vendredi 9 juin 2017

Ascodocpsy ou la voie royale de l'autodidaxie

par Han Cheng Yeh


C'est probablement ma plus grande crainte. La plus grande parce que c'est je crois la plus réelle, celle dont la probabilité de survenue est la plus élevée dans un avenir plus ou moins proche. Oh non n'allez pas croire que je vais encore me plaindre de ma condition, non il ne s'agit pas d'une angoisse individuelle, méa culpa je crois que j'ai déjà assez versé dans l'intime les semaines passées (ici par exemple). Non il s'agit d'une crainte que l'on pourrait qualifiée d'institutionnelle voire liée aux orientations nationale de politique de santé publique des années à venir (telle que je me les imagine  hein,  entendons nous bien, je n'ai ni scoop en la matière encore moins le don de divination!)

Trêve de suspens, ma crainte est celle de voir des postes infirmiers disparaître au profit d'autres métiers aux qualifications inférieures et ce pour des raisons budgétaires uniquement. Car même mal payé, un infirmier c'est toujours beaucoup trop cher! Surtout si - logique de direction - on peut obtenir un travail sensiblement identique pour bien moins cher! 

Moi je n'ai rien contre les aides-soignants, rien contre les AMP, ASH ou autres, bien au contraire. Dans un système psychiatrique aux rouages bien huilés, chaque corps de métier trouve sa place et tout fonctionne à merveille. Mais que se passe-t-il quand l'huile des ces même rouages à trop chauffer, finit par s'enflammer? Le mécanisme s'emballe, la psy part en vrille et chacun se doit alors justifier de sa position sur l’échiquier du système de soins. Je crois que nous en sommes là. Les notions de restructuration, de réorganisation et d'efficience, oui, d'efficience sont aujourd'hui archi-connues de tous les acteurs de ce système! Efficience: obtenir le maximum de résultats avec le minimum de moyens.

Je le redis ici: je n'ai rien contre les autres corps de métiers exerçant en psy. Ce sont des hommes, des femmes, des collègues, des professionnels que je respecte et qui ont assurément leur place sur l'échiquier mais qui à l'instar des IDE devront la défendre. Les aides-soignants l'ont bien compris et partout dans notre bel hexagone on voit fleurir des groupes de travail du genre "Comment intégrer les aides soignants dans le soin psychiatrique?". Les non-soignants sont également sur la sellette comme l'indique cette news que j'ai vu passer il y a peu de temps concernant l'hôpital de Strasbourg qui sous-traite avec une société privé les missions de nettoyage.

Je n'ai rien contre les autres professionnels mais je suis infirmière et j'écris pour défendre la spécificité soignante de mon métier. Je ne cherche pas le clivage mais en un article je suis capable de me mettre tout le monde à dos IDE inclus. Car si je dois être "remontée" contre un groupe bien spécifique ce serait contre le mien, contre les infirmiers. Alors il est probable que je ne me fasse pas d'ami sur ce coup-là mais peu importe... Puisque j'ai l'impression que nous, IDE, sommes en train de nous tirer une balle dans le pied, autant tenter à ma façon d'empêcher ce passage à l'acte auto-agressif! Et puis vive la - saine - polémique, c'est elle qui permet de faire évoluer sa pensée. Happy Polémik en quelque sorte et advienne que pourra.

J'ai déjà beaucoup parlé du concept de PMA pour Positive Mental Attitude. Pensez-vous que ce concept possède sa face sombre, son versant obscur? Allez moi j'y crois, je le nomme pMA avec oui un p minuscule pour pessimiste, soit in english por favor la pessimistic mental attitude à savoir la capacité à tout voir en noir, à oublier les (50?) nuances de gris.

Alors oui cet article est peut-être écrit sous l'influence de cette pMA. Cet article va aussi casser du sucre sur le dos des infirmiers alors que la réalité n'est évidement pas aussi sombre que ce que je vais décrire. Il n'empêche... 

L'une des clés qui garantira notre présence dans le système de soins psychiatrique est notre niveau de compétence. Si notre valeur ajoutée est reconnue de tous alors nous n'avons aucune crainte à avoir. Mais en revanche si cette valeur ajoutée spécifique à la psychiatrie n'est pas claire, si elle est mise en doute, si elle questionnée, alors il y a péril en la demeure. Puisque nous coûtons plus cher que d'autres métiers, nous devons apporter une compétence qu'eux non pas.

Quand j'émet l'idée que nous sommes remplaçables je reçois souvent comme réponse "oui enfin nous on fait les prélèvements et les soins somat'". Certes, je suis d'accord, la formation AS par exemple, ne permet pas la réalisation de ces soins. Mais si être IDE en psy se limite à réaliser des soins somatiques alors rien ne justifie une telle présence infirmière dans les services. Un seul IDE par roulement serait suffisant non? 

Quand autour de la table on se pose la question, nous sommes à peu près tous et toutes capables d'expliquer pourquoi nous n'avons pas fait le choix des soins généraux. La déshumanisation des soins, la sur-technicité, les rythmes inacceptables, l'absence totale de considération par les hiérarchies... Les explications sont multiples. En revanche quand il s'agit d'expliquer le choix de la psychiatrie c'est moins évident. Bien sûr il y a toujours autour de la table quelqu'un qui y va de son "on ne vient pas en psychiatrie par hasard"... mais encore... Excusez ma vulgarité, mais la pire des explications qui est malheureusement celle qui revient le plus souvent est "j'avais un bon relationnel alors j'ai choisi la psy... " Alors ça, ça me troue le cul! Ma mère à un bon relationnel, mon oncle et mon chien aussi! Moi aussi quelque part mon relationnel n'est pas mauvais, mais ce n'est pas ma compétence infirmière. C'est une qualité humaine ô combien indispensable, que l'on peut probablement développer et améliorer mais ce n'est pas une compétence spécifique.

Spécificité psy, compétences psy, tout cela revient à parler du rôle de l'IDE en psy, ce qui est l'objet même de ce blog. L'accueil d'un étudiant IDE en service psy est assez symptomatique du mal qui nous ronge! Je suis toujours effarée par ce que l'on attend des EIDE. "Tu vas pouvoir réaliser des prises de sang, t'inquiète tu auras tout ton temps ici, tu feras des électro, tu auras peut-être quelques pansements si on a la chance d'avoir une phlébotomie, et puis tu vas faire des IM" Wouah... boum, clouée sur ce coup là! Elle est là notre spé psy, je l'avais pas vue passée, on fait des IM !! Nourrissons-nous une forme d'infériorité face à nos collègues du général pour présenter notre métier sous un angle uniquement technique? Pourquoi ne pas s'attarder sur ce qui fait la richesse de l'exercice en psy? La connaissons nous d'ailleurs? (article éminemment subjectif il va sans dire...)

J'ai la conviction qu'il y a plus de technicité dans un entretien infirmier que dans une la pose d'une voie veineuse. L'entretien IDE est l'un des "geste technique" le plus complexe qu'il soit. J'en veux pour preuve que si l'on peut maîtriser la pose de voie veineuse jamais on ne maîtrisera l'entretien infirmier. On peut améliorer sa pratique, progresser, avoir des convictions mais de là à la maîtriser... Et paradoxalement pour technique qu'il soit, je le trouve bien peu valorisé. Pourquoi cela? J'y vois plusieurs explications. La première, nombre d'IDE ne sont pas à l'aise dans l'exercice de l'entretien alors il ne veulent pas trop montrer leur pratique aux étudiants. Ensuite nombre d'IDE sentent l'aspect technique de l'entretien mais ne savent pas trop l'expliquer. (Combien pourraient citer les 4 processus de l'entretien motivationnel ou les 6 attitudes d'écoutes de Porter?) Enfin, pire des explications, certains IDE ne différencient malheureusement pas ou si peu la pratique de l'entretien infirmier de la conversation avec Mme Michu...


Mon constat peut sembler amer mais ce qui est génial c'est que nous avons le pouvoir de changer cela! En effet si nous décidons d'élever notre niveau de compétence (ou simplement de l'affirmer) personne ne pourra contredire notre rôle. S'améliorer c'est se former. Bien sûr on peut apprendre en observant les autres, apprendre via nos propres expériences mais ce n'est pas suffisant. Il faut se donner des bases qui vont au-delà des apports initiaux de l'IFSI, un socle de savoir, développer des points de vue, des opinions critiques, connaître les théories du soin pour y adhérer ou pour les rejeter. Nous devons défendre des positionnements soignants, des projets de soins, non pas fondés sur nos émotions mais étayés par des modèles conceptuels. La formation est la base. Nous pouvons soit attendre qu'elle vienne à nous soit aller la chercher. Attendre que notre employeur nous finance une formation c'est encore une fois s'enfermer dans une positon d'asservissement face à notre employeur qui décide qui former, quand former et le sujet de formation. 

Je préfère être maîtresse de mon destin, ne pas attendre et m'autoformer. Ce qui m'amène au titre de cet article, la voie royale, celle qui a mes faveurs. I believe in autodidaxie, i believe in ascodocpsy

WTF? Là encore, trop méconnu est cet endroit parfois obscur, parfois caché au sein de l'epsm, relégué dans une pièce perdue, dans un réduit sans fenêtre (oui j'en rajoute un peu... c'est pour la dramaturgie du propos...) comme si on voulait empêcher le curieux de savoir, l'ignorant de s'instruire. Cette pièce c'est le centre de documentation de votre établissement. Elle peut sembler minuscule, les ouvrages peuvent apparaître comme anciens et quelques peu surannés et pourtant... Et pourtant oui ce centre est un centre. Un centre du savoir qui concentre bien plus que ce qu'au cours d'une carrière nous ne pourrions emmagasiner. Ce n'est pas un musée, c'est à la fois l'histoire de la psy, l'actualité et le futur réunis en même lieu. Comment est-ce possible? Ascodoc- fuckin' - psy man! Comment l'expliquer? Un regroupement d'une centaine de centre de documentations psychiatrique de France et de Navarre qui mettent en commun leurs ressources. Concrètement, tu bosses à Bordeaux par exemple et tu rêves de lire... euh... je sais pas... tiens si je sais, tu rêves de lire un Didier Pleux, tu rêves de lire "La révolution du divan"! Tu l'as vu sur Amazon mais bon t'es pas chaud pour te l'acheter... Et bien file sur le site de l'ascodocpsy, tu fais ta recherche sur la base santé-psy et tu obtiens ceci. So what? Un exemplaire à Ravenel, un autre à Montperrin, c'est pratique c'est juste à 865km pour l'un et 650km pour l'autre. Bon outre le fait que j'améliore ma géographie je vois pas bien l'intérêt de cela, ma pétrolette ne tiendra pas la distance. Au contraire c'est formidable car maintenant que tu as identifié ces deux exemplaires, il te suffit, soit de passer voir (si tu as vraiment un bon relationnel - lol - et aussi un bon sens d'orientation) la documentaliste de ton établissement, soit lui passer un appel téléphonique ou lui adresser un mail car ton établissement dans sa grande mansuétude l'a surement doté de moyens de communication modernes en phase avec son époque. La documentaliste se chargera alors de te procurer le dit document de façon absolument gratuite charge à toi d'en faire alors une lecture attentive et si possible d'en retirer quelques idées que tu pourras utiliser dans ta pratique quotidienne.... et donc in fine améliorer ta compétence!

Mais ascodocpsy ce n'est pas que ça! Tu peux aussi t'abonner à une newsletter pointue sur ton ou tes sujets de prédilections qui chaque mois t'apportera les liens vers les articles scientifiques récemment publiés. Une veille numérique géniale pour l'amélioration permanentes des pratiques. 

Si vous m'avez lu jusqu'à ces lignes, bravo! J'entends déjà poindre les critiques. "Ouais c'est bien d'avoir un savoir théorique mais notre métier n'est pas une accumulation de savoirs. Nous sommes au chevet du patient, là où la théorie fait moins la maligne. Le "prendre soin", l'empathie voire l'amour dans le soin, ne sont pas des compétences que l'on apprend dans des livres Suzie". Oui c'est un point de vue qui se défend mais ce n'est pas le mien. Ce que je pense c'est que se détacher de l'approche théorique pour voler de ses propres ailes n'est possible qu'à condition de l'avoir cette putain d'approche théorique. A l'heure actuelle combien de soignants en psy sont capables de citer les deux topiques de Freud et combien savent qui est Carl Rogers? Et bien pas tant que ça je le crains. Et je ne parle que de deux références de base...  Vous trouvez cela exagéré? Alors faites un tour de table en fin de transmissions auprès de vos collègues, demandez leur quels auteurs influencent leur pratique? De qui s'inspirent-ils? 

Pour aller plus loin dans mon propos je vais rédiger deux ou trois articles qui illustreront mon propos et qui seront publiés sur le blog dans les jours, semaines à venir. 

Merci pour votre lecture attentive,
KissKiss

Suzie Q, une fiction autobiographique.






1 commentaire:

  1. Bonjour Susie Q,
    J'aime ce que tu écris, c'est très intense. Néanmoins sur cet article, je te trouve intransigeante avec tes/nos(car je suis aussi infirmière)collègues infirmiers psy. Même s'ils n'ont pas conscience des théories qui sous-tendent l'entretien infirmier, cela ne signifie pas qu'ils ne les mettent pas en place et que ce sont des "moins bons"(même si le terme n'est pas bien choisi) infirmiers auprès des patients. Cela me fait penser aux théories concernant les sciences infirmières, sans les nommer, on les appliquait. La théorie de Laurie Gottlieb, l'approche fondée sur les forces pouvait être en partie, appliquée sans la nommer. Cependant je suis d'accord avec toi, la connaissance des théories, la conscientisation donne du sens, un cadre, une structure scientifique à notre pratique, notre métier et de la plus-value. Mais les infirmiers sont-ils les seuls responsables? Sont-ils au courant de l'accès possible à ces théories? Ont-ils encore de l'énergie pour se mobiliser? La découverte des théoriciennes infirmières est une réelle chance, une opportunité de s'épanouir dans son travail. L'ASFF et toutes les discussions qui en ont découlées, révolutionne ma pratique, ma vie.

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