Quel livre! Oui quel livre! C'est en écoutant "Tout et son contraire", l'émission de Philippe Vandel sur France Info que j'ai découvert Sorj Chalandon. Si son nom m'était familier, son univers beaucoup moins. L'entendre ainsi parler à la radio de ses traumatismes, matière première de ses romans, m'a donner envie de le lire.
Comme avec Delphine de Vigan, les écrits de Chalandon se tiennent à la frontière entre autobiographie et fiction. Comme avec Delphine de Vigan, Sorj Chalandon a un parent malade. Si pour elle c'est sa mère, pour lui c'est son père. C'est à peu près là les uniques points communs entre ces deux livres.
Là où De Vigan livrait une enquête minutieuse et un hommage en forme d'amour à sa mère (cf ma critique de Rien ne s'oppose à la nuit) Chalandon parle de son père avec le regard naïf d'un enfant d'une dizaine d'années.
Le petit Nicolas prend sa raclée.
Oui il y a un peu de ça. Emile - le personnage principal de ce roman - est un mix entre Sorj Chalandon et son frère. Emile vit avec son père et sa mère dans un petit appartement Lyonnais. C'est un enfant est comme la plupart des enfants, il croit ce que lui dit son père. Trop jeune pour avoir un regard critique, trop jeune pour remettre en cause les dires de son père. Et pourtant il y aurait de quoi...
Car son père est assurément un grand malade. Affabulateur, mythomane, conjoint et père violent... cet homme fait froid dans le dos. Il y a probablement quelque chose à chercher du côté de la psychose mais ça Chalandon n'en parle pas. Le diagnostic, le discours médical il n'en parle pas, ou alors si peu, se contentant de livrer sa version, sa vision d'enfant.
Son père a beau vivre en pyjama et rarement sortir de l'appartement familial il mène une vie hors du commun. Agent secret, rien que ça. Mais aussi fondateur des compagnons de la chanson, ceinture noire de judo, pasteur protestant, parachutiste. Et impliqué dans tout les grands changements politiques de l'époque. Du changement de monnaie jusqu'à l'organisation de l'assassinat du Général De Gaulle. Ben oui car quand cette la belle relation avec le Général prend l'eau, il faut tuer l'ex-ami. Et c'est Emile du haut de ses 13 ans qui s'y retrouve impliqué jusqu'au cou.
ça peut sembler abracadabrantesque et pourtant c'est vrai! Tout au long de ses interview le dit et le redis toutes les anecdotes relatives à son père sont véridiques.
L'écriture de Chalandon est intelligente. Des phrases courtes, ciselées qui jamais ne cherchent à nous faire pleurer. Ici on ne sombre pas dans le pathos et c'est très bien vu car pathétique les deux parents le sont assez comme ça. Pas la peine d'en rajouter.
Le père tout d'abord. Puissant parmi les puissants dans sa tête, il est en réalité sans profession. Véritable tyran il n'hésite pas à frapper son fils et l'enfermer des heures durant dans une armoire appelée "maison de correction". Emile ne lui en veut pas. Emile est fasciné par ce père qui lui confie des missions hors du commun. Un jour on utilise des talkies-walkies pour donner des consignes de vol à des avions, un autre jour on demande au fiston de courir à en perdre haleine pour délivrer des lettres ultra-confidentielles-top-secrètes.
Très tardivement pris en charge par la psychiatrie, ce père au-delà de sa violence est un malade triste. Un homme qui provoquerait presque la pitié. Un homme qui construit sa vie en regardant les actualités à la télé, le cul vissé dans le canapé. Un homme dont les délires, les décompensations jamais traitées, font mal au coeur mais surtout au corps... de ses proches. Un homme qui n'est rien mais qui est incapable de s'en rendre compte. Un homme qui croît intimement être un grand de ce monde alors qu'il y appartient à peine... Sa plus grande réussite finalement sera d'être le père de Sorj, devenu un magnifique artisan des mots.
Mais le père n'a pas le monopole du pathétique. Maman s'en réserve une belle part. Véritable tampon usagé - je sais l'image n'est pas grandiose - elle est une femme soumise qui tente donc vaguement de faire le tampon entre un mari violent et un fils régulièrement transformé en punching-ball. Son fatalisme fait froid dans le dos, tout comme la façon avec laquelle elle accepte les délires de son conjoint. Jamais un mot plus haut que l'autre, jamais la force de s'opposer. Elle vit dans sa cuisine, partagée entre ses légumes à éplucher et la crainte de son bourreau de bonhomme. Pour toute explication, elle se contente du laconique mais répétitif "Tu connais ton père"...
Ce livre pourrait être horrible à l'image de l'enfance de l'auteur. Mais Sorj Chaladon malgré la violence, malgré les épreuves endurées à la délicatesse d'en faire un livre empli de tendresse. Si c'est l'adulte qui écrit, c'est l'enfant qui parle. Au fil des pages, le pouvoir de fascination du père semble encore présent. Une fascination habitée du mystère qui caractérise la folie de cet homme.
C'est une oeuvre cathartique, fruit de la résilience d'un auteur. C'est aussi une oeuvre que l'auteur a gardé dans un carton avant de la faire publier. En attendant la mort de son père. Oui délicatesse encore, celle de ne pas lui faire, avec ce livre, un procès de son vivant. Enfin, grâce à ce livre et au travail de son fils, ce père atteint ce statut dont il a toujours rêvé, celui de héros. Et mieux encore, héros post-mortem.
Allez un classique des compagnons de la chanson:
Allez un classique des compagnons de la chanson:
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