vendredi 2 octobre 2015

# 17 - Rien ne s'oppose à la nuit



C'est la sortie récente de son nouveau roman "D'après une histoire vraie" qui m'a donné envie de lire l'un de ses précédents, le top-seller "rien ne s'oppose à la nuit". (Attention, risque majeur de spoil dans les lignes qui suivent!)

De Vigan y raconte l'histoire de sa mère, Lucile, une femme bipolaire. Si sur la première de couverture il y est écrit "roman", les ingrédients ne semblent pas réunis. Tout y semble authentique et biographique. Alors quid de la part ficitonnelle?

Qu'importe après tout car le contenu du "roman" est bon, très bon. Portrait d'une femme bipolaire. Oui mais pas que et c'est justement l'une des forces de ce livre. En effet avant d'être présentée comme une personne souffrant d'une maladie mentale, De Vigan, raconte sa mère depuis sa naissance jusqu'à son ultime souffle. Ainsi la première partie est consacrée à l'enfance de Lucile et sa nombreuse fratrie. On y plonge dans la France d'après la seconde guerre mondiale où De Vigan dans un travail minutieux d'enquêtrice tente de reconstituer les petits détails de la vie sa mère, de ses oncles et tantes et de ses grands-parents. Mais il n'y a pas que les petits riens d'une vie, il y a aussi les grands traumas de la vie et cette famille n'en a pas été épargné. Ainsi la mort accidentelle d'Antonin, le petit frère alors âgé de 6 ans est présentée comme le traumatisme initial. "Désormais la mort d’Antonin ne serait plus qu’une onde souterraine, sismique, qui continuerait d’agir sans aucun bruit." Cette mort sera malheureusement la première d'une cascade de décès. 

Pour réaliser ce gros travail d'investigation, l'auteure a interviewé ceux qui ont côtoyé sa mère et écouté les nombreux enregistrements laissé par son grand-père. Georges, ce patriarche, personnage ambigu aux multiples facettes qui d'abord présenté comme un être affectueux devient un monstre incestueux jamais inquiété. Des incestes cachés, oubliés, de ceux qu'on descend à la cave et que l'on enferme à double tour. Cette part sombre, secret de famille, connu et digéré de tous et finalement accepté de tous afin de ne pas détruire le semblant d'unité familiale. 

Au fil des pages on devine l'aspect extrêmement périlleux de l'exercice auquel se livre l'auteure. Publier un roman qui livre à la lecture de tous l'intimité d'une famille, c'est prendre le risque de se couper des siens à jamais. Delphine De Vigan ose. Ce grand déballage m'a dans un premier temps laissé perplexe et notamment lors des 100 premières pages. En effet j'ai eu l'impression désagréable d'être transformé malgré moi en voyeur, de lire quelque chose qui ne m'était pas destiné. Et puis après la première partie, et notamment lors de la description de décompensation maniaque initiale de sa mère, ce sentiment s'est estompé et j'ai lu avec un intérêt grandissant cette vie qui bascule. 

Ici, la maladie n'est pas présentée comme surgie de nulle part, elle s'inscrit au contraire dans un continuum où les événements passés douloureux participent à son apparition. La décompensation maniaque sur un mode très délirant (cf la séance d'acupuncture sur sa fille mineure associée aux pouvoirs télépathique) s'inscrit comme une réponse à un quotidien devenu insupportable car trop exigeant. 

Débute alors une vie sous neuroleptiques où les symptômes sont contenus mais les affects aussi. Dans son écrits Lucille laisse ceci: 

"J’éprouve encore des sentiments pour mes enfants, mais je ne peux pas l’exprimer. Je n’exprime plus rien. Je suis devenue laide, je m’en fous, rien ne m’intéresse sinon d’arriver enfin à l’heure de dormir avec les médicaments. Le réveil est horrible. Le moment où je passe de l’inconscient au conscient est un déchirement."

Et s'il y a un avant, il y a aussi un après. Et c'est je crois le plus intéressant dans ce livre: montrer qu'un rétablissement est possible. Pas une guérison ad vitam eternam bien sûr mais pas non plus une simple stabilisation clinique. Non le rétablissement de Lucille après 10 ans passe par une reprise des liens sociaux, une reprise des études (pour devenir assistante sociale) et un retour à l'emploi auprès de populations démunies. 15 ans, son rétablissement durera 15 ans avant une nouvelle rechute. Pour les lecteurs qui sont aussi soignants psy, ce livre est je trouve une source formidable d'espoir. Nous qui dans les murs de nos hôpitaux voyons défiler ces patients bipolaires en pleine décompensation perdons souvent cet espoir. Les hospitalisations itératives desquelles aucune amélioration se semble surgir sont fréquentes. Pourtant, ce livre en est la preuve, un retour à un mieux-être et à une vie épanouissante est possible...

Si l'histoire de Lucille s'achève sur un suicide qui semble réactionnel à son cancer j'ai beaucoup aimé la formulation utilisée pour justifier cette fin. L'envie de "mourir vivante".

Voilà c'est donc un excellent livre, courageux et sincère qui outre le rétablissement d'une femme montre aussi les dommages collatéraux que provoque la maladie sur l'entourage: Pour une personne malade, combien de personnes atteintes? Combien d'aidants en souffrance, combien de familles désarmées? 

Et puis comme souvent quand un bouquin est bon il ouvre la porte à pleins d'autres livres. Celui-ci il m'a donné l'envie de lire L'intranquille de Garouste et de découvrir un peu plus l'oeuvre de Delphine de Vigan. "Jours sans faim" sur son vécu d'anorexique devrait rapidement figurer parmi mes lectures.

Alors c'est sûr je recommande ce livre. Bouleversant, sincère et fruit d'un gros travail d'écrivain, ce roman a eu un succès mérité. Mais il n'est pas réservé qu'au grand public puisque le professionnel de santé y trouvera beaucoup d'infos que ce soit sur la façon dont les familles vivent l'hospitalisation d'un proche ou sur la possibilité du rétablissement. Passionnant!





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