui téléphoneraient à toute heure du jour ou de la nuit, ou viendraient chez lui quand elles avaient le feu au cul."

Son excitation ne naît pas tant dans l'acte sexuel lui-même que dans l'excitation qui l'entoure. Et notamment du fait qu'il puisse être surpris par les maris "il ignorait ce qui pouvait se produire et son appréhension augmentait son excitation"; "elle n'habitait peut-être pas à l'endroit indiqué, ou les choses n'allaient pas se passer comme il le pensait, son mari pouvait être là, ou rentrer à l'improviste (...) mais savoir que tout pouvait arriver ne faisait qu'accroître son excitation."

Mais une addiction n'en serait pas une si elle n'avait pas de répercussions négatives. Et pour Harry c'est tout d'abord la sphère professionnelle qui est touchée. A s'adonner ainsi à son addiction sur l'heure du déjeuner, forcément ses retards s'accumulent. D'abord quelques minutes, puis plusieurs heures, jusqu'à se faire porter pâle, accablé par la honte de revenir au bureau. Ses retards agacent bientôt au sommet de sa hiérarchie. Convoqué par son patron: il perd une promotion qui lui est pourtant promise.

"la seule chose dont il eût conscience était l'intensité de ses sentiments qui l'agitaient, et son incapacité à leur donner un nom ne faisait qu'accroître la panique qu'il ressentait."

Alors pour reprendre le contrôle, il tente l'évitement en surinvestissant son travail. Mais l'évitement est-il possible? Comment éviter la moitié de la population? Alors il a beau s'y contraindre et ne quasi-plus sortir du bureau le midi, la rechute lui tend les bras. Décision apparemment sans conséquence: un déjeuner avec la secrétaire. Bim-Bam-Boum c'est reparti!

"cependant, s'il parvenait encore à exercer un certain contrôle sur ses actes, il n'en allait pas de même pour ses pensées."

Si, dans un premier temps, l'évitement est une stratégie efficace pour qui souhaite mette un coup d'arrêt à une addiction, elle est difficilement tenable dans le temps. Le problème de notre anti-héros est le même que celui de l'alcoolique qui se tient à distance des bistrot. ça marche un temps et puis... Est-il possible de se tenir éloigner de toute bouteille pour le restant de ses jours? Rien n'est moins sûr. Alors faute de stratégie alternative plus élaborée Harry rechute. Et ce n'est pas le psychanalyste qu'il consulte qui lui offrira les clés pour s'en sortir. "...un grand trouble se fit dans sa tête et finit par l'envahir tout entier, et il réagit automatiquement de la seule manière efficace qu'il ait jamais trouvée." Et à nouveau les retards et à nouveau les opérations séduction.

Exemple de stratégie inefficace "il s'asseyait sur un banc en mangeait son sandwich, en pensant à tout autre chose. Et ça marcha. (...) Mais sa maîtrise ne tarda pas à l'abandonner et, une fois de plus, il se retrouva dans une chambre d'hôtel avec une nana." Très risqué comme stratégie non? et bien casse-gueule aussi non? Et pourtant si représentative de la réalité. Pour reprendre l'exemple de l'alcool, combien de patients soignés en addicto sont fiers en retour de permission d'annoncer tout de go qu'ils se sont rendus dans leur bistrot habituel mais qu'ils n'ont consommés qu'un café ou une limonade. Oui ça s'appelle jouer avec le feu.

Paradoxalement tandis que Harry s'enfonce dans toujours plus de sexe, et que sa santé mentale se dégrade au grand détriment de sa femme qui désespère de pouvoir l'aider, sa progression dans la hiérarchie de son entreprise ne semble connaitre aucune limite. Ses retards continuent d'exister mais sont largement compensés par son talent et son implication. En effet par moment il arrive à se défoncer pour le travail à y consacrer toute son énergie dans ce qui peut apparaître comme de véritable période de sevrage qu'il s'accorde. Malheureusement la 6ème étape de la roue du changement de Prochaska et Di Clemente vise juste et notre héros rechute.

Cette roue aussi connue sous le nom de modèle transthéorique du changement est - bien qu'imparfait - un outil de base à connaitre quand l'on s'intéresse aux addictions. Elle permet non seulement de comprendre où se situe notre patient mais surtout nous guide sur l'attitude thérapeutique à adopter et permet ainsi d'éviter des erreurs extrêmement énergivore et inefficace du genre vouloir sortir un patient de son addiction alors que lui n'en est qu'à la pré-contemplation, phase où le patient ne voit que des bénéfices à sa consommation et n'a donc aucunement l'intention d'y mettre un terme.

En l'espèce l'histoire débute alors que Harry est en pleine phase de précontemplation. Son addiction n'est pas vécue comme telle, elle n'est qu'une source de plaisir sans aucun point négatif. Une sorte de lune de miel. Le premier hic survient de la sphère professionnelle. Les retards s'accumulent, pris dans ses opérations de séduction, Harry qui opèrent sur l'heure du déjeuner, arrivent de plus en plus tard au travail. Les vives remontrances de son patron puis une promotion promise qui lui échappe et c'est la bascule, Harry passe en phase deux la contemplation. C'est la phase des questions, la phase où l'on pèse le pour et le contre.

"l'introspection devenait chez lui une habitude, et son esprit se brouillait à force d'essayer de comprendre le pourquoi et le comment de ce qui se passait en lui." "... il espérait pouvoir comprendre le pourquoi de ces événements et y remédier. Ou a défaut du pourquoi, il pourrait au moins comprendre le comment et empêcher tout ça de se reproduire."

"il aurait voulu pouvoir changer quelque chose, mais ne savait pas quoi."

S'ensuit la phase d'action (la phase de détermination est ici très brève, voire passée sous silence) où comme évoqué un peu plus haut, Harry en mettant les bouchées doubles au boulot s'octroi des périodes de sevrage. Les rechutes sont fréquentes mais avec un changement notable. L'on constate comme un syndrome de tolérance. Du genre toujours plus pour obtenir une satisfaction identique. Alors tout d'abord l'excitation vient des ses coucheries à l'heure du déjeuner puis cela devient insuffisant il faut toujours plus de frissons, de prises de risques...

La tolérance: "un sourire, un bonjour, un regard et une brève conversation, et puis sa queue qui fouille la chatte mouillée de la fille (...). Et il jouit, (...) et il attend le sentiment de bien-être, de soulagement qui suit habituellement l'éjaculation (...) Mais il ne vient pas. Pour une raison qui lui échappe, la méthode sûre et éprouvée qu'il emploie de longue date n'a plus l'efficacité qu'elle avait(...)."

L'on comprend alors que ce n'est pas tant d'une addiction au sexe que souffre Harry mais d'une addiction à la mise en danger, à la transgression d'interdits. Mais ce serait spoiler qu'en dire plus...
Au-delà de l'addiction il y a beaucoup à voir et à lire dans ce roman. Comme cette sensation de dépersonnalisation, de déréalisation, qui touche Harry:

"il se surprit à suivre une femme dans un magasin. Elle regardait les soutiens-gorge et les culotte, et lui l'observait. Jusqu'au moment où il prit soudainement conscience de ce qu'il était en train de faire.

"il aurait voulu se lever et s'enfuir, mais en était incapable et il restait là, tel u spectateur impuissant, et se voyait baiser la fille."

"il se retrouva allongé sur un lit en compagnie d'une des filles du service des relations publiques, conscient du fait qu'il pouvait encore prendre le dernier train, mais sachant qu'il n'en ferait rien. Comme si cette décision lui avait été imposée, sans qu'il eût son mot à dire, et il se résigna sans vraiment protester."

Alors faut-il lire ce livre? Clairement si tu n'as jamais lu un Selby Jr, ce n'est pas celui que je te conseille pour commencer. Son style - bien qu'intéressant puisque inspiré par le courant de conscience - n'est pas aussi "cinglé" que celui des Last exit to Brooklyn ou encore retour à Brooklyn. Je dis cinglé car si tu ne connais pas Selby, voici un extrait d'un article de Libé: Hubert Selby Jr, est «considéré comme le fou furieux de la littérature américaine. Il ne fait partie d'aucun courant, d'aucune école». Sa vie, en quelques mots, ce fut : «tuberculose, alcool, héroïne, HP et tout le reste." Un beau portrait tiré du même quotidien est à lire ici. En revanche, si tu veux lire quelque chose sur les addictions, alors là ça vaut le coup. Et si c'est le sexe qui t'intéresse et que tu désespères de pouvoir lire autre chose que la misère érotiquo-marketée de E.L James, n'hésite pas. (tu peux aussi lire en complément l’exceptionnel Complexe de Portnoy de Philip Roth).



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