mardi 24 novembre 2015

# 27 - la suite royale - épisode 3/4: l'entretien médical

@Luca Rossato


Me dit pas que t'as loupé l'épisode 2. T'as de la chance il est sur le replay! 
Allez file le lire: PREMIER CONTACT

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Trente cinq minutes que l'on poireaute. Dans la chambre d'isolement, la tension est retombée et chacun prend son mal en patience. Franck s'est posté à l'entrée de la chambre, mains dans les poches, posture détendue, il a le regard dans le vide. Il ne dit rien mais montre qu'il est disponible. Je suis en retrait, dans le couloir, avec le cadre de garde. Nous faisons le point sur les papiers en notre possession. Carte d'identité, certificats divers et variés, c'est toujours un vrai bazar réglementaire quand un patient est admis sur décision du Préfet. Entre nous et Franck, nos deux collègues en renfort se sont assis à même le sol. L'un d'entre eux, David, celui qui est du style rentre-dedans lis un vieux Closer qui traînait dans le placard. Enfin quand j'écris "lis un vieux Closer" comprenez "feuillette un torche-cul de seconde main"... Mais bon ça ne s'écrit pas, Suzie Q elle fait dans le propret! Et Mle K. dans tout ça? Et bien elle, elle mange difficilement. Elle débute un plat, repose sa fourchette en plastique et interpelle Franck avec des propos plus ou moins incompréhensibles. Lui, stoïque, se contente d'opiner du chef, lui signifier qu'il l'écoute. Mais à quoi bon répondre? Face à une pensée aussi désorganisée, ce n'est pas quelques mots qui suffiront pour remettre de l'ordre. Alors oui il opine, hoche la tête et envoie quelques relances à base de "hummhumm", "d'accord" ou encore "je vois". Rien de plus mais c'est suffisant. Elle se pose petit à petit, reprend une fourchette dans sa barquette de ratatouille et comme nous, elle attend. La seule demande claire qu'elle formule est celle d'avoir une cigarette, mais il n'y a aucun paquet dans ses affaires alors nous n'avons pas d'autres choix que celui de différer sa demande.

Elle attend que le médecin vienne la voir. On aurait envie de lui en vouloir mais on n'y arrive pas. On le sait, il est coincé sur une situation chaude c'est le cadre qui nous en a informé. Mais bordel, nous on est là, 4 soignants, extraits de leur service. Alors on nous dira que c'est dimanche, qu'il n'y a qu'un médecin pour tous les services mais nous on s'en fout de ces excuses. Car c'est pas nous qui sommes dans la galère avec nos Closer pour tuer le temps. Non la vraie galère, c'est celle de nos collègues que nous avons laissés, nos collègues en service, en effectif minimum et qui doivent prendre en soin 25 patients. Un seul médecin et tellement de situation explosives.

Et puis finalement il arrive. Tout le monde se salue, se serre la main et sans plus attendre le psychiatre file dans la chambre d'isolement. C'est Franck qui fait les présentations. Mais la jeune femme semble avoir un contentieux avec le monde médical et elle lui fait rapidement savoir. Aussitôt elle se lève et se précipite au fond de la pièce. Elle se recroqueville à nouveau et débute une logorrhée à peine audible faite de coqs à l'âne et de calembours. Elle semble sur ses gardes, dans un état d'hypervigilance.

- Bonjour, Mme K., je suis Dr X, médecin psychiatre, psychiatre de garde sur l'établissement. Je viens vous voir dans le cadre de votre admission. Comment vous sentez-vous?

- Cent T? un T, deux T, trois T, quatre T, cinq T, six T, cent T. Non K. elle est pas sans T elle est avec T. Elle est: 
Terrorisarmor, elle est
Terrifacochère, elle est
Tétanisphère, elle est
Tremblotaroulotte, elle est
Tachicardinale.

L'échange se poursuite sur ce même mode. Aux questions précises du psychiatre qui tente de reconstituer l'itinéraire de Mle K, celle-ci répond en usant au mieux sa propre palette des troubles du contenu de l'expression verbale. Entretien difficile, entretien laborieux qui, s'il n'apporte que peu de réponses quant au passé de la patiente, a le mérite de mettre en évidence l'étendue de ses symptômes et le besoin urgent de soin.

- Bon Mme K. les infirmiers vont vous donner un médicament. Vous aller le prendre, ça va vous aider à vous détendre et à dormir. Vous serez revue dès demain par le psychiatre du service qui vous aura en soins. Je vous souhaite un bon rétablissement.

Le psy revient vers nous, Franck lui reprend sa place dans l'encadrement de la porte.

- Bon vous lui mettez 100 gouttes de loxapac. Je vous le prescris en injectable si elle refuse. Bon courage, je vous laisse, on m'attend en gérontopsy. Mais je passe d'abord dans votre bureau, saisir ma pres' et mon observ'. Et puis si besoin, vous n'hésitez pas à me biper! Salut!

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La suite et dernier épisode de cette chronique sera publiée le 27 novembre. Elle sera consacrée à l’administration du traitement. Stay Tuned! 




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