mercredi 24 juillet 2019

La Bombe Humaine



C'était au mois de mai dans le numéro 404 de l'infirmière magazine. Un court texte qui évoque la difficulté de prendre un charge une addicte au crack dans un service psychiatrie générale.

Le texte peu se lire ici sur le site d'espace infirmier :https://www.espaceinfirmier.fr/actualites/debats/chroniques/190513-la-bombe-humaine.html

Je l'ai également recopié ci-dessous:



Elle est là et puis elle n’est plus là. À sa place, le vide, l’immense vide. Tout le monde le voit, le ressent. Avant elle, il y avait le calme, après, le vide, et pendant, ce fut la tornade. Elle nous a soufflés et on a aimé. Pendant quelques heures, jusqu’à la prochaine admission, il faudra composer avec son absence. Chaque lieu en est chargé. La salle TV est si triste et les couloirs sont redevenus muets et sordides. Assises face à un programme qu’aucune ne saurait nommer, nos petites vieilles, têtes basses, sont plus seules que jamais.
Quand la géronto-psy ne sait plus où accueillir, elle fait comme tout le monde, elle frappe à la porte des services voisins. Qu’importe la folie pourvue qu’elle soit hospitalisée. L’hôpital est un fourre-tout, cachez ces fous que je ne saurais voir. Molière, plus ou moins. Notre service est devenu un lieu de vie. Les anciens s’y sentent bien. On s’agite moins, on ne court plus, on risque de faire du lard, nous prévient le cadre.
Les transmissions ne ressemblent plus à une longue énumération des transgressions et les diagnostics de décompensation schizophrénique ont été remplacés par psychose ancienne avec altération de l’état général. Il y a aussi ces idées de mort, si présentes, chez ceux qui vivent avec l’œil dans le rétro. Oui, la vie mérite d’être vécue, mais ce n’est pas facile de redonner du sens à celui qui est convaincu que tout est derrière lui. Les souvenirs, aussi beaux soient-ils, ne forment pas des projets.
Alors, quand elle a débarqué, ce fut le Big Bang. Une furie dans un musée de cire. Accro au crack, elle déboule avec fracas et raconte à qui le veut le manque que son corps ne peut masquer. Tremblante, en sueur, elle parle de son envie d’inhaler. Aux mamies qui ignorent tout de la cocaïne, elle leur parle d’un kiff ultime avec Jésus. « Te défoncer, c’est comme si tu couchais avec ton Créateur. » Elle cogne partout, elle hurle, elle court, elle est insupportable.
On voudrait l’aider mais ça va trop vite. Alors on improvise. On la soutient, on la motive, on l’écoute. Soignants comme patients, tous unis pour l’aider à surpasser sa souffrance. Prisonnière d’un produit qu’elle aime trop, elle sait qu’elle va y rester si elle ne change pas. Pendant une semaine, on prend soin d’elle et puis, sans prévenir, elle est partie. Trop à l’étroit dans le service. En quête de liberté, on croise les doigts pour qu’elle la trouve loin de cette prison qu’est la coke. Soignants et patients, aujourd’hui, nous pensons à elle. Elle nous a marqués, elle nous manque, nous sommes addicts.