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Cette chronique "épisode 2" fait suite en toute logique à l'épisode 1 que vous pouvez lire ici:
http://suzieqisinthehouseofmadness.blogspot.com/2015/10/19-absence-de-sommeil-blues-matinal.html
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Donc je suis là, à ma fenêtre, mug de café à la main. J'observe les premiers passants qui d'un pas assuré vont acheter pains, baguettes ou viennoiseries... D'autres cherchent un refuge accueillant dans un troquet chaleureux pour y avaler un café serré tout en s'abreuvant des nouvelles fraîches du jour.
C'est en écrivant cette chronique que ça m'est revenu. Cette affiche, là réunion d'équipe. Je me demandais par quelle association d'idées farfelue cette réunion vieille d'il y a plus d'un an s'était manifestée à mon esprit. Par quel cheminement mental mon cerveau était passé pour la faire resurgir en ce matin frisquet. Ai-je aperçu un gamin a bloc sur sa DS? France Inter a-t-il ouvert le 6-9 sur une actualité liée au monde du jeu vidéo? Ai-je vu un passant dont le physique me rappelait vaguement cet étudiant de deuxième année en stage dans le service? Fauve fait-il une allusion à Wacraft dans l'une de ses chansons? à dire vrai, aucune de ces suppositions ne m'apportait satisfaction.
Non la réponse était autre. Là, en bas de la rue, dans un angle mort ou presque, il y avait cet homme, ce colleur d'affiche. Sur le coup, je n'y ai porté qu'une attention discrète et pourtant il s'inscrivit bel et bien dans mon esprit. Et, miracle de la mémoire, alors que je suis là plantée devant mon pc, a rédiger ce billet, son souvenir est limpide dans mon esprit. Et plus particulièrement celui de l'affiche qu'il collait, celle d'un jeu vidéo - le dernier volet de la série Call Of Duty - que le Leclerc local proposait à un pris défiant soit disant toute concurrence.
Alors vous allez me dire "Hey Suzie Q tu débloques, qu'est-ce qu'on en a à carrer de ta passion pour les bonnes affaires au rayon playstation?" Et vous auriez raison, alors avant de vous mettre en colère, permettez-moi de passer directement à ce qui nous intéresse, la réunion clinique.
La réunion clinique? ben oui, elle est hebdomadaire, chaque vendredi de 15h à 17h. En équipe pluridisciplinaire, c'est à dire qu'autour de la table se retrouvent toutes les personnes impliquées dans la prise en charge. Psychiatre, médecin somaticien, IDE en nombre plus ou moins élevé, psychologue, assistante sociale, cadre de santé et puis parfois curateur ou tuteur voire éducateur. On y aborde les prises en charges selon un ordre du jour préparé en amont et qui mêle admissions récentes, prise en charge problématiques, projets patients. C'est un temps précieux ou la parole se veut libre, indépendante des positions hiérarchiques de chacun. Enfin en théorie...
Ce jour là, il a aussi Kevin qui est présent à la réunion. Vous l'avez deviné, Kevin c'est l'étudiant infirmier. Il est en deuxième année et en est à sa quatrième semaine sur les dix qu'en compte son stage. Jusqu'alors j'ai peu travaillé avec lui mais de l'avis de mes collègues, Kevin est un élève appliqué et discret.
Il est près de 16h et la réunion se fait sans surprise ni passion. On déroule sans grande nouveauté. Pour untel on poursuit l'observation clinique, pour un autre on augmente les neuroleptiques et pour son voisin de chambre on diminue les anxioloytiques. Pour cette dame qui se cloître dans sa chambre et se ferme à tout échange, on tente de sortir marcher avec elle dans le parc et on en reparle d'ici quelques jours. On fait tourner le café tiède et les biscuits puis on aborde Mr T.
Mr T. est arrivé depuis 4 jours dans le service. 22 ans le garçon. Son admission - sa première - s'est faite après qu'il ait inquiété ses parents qui n'arrivaient plus à le joindre. Chou-blanc que ce soit au téléphone ou en venant toquer à sa porte. Enfermé dans son studio il ne donnait plus aucune nouvelle depuis près de deux semaines. C'est finalement son frère - avec qui Mr T. entretient des rapports certes distants mais bons - qui avait réussi à entrer dans le logement et qui l'avait trouvé dans un état déplorable. Absence d'hygiène corporelle, appartement sens dessus dessous avec restes alimentaires jonchant le parquet, poubelles non vidées, odeur nauséabonde, volets fermés, pâleur extrème, yeux explosés, perte de poids évidente. Mais au beau milieu de ce logement saccagé, un pc rutilant trônait. Un pc dernier cri, un special gamer comme on peut lire à la fnac ou ailleurs. Et Mr T. qui jouait, jouait, jouait. Gros joueur depuis des années, il venait de "prendre feu" ces dernières semaines et passait entre 16 et 18h par jour derrière son clavier hi-tech.
Après un Bac S obtenu avec mention, Mr T avait lâché rapidement le monde des études. Sans formation professionnelle, ni métier, Mr T n'avait jamais travaillé. Son loyer il le payait grâce au virement effectué gracieusement sur son compte bancaire par des parents inquiets en chaque début de mois. Mr T n'avait pas vraiment d'ami encore moins de relation amoureuse.
Déshydraté à son arrivé, Mr T avait aujourd'hui récupéré comme en attestait son iono du jour. Notre intérêt clinique portait à présent plus sur son isolement socio-affectif que sur sa passion dévorante pour le jeu vidéo. Et après ces premiers jours d'hospitalisation Mr T semblait bien parti pour reproduire à l'identique ce comportement. Dans sa chambre, du matin au soir, il n'en sortait que pour se rendre en salle à manger. Et même lors des repas il n'échangeait pas avec les autres patients se contentant d'avaler en vitesse le contenu de son plateau pour regagner au plus vite son lit. Non fumeur il ne se rendait pas non plus dans la zone fumeur, lieu de rencontre par excellence.
Alors on en est là, dissertant vaguement sur la suite à donner à cette prise en charge quant l'un d'entre nous confondant probablement réunion clinique et café du commerce lance ceci: "Non mais ils sont graves les jeunes avec les jeux vidéos. Et les parents qui les laissent faire sans rien dire". Aussitôt quelqu'un ajoute "C'est fou mais tous les gamins dès le primaire ont une DS et si le tien n'en a pas c'est lui qui passe pour un être bizarre!". S'ensuivent des propos sur la soit-disant violence extrème de ces jeux etc etc... Et c'est une question sans réponse qui vient clore le débat "Comment a 22 ans peut-on passer son temps sur ces trucs de gosses??"
La réunion clinique? ben oui, elle est hebdomadaire, chaque vendredi de 15h à 17h. En équipe pluridisciplinaire, c'est à dire qu'autour de la table se retrouvent toutes les personnes impliquées dans la prise en charge. Psychiatre, médecin somaticien, IDE en nombre plus ou moins élevé, psychologue, assistante sociale, cadre de santé et puis parfois curateur ou tuteur voire éducateur. On y aborde les prises en charges selon un ordre du jour préparé en amont et qui mêle admissions récentes, prise en charge problématiques, projets patients. C'est un temps précieux ou la parole se veut libre, indépendante des positions hiérarchiques de chacun. Enfin en théorie...
Ce jour là, il a aussi Kevin qui est présent à la réunion. Vous l'avez deviné, Kevin c'est l'étudiant infirmier. Il est en deuxième année et en est à sa quatrième semaine sur les dix qu'en compte son stage. Jusqu'alors j'ai peu travaillé avec lui mais de l'avis de mes collègues, Kevin est un élève appliqué et discret.
Il est près de 16h et la réunion se fait sans surprise ni passion. On déroule sans grande nouveauté. Pour untel on poursuit l'observation clinique, pour un autre on augmente les neuroleptiques et pour son voisin de chambre on diminue les anxioloytiques. Pour cette dame qui se cloître dans sa chambre et se ferme à tout échange, on tente de sortir marcher avec elle dans le parc et on en reparle d'ici quelques jours. On fait tourner le café tiède et les biscuits puis on aborde Mr T.
Mr T. est arrivé depuis 4 jours dans le service. 22 ans le garçon. Son admission - sa première - s'est faite après qu'il ait inquiété ses parents qui n'arrivaient plus à le joindre. Chou-blanc que ce soit au téléphone ou en venant toquer à sa porte. Enfermé dans son studio il ne donnait plus aucune nouvelle depuis près de deux semaines. C'est finalement son frère - avec qui Mr T. entretient des rapports certes distants mais bons - qui avait réussi à entrer dans le logement et qui l'avait trouvé dans un état déplorable. Absence d'hygiène corporelle, appartement sens dessus dessous avec restes alimentaires jonchant le parquet, poubelles non vidées, odeur nauséabonde, volets fermés, pâleur extrème, yeux explosés, perte de poids évidente. Mais au beau milieu de ce logement saccagé, un pc rutilant trônait. Un pc dernier cri, un special gamer comme on peut lire à la fnac ou ailleurs. Et Mr T. qui jouait, jouait, jouait. Gros joueur depuis des années, il venait de "prendre feu" ces dernières semaines et passait entre 16 et 18h par jour derrière son clavier hi-tech.
Après un Bac S obtenu avec mention, Mr T avait lâché rapidement le monde des études. Sans formation professionnelle, ni métier, Mr T n'avait jamais travaillé. Son loyer il le payait grâce au virement effectué gracieusement sur son compte bancaire par des parents inquiets en chaque début de mois. Mr T n'avait pas vraiment d'ami encore moins de relation amoureuse.
Déshydraté à son arrivé, Mr T avait aujourd'hui récupéré comme en attestait son iono du jour. Notre intérêt clinique portait à présent plus sur son isolement socio-affectif que sur sa passion dévorante pour le jeu vidéo. Et après ces premiers jours d'hospitalisation Mr T semblait bien parti pour reproduire à l'identique ce comportement. Dans sa chambre, du matin au soir, il n'en sortait que pour se rendre en salle à manger. Et même lors des repas il n'échangeait pas avec les autres patients se contentant d'avaler en vitesse le contenu de son plateau pour regagner au plus vite son lit. Non fumeur il ne se rendait pas non plus dans la zone fumeur, lieu de rencontre par excellence.
Alors on en est là, dissertant vaguement sur la suite à donner à cette prise en charge quant l'un d'entre nous confondant probablement réunion clinique et café du commerce lance ceci: "Non mais ils sont graves les jeunes avec les jeux vidéos. Et les parents qui les laissent faire sans rien dire". Aussitôt quelqu'un ajoute "C'est fou mais tous les gamins dès le primaire ont une DS et si le tien n'en a pas c'est lui qui passe pour un être bizarre!". S'ensuivent des propos sur la soit-disant violence extrème de ces jeux etc etc... Et c'est une question sans réponse qui vient clore le débat "Comment a 22 ans peut-on passer son temps sur ces trucs de gosses??"
C'est ce moment que choisi Kevin, l'étudiant infirmier, pour prendre la parole. Je l'observe depuis quelques minutes et je vois la tension monter en lui. Je sens qu'il fulmine, qu'il ronge son frein.
- Excusez-moi dit-il mais vous en prenez souvent en charge des addictions sans substance?
- Des addictions sans quoi? répond en rigolant un collègue.
- Ben, c'est comme ça qu'on dit non? des addictions sans substance. Addictions aux jeux d'argent, pari sportif, sexe ou encore jeux vidéos... Enfin toutes les addictions sans drogue ou alcool.
- Euh non pas souvent c'est vrai. On fait dans le traditionnel ici bibine et pétard.
- Ok, c'est bien ce que je pensais.
- Pourquoi tu dis ça?
- Ben parce que vous avez pas l'air de vraiment connaître votre sujet.
D'un seul coup, ça rigole moins. Son affirmation jette un froid. Autant de culot, c'est inhabituel chez un étudiant.
- Pourquoi dis-tu cela Kevin, demande le cadre?
- Excusez moi, j'veux pas être impolis, mais tout ce que vous venez de dire tout à l'heure c'est une accumulation de poncif.
- Tu veux dire ce qu'on a dit sur les Nintendos et la violence des jeux.
- Oui tout ça en effet. Dire ça, c'est dire que les joueurs sont des gens étranges, des gens qui vivent sur une autre planète. Or combien d'entre nous ont leur smartphone dans leur poche? La plupart d'entre nous et vous le savez autant que moi. Et combien se réfugient dès qu'ils ont un instant de libre sur Candy crush, clash of clans ou angry birds? Alors après ça ne venez pas me dire que les joueurs sont des gosses!
- Bon essaye de tempérer le cadre, on se calme, c'est visiblement un sujet qui te tiens à cœur...
- Non c'est pas ça, ça n'a rien à voir avec moi! Mais votre patient, Mr T, ce n'est pas un joueur de Mario Kart, de pacman ou de tetris. Il joue à des MMORPG et si vous ne comprenez pas sa dépendance, y'a peu de chances pour que vous puissiez l'aider.
- Il joue à quoi tu as dis? demandent en cœur plusieurs voix autour de la table.
- à un MMORPG.
- Un?
- C'est l'acronyme de massively multiplayer online role-playing game ce qui veut dire jeux de rôle en ligne massivement multijoueur.
- Ok donc si on te suis, il joue pas à Super Mario mais à un jeu de rôle. Soit. Mais ça change quoi?
- Et bien beaucoup de choses. Je crois que c'est le moment de parler des univers persistants.
- Des univers persistants... c'est à dire?
- Depuis les années 80 le monde des jeux a beaucoup évolué. L'époque où les gamins jouaient à un jeu et à l'heure du dîner mettait la console sur pause pour aller manger et mieux reprendre leur partie après est révolue.
- Ahah, ça c'était mon époque!
- Avant on pouvait jouer, éteindre la console avant d'aller se coucher et le lendemain, grâce aux systèmes de sauvegarde, reprendre notre partie là où on l'avait laissée.
- Ou pas...!
- Et puis le Net est arrivé. Rappelez vous la première moitié des années 2000. Tout le monde s'est équipé et l'ADSL s'est propagé comme une traînée de poudre. C'est alors que Blizzard a lancé l'offensive World of Warcraft. Les joueurs disent Wow.
- Wow?
- Oui Wow. Wow n'est peut-être pas le premier mais il s'agit du plus populaire des MMORPG. On a parlé de plus de 12 millions de joueurs.
- Bon ok mais tu veux en venir où au juste?
- J'y arrive! Là grande particularité de Wow et de tous les MMORPG est de faire évoluer le joueur dans un monde persistant. C'est à dire dans un monde qui ne cesse jamais d'exister. Tu peux te déconnecter, éteindre ton pc, voire le débrancher, le jeu lui ne cessera pas d'exister et d'évoluer. Et plus ton absence sera longue, plus tu passeras à côté des évolutions de ce monde virtuel.
- C'est flippant ton truc là?
- Carrément! D'autant plus que tu ne joues plus tout seul. à présent on joue en ligne donc avec d'autres joueurs. Tu es représenté par un avatar qui peut modifier l’environnement et interagir avec les autres joueurs. Des communautés virtuelles existent où les joueurs se réunissent. Les rapports entre joueurs sont forts à la hauteur de leur investissement et de leur implication.
- C'est fou...
- Et donc pour en revenir à la persistance, il faut bien comprendre que quand tu quittes la partie, les autres joueurs continuent le jeu et le monde change. Pour un joueur loin de son écran, c'est très frustrant de savoir que son monde virtuel change sans qu'il ne puisse rien n'y faire. Frustrant et angoissant. Voilà... c'est ce que je souhaitais vous exposer afin que vous ne considériez pas votre patient atteint d'une fausse dépendance, une dépendance qu'on peut prendre à la légère. Non croyez moi les MMORPG sont des objets vidéo ludiques au potentiel addictif très très important.
- Enfin ça reste qu'un jeu
- Peut-être... mais crois-moi ce jeu envahit rapidement toutes les sphères de ta vie privée. Et c'est quand tu éteins ton pc que tu t'en aperçois. Où que tu sois, quoi que tu fasses tu penses au jeu. En famille, à l'école, au boulot, chez des amis et même quand tu fais tes courses, tu n'es jamais où tu es censé être. Ton corps y est peut-être mais ton esprit est resté coincé dans son monde virtuel.
***
*
dernier épisode vendredi 16 octobre où l'on verra l'impact des propos de l'étudiant.
ps: et si les explications de Kevin n'était pas assez claires pour toi, tu peux aller jeter un oeil à cette vidéo qui résume bien le principe du mmorpg:
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