mardi 17 novembre 2015

# 25 - la suite royale épisode 1: l'annonce!

Diana

Aujourd'hui, début d'une longue chronique consacrée à une intervention en chambre d'isolement, un acte du quotidien qui alimente toujours beaucoup de débats et controverses. 
Une chronique qui vous tiendra en haleine (... enfin je l'espère :-) ) jusqu'au vendredi 27 novembre!

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Il est 18h10, je suis avec le cadre de garde. Au téléphone.

- Suzie Cul, on va avoir besoin de la "suite royale", me dit-il en insistant lourdement sur ces deux derniers mots.

- On dit pas Cul, on le prononce à anglo-saxonne, Qyou.

- Oh comme tu veux Suzie, c'est que Cul je trouve ça plus rigolo!

- Et bien pas moi.

- Oh, fais pas la gueule, faut avoir un peu plus d'humour pour bosser ici hein tu crois pas?

- Bon c'est pas pour analyser mon sens de l'humour que tu me téléphones. Une admission sur le feu c'est ça?

- Oui mais pas n'importe qui! Vôtre suite royale mérite le haut du panier, alors on vous a déniché un client hors du commun, un hors secteur et cerise sur le gâteau en SPDRE!

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A ce stade de cette chronique, un point succinct sur les différents modes de placements m'apparaît nécessaire. Bon c'est vrai, pour le lecteur familier de la psy, ces modes sont évidents mais pour le profane, pour l'étudiant infirmier ou pour tout autre personne étrangère à notre univers mais qu'un étrange concours de circonstances dont je préfère ignorer les détails aurait conduit ici, c'est là quelque chose de sacrément tordu qui mérite qu'on s'y arrête. Ici aucune prétention d'exhaustivité sur le sujet, pour cela je vous invite plutôt à lire par exemple l'excellente page consacrée à ce sujet sur le site la réponse du psy: (à lire ici!). A défaut d'informations loyale et précise comme on dit en droit, voici une anecdote dont le point de départ s'est passé au cours d'un de mes stages.

Alors je suis en deuxième année, en stage dans un service d'admission. J'essaye de me montrer curieuse comme on me l'a conseillé. J'ai toujours à portée de main mon petit carnet Clairefontaine comme me l'avait suggéré une infirmière au cours de mon tout premier stage. Ce carnet m'est d'une inutilité absolue mais je continue à le sortir à tout bout de champ dans l'unique but d'envoyer aux IDE qui m'encadrent un message de sérieux et de professionnalisme. Ces IDE l'ignorent mais griffonner quelques mots comme ça à l'arrache au milieu d'un soin, sans support et avec ma calligraphie de souillonne, est pour moi un acte dénué de sens. J'ai bien tenté d'expliquer comment l'observation et l'écoute de mes pairs en journée suivie le soir d'une prise de note informatisée, avec le recul nécessaire et l'esprit posé, était ma méthode de travail et que c'était sauf preuve du contraire une méthode diablement efficace... Mais il faut savoir abandonner ses certitudes pour mieux se faire accepter alors j'ai contre mon gré adopté ce satané carnet dont les hiéroglyphes ne seront jamais déchiffrer puisque dès la fin du stage sa destination sera la poubelle!

Et donc je suis là, crayon aiguisé prêt à improviser une sténographie avant-gardiste. L'infirmier qui m'encadre est, comment dire, un mec super sympa. Vraiment, sans second degré. Une armoire à glace, mais doté d'un énorme sourire communicatif. Le genre de type avec qui on se sent en sécurité et qui est toujours là pour lisser les conflits et faire retomber les ardeurs. Un ancien, un pilier de service, sur lequel tout le monde, médecin inclus, s'appuie un peu, sans jamais le dire. On est là autour de la table et il y a plein de choses qui circulent. Brioche, confiture, gâteau, l'ambiance est détendue, ça rigole sur tout, ça discute de tout sauf de boulot. Et puis il y a moi, qui en toute circonstance tente de faire bonne figure et de montrer mon professionnalisme. Alors je regarde Guy, puisqu'il se prénomme ainsi et lui demande:

- Guy, excuse-moi mais je me demandais, du coup il y a combien de façons d'entrer en psy?

Et lui du tac au tac:

- une seule, et c'est par la porte d'entrée.

Il reste stoïque et après cette réponse lapidaire se replonge aussitôt dans la lecture de son journal. Et moi de sentir conne, livide au bord de la décomposition! Heureusement ce sentiment ne dure pas car aussitôt les collègues éclatent de rire.

- Ahah, une seule la porte d'entrée, elle est bien bonne celle là!

Je ris alors de bon cœur avec l'équipe car je comprends que ce n'est qu'une blague sans aucune arrière pensée. Guy relève alors la tête, m'adresse un sourire accompagné d'un clin d’œil et me dit ceci:

- le privilège des anciens, c'est de ne pas être emmerdé pendant la pause, alors va voir les petits jeunes, ils attendent que ça de répondre à tes questions!

Quelques années plus tard alors que je suis diplômée, cette blague m'est restée. Et j'essaye stupidement de la recaser à des étudiants pourtant pauvres en questions. Je dis stupidement car je n'ai pas le charisme de Guy, aussi ce brin d'humour est catastrophique quand je l'utilise et donne quelque chose comme ça:

- Euh, l'étudiant, dis, tu sais combien il y a de façon d'entrer en psychiatrie?

- Euh... je sais pas...

- Ben une seule, la porte d'entrée.

- D'accord Madame, excusez moi, je dois m'absenter je dois voir un patient pour réaliser l'anamnèse de sa maladie.

Livide, conne, au bord de la décomposition. Oui c'est ça...

Une autre fois.

- Eh, l'étudiant, ça va? le stage ça se passe bien? T'as l'air de gérer et puis bien le carnet, très sérieux, dis je me demandais, enfin disons que je voulais te demander, si tu sais combien il y a de façons d'entrer en psy?

- Ben pourquoi tu me demandes ça?

- Comme ça, comme ça.

- Parce que tu ignores la réponse c'est ça?

- Non je sais très bien combien il y a de façons d'entrer mais je voulais voir avec toi...

- Excuse moi si je ne comprends pas trop le sens de ta question mais si ça peut te rassurer oui je connais les modes d'entrées quand même. Soit les soins sont dits libres, SL, ce qui est le cas dans la plupart des hospitalisations c'est à dire que la personne est demandeuse de soins ou du moins les accepte de son plein gré, soit les soins sont sous contraintes. Sans te parler des cas d'urgences avec péril imminent par exemple on distingue deux cas de figure dans les soins sous contrainte. Le premier désigne les soins à la demande d'un tiers, SDT, c'est à dire qu'une proche, un membre de la famille fait hospitaliser la personne avec bien sûr certificats médicaux à l'appui. Hein on fait plus dans l'internement abusif normalement! Le second, c'est aussi le cas le plus rare, désigne les soins à la demande d'un représentant de l'Etat, les SDRE. En gros, faut que tu retiennes que c'est le Préfet, c'est à dire la plus haute représentation de l'Etat et de la Police dans le département qui en fait la demande. C'est généralement lié à des troubles importants causés à la société, troubles dans lesquels apparaissent une dimension psychiatrique qui justifie l'orientation psy et non pénitentiaire. Mais attention le mode d'admission ce n'est pas qu'un truc administratif à la mords moi le nœud. Non loin de là, le mode d'admission va déterminer l'implication du patient dans ses soins. En gros va pas falloir t'étonner si un patient refuse les soins quand il est en SDT ou SDRE. Va pas falloir t'étonner si ce même patient refuse le dialogue, se montre désagréable ou ne respecte pas les règles du service. Lui il a rien demandé et il va bien te le faire comprendre. Voilà en gros ce que je peux te dire, Suzie, excuse-moi si j'ai été un peu sommaire... 

- Non non c'est très bien, c'est parce que moi, enfin, c'était pour rire, je pensais que de façon d'entrer, ben... comment te dire, il n'y en a qu'une c'est la porte d'entrée.

- D'accord je vois ce que tu veux dire, je suppose que c'est de l'humour. Très bien. Toujours est-il si tu as d'autres questions t'hésites pas à venir me voir, il me reste encore 4 semaines de stage. Et si ça te dit je peux t'expliquer pourquoi aujourd'hui on utilise le terme "soins" et non plus "hospitalisation" comme c'était le cas à ton époque où vous parliez de HDT et HO.

- Ah sympa, d'accord, merci, 4 semaines, tiens tu vois je note comme toi sur mon carnet, super le coup du carnet clairefontaine, ça fait très professionnel, allez bonne journée.

- Merci au revoir Madame.

Livide, conne et comment? ah oui au bord de la décomposition.

Mais revenons à notre chronique du jour. Fin de la digression ou plutôt fin de la digression dans la digression.

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Le gars au bout de la ligne est un jeune cadre. Bourré d'humour, enfin je suppose que c'est ainsi qu'il se décrit. Avec ses blagues, il pense être au summum du détachement par rapport à ce qui se passe ici-bas, mais il se goure le con, il se met les doigts dans le nez jusqu'au poignet. Sa dérision mièvre, son ironie chiante et son cynisme à tout va ne sont que les 3 différentes expressions d'un même mécanisme de défense qui l'aide à affronter ce qu'il ne peut supporter. Un masque pour mieux se protéger de cette folie à laquelle il ne pige que dalle.

- Bordel, y'a pas de place ailleurs? Le service est complet et c'est déjà bien tendu.

- Pas le choix y'a plus de lit sur l'hôpital, on débloque votre lit sup'. J'ai déjà prévenu le technicien. Il passera installer le lit sup mais c'est pas l'urgence du moment car pour l'instant elle va en iso.

- Ben si y'a pas le choix... mais là on va avoir près de la moitié du service en placement dont 5 HO. (J'aime bien utiliser le terme HO en lieu et place de SPDRE, ça fait genre je suis une ancienne de la boutique, alors qu'en réalité lorsque j'ai obtenu mon diplôme d'infirmière, le terme HO n'existait déjà plus!)

- Je sais j'étais pas favorable à ça mais...

- c'est chaud sur les autres hôpitaux de la région?

- T'as tout compris Suzie Q.

- Et puis je suppose que l’administrateur de garde a donné son accord.

J'adore lui rappeler qu'il n'est pas le grand patron en ces lieux. Il a bien besoin de redescendre sur Terre le dimanche. Seul cadre de santé sur site, il semble se doter de tous les pouvoirs. J'en veux pour preuve que ces jours là il enfile sa cravate comme d'autres chez Marvel enfilent la cape.

- Oui, enfin peu importe, toujours est-il qu'on aura connu des dimanches meilleurs.

- Bon quel est le topo?

Le cadre m'explique rapidement mais clairement la situation de Mle K. Arriviste c'était connu mais arriviste consciencieux c'est pas si mal. Il m'explique alors comment cette femme de 36 ans originaire de Lyon, fraîchement débarquée le matin même dans notre région était parvenue à se faire connaître par Monsieur le Préfet en moins de 24 heures. Certes la méthode était contestable mais le résultat, lui, il était là! 

Arrivée par le train, elle avait zoné toute la journée dans le centre-ville. Les forces de l'ordre avaient recueillis plusieurs témoignage à son sujet. Un badaud qui flânait dans le centre-ville en zyeutant autant les vitrines que les petites pépées aux terrasses des cafés l'avait signalé divaguant au milieu de la route. Il avait ajouté que son regard était terrifié comme si sa vie était en jeu. Une vieille dame à l'audition pourtant usée l'avait entendue hurler à s'en péter les cordes vocales "laissez-moi, allez vous en!". Des propos qui ne s'adressaient à aucun interlocuteur visible. Mais c'est l'agression sur ce père de famille qui lui avait valu de se faire coffrer. Au volant de son Duster, il avait eu du mal à supporter, tandis qu'il patientait à un feu de circulation, les propos de la Lyonnaise qui le dévisageait en criant "à mort les bolcheviks". Et quand l'impétueuse avait craché sur son 4x4 low-cost le sang du père de famille n'avait fait qu'un tour et il avait bondi hors de son véhicule. Mais elle, peu impressionné par le physique de déménageur du bonhomme l'avait roué de coups et griffé au visage, heureusement sans gravité. C'est après l'avoir maîtrisé au sol, qu'il avait lui-même appelé les flics. 

- Elle sera là vers quelle heure?

- ça ne devrait pas tarder si toute la paperasse est en règle.

- Donc elle va arriver en plein pendant le dîner.

- Possible. Les flics aiment autant s'en séparer au plus vite. Elle est dite plutôt agitée, je vais voir pour organiser des renforts pour vous épauler.

Je raccroche et file prévenir les collègues. à Sophie, l'ASH j'explique que nous risquons de ne pas être très présent en salle à manger.

- T'inquiète j'ai l'habitude de ne pas vous voir,

- Je sais.

- Faut espérer que personne ne s'étouffe.

- Parle pas de malheur...

- Bon j'ai un peu de temps devant moi, j'vais aller préparer la chambre avant son arrivée.

- Sans toi, ma Sophie, le service serait en vrac depuis longtemps....

- Et le repas? Elle aura pas mangé?

- Mince le repas, j'avais zappé! Euh y'a rien dans le frigo?

- T'en fais pas. On a reçu les plateaux des permissionnaires, y'a de quoi faire! Pas de régime spécifique?

- Ben pour l'instant j'en sais fichtrement rien!

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l'épisode 2 qui sera consacrée au premier contact avec la patiente sera publiée vendredi 20 novembre! Stay Tuned! 






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