vendredi 20 novembre 2015

# 26 - la suite royale - épisode 2/4: premier contact

@Matilde Zacchigna


Si t'as loupé le premier épisode, vas voir, il est encore sur le replay: EPISODE 1 - L'ANNONCE

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Le transfert ambulance - chambre d'isolement s'est déroulé sans encombre. Mle K. s'est réfugiée dans un angle au fond de la pièce. Recroquevillée sur elle-même elle fait penser à une bête traquée et apeurée. Deux collègues de réadapt' se sont libérés pour nous épauler Franck et moi. L'un d'entre eux, David, jeune DE d'une trentaine d'année, n'a de cesse de manifester son empressement. "Pas que ça à faire, on a repas thérapeutique nous! Le cadre le sait bien pourtant, il pouvait pas aller piocher dans un autre service!". Si ces deux collègues ont normalement un rôle de soutien, c'est pourtant David, un gars à qui on l'a fait pas comme il aime à le rappeler, qui prend la parole en premier.

- Bon bonjour Madame, vous aller voir un médecin sans tarder. En attendant on va vous apporter un dîner mais avant cela vous aller vous déshabiller et enfiler le pyjama qu'on vous a posé sur le lit.

Mais rien ne change dans l'attitude de Mle K. Son corps reste figé tandis que sa tête, elle, n'a de cesse de bouger. Elle scrute, regarde et inspecte chaque recoin de la chambre aux murs décrépis. Se dit-elle comme je me le dis qu'il serait grand temps d'y donner un coup de peinture, que cette chambre censée exposer le patient au minimum de stimuli ressemble plus à un tombeau qu'à un lieu de soins.

David fait un pas en avant et reprend sa litanie en décomposant chaque mot syllabe pas syllabe comme si la patiente n'avait qu'un léger problème de compréhension. Soudain son mouvement de tête s'arrête, elle le fixe et lâche à toute vitesse "J't'emmerde toi et ton pyjama". On parle pas comme ça à David.

- Madame, nous on vous respecte, alors vous nous respectez s'il vous plaît. Et votre pyjama si vous n'arrivez pas à le mettre, c'est nous qui allons vous le mettre. On vous laisse une minute pour le faire lui dit-il avant de faire demi-tour et de nous rejoindre dans le sas de la chambre.

- Tu peux me passer des gants s'il te plaît me dit-il, je pense qu'on va avoir besoin de le faire à sa place.

- Attends, intervient Franck, on va pas s'enflammer tout de suite,

- Ouais enfin on va pas y passer la nuit,

N'oublie pas que c'est notre patiente, et c'est le premier contact qu'on a avec elle. Autant ne pas tout foutre en l'air tout de suite...

- Faites comme vous voulez après tout, moi j'm'en fiche...

- Suzie, ça te dérange pas d'aller vers elle, peut-être qu'avec une femme le contact sera plus facile.

Je rentre dans la chambre avec une bouteille d'eau et un gobelet en carton. J'ai pris soin de garder la bouteille fermée au cas elle s'imaginerait qu'on y ait introduit quelques puissants neuroleptiques et fais bien attention à ce qu'elle me regarde lorsque j'ouvre la bouteille. Je remplis le gobelet et le lui tend.

- j'ai pensé que vous auriez peut-être soif.

Je garde le bras tendu dans sa direction pendant un moment qui me semble infiniment long. Je sens les 3 paires d'yeux qui dans le sas m'observent. Et puis après un ultime hésitation Mle K. se saisit du verre et le vide d'une traite. J'enchaîne immédiatement. Je lui tend la main pour la saluer. Elle tourne la tête vers le mur et me présente son coude. Je ne relève pas et poursuit.

- Bonjour, je m'appelle Suzie, je suis infirmière ici, à l'hôpital. Drôle de journée n'est-ce pas... J'imagine que c'est pas vraiment l'idée de la région que vous vous faisiez...

Est-ce qu'elle m'écoute? Je n'en ai pas la moindre idée. Rien dans son comportement ne me le prouve. Tandis que je lui parle, j'en profite pour l'observer. La première chose qui me frappe c'est qu'elle semble étonnamment jeune, un air d'ado presque une gamine, bien loin de l'âge qui figure sur les étiquettes d'admission. Elle porte un drôle d'accoutrement, succession improbable de vêtements, qu'elle empile comme si elle se déplaçait avec l'ensemble de sa garde-robe. C'est bariolé, plutôt inadapté, usé et déchiré. Tout comme ses chaussures, des godillots aux semelles percées. La chanson "un km à pied ça use les souliers" me travers l'esprit, j'esquisse un sourire.

- Vous avez inquiété pas mal de monde aujourd'hui, c'est une bonne chose que vous soyez ici à présent. Vous avez besoin de vous reposer... Il y a un pyjama posé sur le lit et ce serait super que vous le passiez. Vous serez bien mieux pour dormir. Et puis ne vous inquiétez pas pour vos vêtements. Je vois que vous en avez beaucoup mais on va en prendre soin. Tout comme vos bijoux. J'imagine qu'ils ont une valeur importante à vos yeux, donc on va en prendre grand soin et dès que vous sortirez de cette chambre vous récupérerez vos affaires. ça vous convient?

Mle K. ne me répond pas et semble toujours aussi apeurée. Je m’apprête à rejoindre mes collègues dans le sas quand elle se relève d'un bond et prend la parole.

- Violet ça fait du violet. Du rouge sur le bleu, ça fait du violet. Bizarre non? Bizarre vous avez dit bizarre. Pas du tout dans violet il y a viol. Le viol est partout, quand on mélange des couleurs primaires voilà ce qu'on obtient. Tu mélanges deux primaires tu as un viol violet. Bravo l'école primaire. Alors non pas de pyjama bleu avec moi, non hors de question.

- c'est la couleur du pyjama qui vous dérange?

- Ah oui pas de bleu. des tâches, des tâches, des tâches partout et on aura du violet et je veux pas de viol moi. ah non pas de viol.

- Vous avez vos règles c'est ça?

chuut chutt plus bas. faut pas réveillez le monstre. les menstrues oui.

- Alors je vais vous apporter des serviettes hygiéniques et vous aller mettre le pyjama ok?

Quelques minutes plus tard, la jeune patiente est en pyjama. Tandis que je regagne le sas avec les vêtements de Mle K. pour les y ranger, Franck me jette un regard de soutien.

- Bien joué me dit-il.

- Oh tu sais c'était quitte ou double, coup de bol sur ce coup là!

C'est à ce moment là que surgit le cadre de garde. Il entrouvre la porte, glisse sa tête et nous murmure:

- le médecin de garde ne devrait pas tarder mais il est déjà sur une situation un peu chaude. ça va ici?

- ça le fait. on va donner le repas à la patiente en attendant son arrivée.


***
*

l'épisode 3 consacré au temps médical sera en ligne mardi 24. Stay Tuned!



2 commentaires:

  1. pourriez vous m'expliquer l'intérêt de demander à la personne de se mettre en pyjama ? dans d'autres services, cela ne se fait pas automatiquement ... merci !

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    1. En service le pyjama ne sera pas forcément obligatoire, mais dans une chambre d'isolement il l'est la plupart du temps afin de s'assurer que la personne ne puisse pas se blesser avec des objets cachés dans les poches ou avec sa ceinture par exemple. Enfin, si c'est bien le sens de votre question, on demande et on ne fait pas à la place afin de ne pas ajouter de la tension à ce moment déjà difficile. Si on déshabille quelqu'un, le risque que cela soit perçu comme une agression est réel. Mieux vaut passer 20min à convaincre une personne de la nécessité de passer un pyjama que de bâcler l'affaire en la déshabillant et en lui passant un pyjama. Espérant avoir répondu à votre interrogation, bien à vous, SuzieQ

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