dimanche 25 octobre 2015

# Revue de web du 25 octobre 2015




où la psychanalyse s'en prend plein la gueule! La tête au carré, excellente émission sur France inter avec Didier Pleux, chef de file des TCC en France. http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1169569

où l'on parle ethnopsychiatrie et voix: http://www.slate.fr/story/107799/hommes-inegaux-schizophrenie

où le New York Times se penche sur le sort réservé aux malades mentaux en Afrique. Attention, c'est dur! http://www.nytimes.com/2015/10/12/health/the-chains-of-mental-illness-in-west-africa.html?smid=fb-nytimes&smtyp=cur&_r=0

où la fondation fondamentale et l'institut Montaigne reviennent donne des pistes très intéressantes (en écho au carton rouge sur la recherche française en psychiatrie, cf revue de presse de la semaine passée): http://www.desideespourdemain.fr/index.php/post/2015/01/13/Maladies-mentales-:-alerter-sur-le-retard-fran%C3%A7ais#.Vh39kFXtmkp





vendredi 23 octobre 2015

# 23 - Sorj Chalandon profession du père











Quel livre! Oui quel livre! C'est en écoutant "Tout et son contraire", l'émission de Philippe Vandel sur France Info que j'ai découvert Sorj Chalandon. Si son nom m'était familier, son univers beaucoup moins. L'entendre ainsi parler à la radio de ses traumatismes, matière première de ses romans, m'a donner envie de le lire. 



Comme avec Delphine de Vigan, les écrits de Chalandon se tiennent à la frontière entre autobiographie et fiction. Comme avec Delphine de Vigan, Sorj Chalandon a un parent malade. Si pour elle c'est sa mère, pour lui c'est son père. C'est à peu près là les uniques points communs entre ces deux livres.

Là où De Vigan livrait une enquête minutieuse et un hommage en forme d'amour à sa mère (cf ma critique de Rien ne s'oppose à la nuit) Chalandon parle de son père avec le regard naïf d'un enfant d'une dizaine d'années. 

Le petit Nicolas prend sa raclée.




Oui il y a un peu de ça. Emile - le personnage principal de ce roman - est un mix entre Sorj Chalandon et son frère. Emile vit avec son père et sa mère dans un petit appartement Lyonnais.  C'est un enfant est comme la plupart des enfants, il croit ce que lui dit son père. Trop jeune pour avoir un regard critique, trop jeune pour remettre en cause les dires de son père. Et pourtant il y aurait de quoi...

Car son père est assurément un grand malade. Affabulateur, mythomane, conjoint et père violent... cet homme fait froid dans le dos. Il y a probablement quelque chose à chercher du côté de la psychose mais ça Chalandon n'en parle pas. Le diagnostic, le discours médical il n'en parle pas, ou alors si peu, se contentant de livrer sa version, sa vision d'enfant.

Son père a beau vivre en pyjama et rarement sortir de l'appartement familial il mène une vie hors du commun. Agent secret, rien que ça. Mais aussi fondateur des compagnons de la chanson, ceinture noire de judo, pasteur protestant, parachutiste. Et impliqué dans tout les grands changements politiques de l'époque. Du changement de monnaie jusqu'à l'organisation de l'assassinat du Général De Gaulle. Ben oui car quand cette la belle relation avec le Général prend l'eau, il faut tuer l'ex-ami. Et c'est Emile du haut de ses 13 ans qui s'y retrouve impliqué jusqu'au cou.

ça peut sembler abracadabrantesque et pourtant c'est vrai! Tout au long de ses interview le dit et le redis toutes les anecdotes relatives à son père sont véridiques.

L'écriture de Chalandon est intelligente. Des phrases courtes, ciselées qui jamais ne cherchent à nous faire pleurer. Ici on ne sombre pas dans le pathos et c'est très bien vu car pathétique les deux parents le sont assez comme ça. Pas la peine d'en rajouter.

Le père tout d'abord. Puissant parmi les puissants dans sa tête, il est en réalité sans profession. Véritable tyran il n'hésite pas à frapper son fils et l'enfermer des heures durant dans une armoire appelée "maison de correction". Emile ne lui en veut pas. Emile est fasciné par ce père qui lui confie des missions hors du commun. Un jour on utilise des talkies-walkies pour donner des consignes de vol à des avions, un autre jour on demande au fiston de courir à en perdre haleine pour délivrer des lettres ultra-confidentielles-top-secrètes.

Très tardivement pris en charge par la psychiatrie, ce père au-delà de sa violence est un malade triste. Un homme qui provoquerait presque la pitié. Un homme qui construit sa vie en regardant les actualités à la télé, le cul vissé dans le canapé. Un homme dont les délires, les décompensations jamais traitées, font mal au coeur mais surtout au corps... de ses proches. Un homme qui n'est rien mais qui est incapable de s'en rendre compte. Un homme qui croît intimement être un grand de ce monde alors qu'il y appartient à peine... Sa plus grande réussite finalement sera d'être le père de Sorj, devenu un magnifique artisan des mots.

Mais le père n'a pas le monopole du pathétique. Maman s'en réserve une belle part. Véritable tampon usagé - je sais l'image n'est pas grandiose - elle est une femme soumise qui tente donc vaguement de faire le tampon entre un mari violent et un fils régulièrement transformé en punching-ball. Son fatalisme fait froid dans le dos, tout comme la façon avec laquelle elle accepte les délires de son conjoint. Jamais un mot plus haut que l'autre, jamais la force de s'opposer. Elle vit dans sa cuisine, partagée entre ses légumes à éplucher et la crainte de son bourreau de bonhomme. Pour toute explication, elle se contente du laconique mais répétitif  "Tu connais ton père"...

Ce livre pourrait être horrible à l'image de l'enfance de l'auteur. Mais Sorj Chaladon malgré la violence, malgré les épreuves endurées à la délicatesse d'en faire un livre empli de tendresse. Si c'est l'adulte qui écrit, c'est l'enfant qui parle. Au fil des pages, le pouvoir de fascination du père semble encore présent. Une fascination habitée du mystère qui caractérise la folie de cet homme.

C'est une oeuvre cathartique, fruit de la résilience d'un auteur. C'est aussi une oeuvre que l'auteur a gardé dans un carton avant de la faire publier. En attendant la mort de son père. Oui délicatesse encore, celle de ne pas lui faire, avec ce livre, un procès de son vivant. Enfin, grâce à ce livre et au travail de son fils, ce père atteint ce statut dont il a toujours rêvé, celui de héros. Et mieux encore, héros post-mortem.

Allez un classique des compagnons de la chanson:






mardi 20 octobre 2015

# 22 - Le locataire de Roman Polanski



C'est l'histoire d'un passage à l'acte, d'un passage à l'acte inéluctable. Du genre qui aurait nécessité une hospitalisation d'urgence. Mais ici, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Non ici on ira jusqu'au bout, jusqu'à ce que sa fasse mal. Ce passage à l'ace, c'est celui de Trelkovsky, alias Roman Polanski himself, qui va au cours de deux heures que dure le film décompenser sa psychose. Deux heures d'une montée progressive en angoisse où Polanski - dont l'interprétation est tout aussi excellente que la réalisation - sombrera dans une folie faite de persécution et d'interprétations erronées.

Trelkovsky n'est pas un original, bien au contraire. Il serait même un brin chiant... Homme discret doté d'un charisme qui l'est tout autant (quoique, il parvient sans peine à séduire Isabelle Adjani) il nous avant tout présenté comme le nouveau locataire d'un appartement. Et cela n'est pas sans importance.




Le film ne s'appelle ni le bureaucrate, ni l'archiviste mais bien le locataire car cette location est au coeur du délire qui va se construire dans l'esprit de Trelkowsky. L'appartement et son histoire en est à la fois le point de départ et le point d'ancrage. A ce titre "le locataire" constitue avec "Repulsion" et "Rosemary's Baby" un triptyque absolument hallucinant sur les appartements et leur contribution aux angoisses de leurs occupants. La précédente locataire s'est défenestrée et est entre la vie et la mort à l'hôpital. Quelle mauvaise idée a Trelkovsky de se rendre à son chevet alors qu'il ne la connaît même pas. Cette visite va le hanter au point qu'il va petit à petit s'identifier à cette femme.

S'il vous arrive de vous entretenir avec des schizophrènes en phase aiguë de leur maladie, vous avez déjà dû avoir cette impression que leurs 5 sens sont plus qu'en éveils, ils agissent comme des méga-récepteurs. Comme si tous les stimulis extérieurs leur parvenaient en même temps, sans tri ni hiérarchisation. Cela est très bien reproduit grâce au travail à la musique de Philippe Sarde. Chaque son de ce vieux Paris est exacerbé ce qui participe au climat anxiogène et oppressant qui semble condamner Trelkowsky. 

Ce climat atteint son acmée au cours d'une scène ou Polanski-Trelkowsky se rend sur aux toilettes située hors de l'appartement et desquelles il voit son double resté dans l'appartement. Angoisse massive! Je mets le lien youtube mais préférez voir le film en entier si vous ne connaissez pas:





Malgré ses 40 ans ce film montre à voir la psychose comme peu le font. Repulsion, 10 ans plus tôt, du même Polanski, traitait des mêmes thèmes si ce n'est que la décompensation de Catherine Deneuve se faisait sur un mode hétéro-agressif. Chose que j'avais regretté car cela montrait le schizophrène comme un être dangereux pouvant frapper à tout moment. Malgré cela j'avais trouvé Repulsion excellent. Bande-annonce:




Avec "Le locataire", Polanski affine son propos en montrant que l'agressivité du psychotique vient en réponse à un monde insupportable fait ici de fausses reconnaissances, d'impression de complot et d'interprétations hâtives. Tout cela plongeant son personnage principal dans une peur permanente dont les seule issues sont soit de faire face en agressant à son tour (stratégie défensive) soit de se tuer (stratégie d'abandon) pour supprimer la peur. CQFD.

Polanski dont la vie est émaillée de traumatismes (sa mère meurt à Auschwitz, sa femme Sharon Tate est assassinée alors qu'elle était enceinte de 8 mois par les fidèles de Charles Manson gourou de la secte "la famille"...) livre une fois de plus une oeuvre fascinante et puissante qui fait de lui un auteur unique et qui continue plusieurs décennies après à livrer de grands films (cf "the ghost writer" en 2010, "carnage" en revanche en était un... carnage!). 

Alors un conseil à tous les professionnels de santé en psy: 
REGARDEZ LE LOCATAIRE !
(Et si vous ne bossez pas en psy: regardez le locataire!)


Bon et puis comme ce film est l'adaptation d'un roman de Topor, il ne me reste plus qu'à lire dès que je mets la main dessus "le locataire chimérique"!

pour aller plus loin: la page de polanski sur wikipédia



dimanche 18 octobre 2015

# Revue du web du 18 octobre




où Antoine de Maximy rencontre au fil de ses déambulations Namuroise un ex-vendeur de voitures en pleine reconversion infirmière. L'envie d'être utile. à 48 ans, bon courage Hughes! à voir en replay et à partir de la 38ème minute. http://pluzz.francetv.fr/videos/j_irai_dormir_chez_vous.html

où l'on parle des addicts au boulot. à mettre en lien avec ma dernière chronique "absence de sommeil et MMORPG": http://www.lepoint.fr/societe/accro-au-boulot-une-addiction-a-ne-pas-prendre-a-la-legere-09-10-2015-1972242_23.php

où l'ap-hp met en place une appli pour la communication non verbale entre soignants et patients:
http://www.aphp.fr/medipicto Je suis impatiente de l'essayer!

où l'on sort le carton rouge sur la recherche psychiatrique en France. Triste constat. extrait: "Car ces lacunes ont une cause bien identifiée : un manque cruel de financement. La part de la recherche en santé allouée à la santé mentale est en France de 4% contre 6% en Espagne 7% au Royaume Uni, 10% en Finlande (16% aux Etats-Unis ) !" Édifiant non? http://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/20151008.OBS7298/carton-rouge-pour-la-recherche-francaise-en-psychiatrie.html

où l'on découvre une infirmière poétesse et militaire. Belle découverte grâce à infirmiers.com
http://www.infirmiers.com/votre-carriere/ide-militaire/infirmiere-soldat-poetesse-en-vers-contre-tout.html

où la revue sciences humaines parle de la PNL:
http://www.scienceshumaines.com/a-quoi-sert-la-pnl_fr_34979.html

où l'on parle de santé mentale dans les pays en voie de développement. Interview intéressante http://somapsy.org/interview-avec-michelle-funk-oms/





vendredi 16 octobre 2015

# 21 - Absence de sommeil et MMORPG, épisode 3/3


Aujourd'hui dernier volet de ce billet en 3 parties. Vous pouvez retrouver la première partie ICI et la seconde ICI. Bonne lecture!

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@Vincent Diamante

C'est après ma journée de taf que les propos de Kevin me sont revenus. Petit à petit une étrange théorie s'était construite dans mon esprit et à présent voulait se faire entendre. MMORPG, monde persistants et moi et moi et moi. Moi et mes difficultés de sommeil, moi et ma difficulté à me "déconnecter" du boulot, moi et mon esprit qui, après les heures de boulot, refait les prises en charge, se rejoue les moments clés de la journée. 

Et si ma vie était un MMORPG? L'univers persistant? c'est la continuité des soins. Tu bosses 7 à 8h par jour mais l'hôpital est quant à lui ouvert 24h/24, 7j/7. Une machine que rien ne peut arrêter, pas même les grèves. Alors il change, il n'attend pas que tu reviennes pour évoluer, non il change en permanence et quand tu reprends le boulot ce n'est plus le même service que celui que tu as quitté. 

Jouons-nous un rôle à l'hôpital? C'est un peu tiré par les cheveux mais une fois notre blouse enfilée nous endossons notre rôle soignant. En face de nous il y a les patients dans leur rôle de malades. Vous allez me dire que malade ce n'est pas un rôle. C'est vrai mais pour être plus précise, je veux dire que les personnes hospitalisées, une fois passées les portes de l'hôpital deviennent avant tout des patients, des malades et que nous soignants avons tendance à oublier qu'ils existent par ailleurs dans toutes leurs autres dimensions où la maladie n'en est qu'une (sociales, familiales, amoureuses, professionnelles etc...). Soignants, malades, deux rôles clés de l’hôpital mais ce ne sont pas les seuls. On peut y ajouter le personnel administratif, les services techniques, les syndicats, ou encore les familles de patients ou les associations qui gravitent autour de l'hôpital. J'ai vérifié, le monde de World of Warcraft est diviser entre les membres de l'Alliance et ceux de la Horde. Bon c'est vrai qu'il y a dans WoW une dimension guerrière qu'on ne retrouve pas à l'hôpital (... quoique entre les soignants et l'administration...) mais hormis cela je n'arrive plus à me défaire de ce parallèle hôpital-MMORPG.

On dit de certains patients hospitalisés au long cours que ce sont des chroniques. Et bien je crois que s'il y a des patients chroniques, il y a aussi des soignants addicts. Je crois en être. Quand je retire ma blouse et que j'ai déjà hâte de la remettre, quand mon corps est à la maison mais que mon esprit est à l'hôpital, quand j'aimerais lire Lontano le dernier Grangé mais que je passe mon temps à faire de la veille sur internet afin de connaître les dernières actus liées à mon métier, quand au lieu d'aller faire une grande virée en vélo, je reste enfermée à préparer la future activité thérapeutique que j'envisage de lancer et bien sûr quand au lieu de dormir, je pense hôpital. Oui quand tout cela se produit , je me sens comme une droguée. Suzie Q est une drogue, Suzie Q est une droguée. Workaholic si tu veux, junkie de la psy je préfère. 

Depuis cette fameuse réunion clinique, beaucoup de loxapac a coulé sous les ponts. Kevin a validé avec brio son diplôme et Mr T. a quasiment laissé tomber tous les jeux vidéos. Il s'accord encore quelques parties mais uniquement avec son frère et en local. Terminé le online. Quant à moi, l'idée d'un monde hospitalier similaire à un MMORPG a fait son chemin dans mon esprit. Et si tout ceci n'était qu'un jeu? J'aime bien y penser de temps à autre, cela dédramatise le quotidien parfois lourd et les histoires de vie souvent atroce. Et à présent, quand mes neveux me chambrent parce que je ne comprends rien à leur univers fait de quête, de guilde et de dragons je les toise du regard et leur dis en veillant à rester la plus énigmatique possible "Vous rigolez les kids, ma vie est un putain de MMORPG..."







mardi 13 octobre 2015

# 20 - Absence de sommeil et MMORPG épisode 2/3

@Brite Futures
https://www.flickr.com/photos/npsh/

Cette chronique "épisode 2" fait suite en toute logique à l'épisode 1 que vous pouvez lire ici: 
http://suzieqisinthehouseofmadness.blogspot.com/2015/10/19-absence-de-sommeil-blues-matinal.html



Donc je suis là, à ma fenêtre, mug de café à la main. J'observe les premiers passants qui d'un pas assuré vont acheter pains, baguettes ou viennoiseries... D'autres cherchent un refuge accueillant dans un troquet chaleureux pour y avaler un café serré tout en s'abreuvant des nouvelles fraîches du jour.

C'est en écrivant cette chronique que ça m'est revenu. Cette affiche, là réunion d'équipe. Je me demandais par quelle association d'idées farfelue cette réunion vieille d'il y a plus d'un an s'était manifestée à mon esprit. Par quel cheminement mental mon cerveau était passé pour la faire resurgir en ce matin frisquet. Ai-je aperçu un gamin a bloc sur sa DS? France Inter a-t-il ouvert le 6-9 sur une actualité liée au monde du jeu vidéo? Ai-je vu un passant dont le physique me rappelait vaguement cet étudiant de deuxième année en stage dans le service? Fauve fait-il une allusion à Wacraft dans l'une de ses chansons? à dire vrai, aucune de ces suppositions ne m'apportait satisfaction.

Non la réponse était autre. Là, en bas de la rue, dans un angle mort ou presque, il y avait cet homme, ce colleur d'affiche. Sur le coup, je n'y ai porté qu'une attention discrète et pourtant il s'inscrivit bel et bien dans mon esprit. Et, miracle de la mémoire, alors que je suis là plantée devant mon pc, a rédiger ce billet, son souvenir est limpide dans mon esprit. Et plus particulièrement celui de l'affiche qu'il collait, celle d'un jeu vidéo - le dernier volet de la série Call Of Duty - que le Leclerc local proposait à un pris défiant soit disant toute concurrence. 

Alors vous allez me dire "Hey Suzie Q tu débloques, qu'est-ce qu'on en a à carrer de ta passion pour les bonnes affaires au rayon playstation?" Et vous auriez raison, alors avant de vous mettre en colère, permettez-moi de passer directement à ce qui nous intéresse, la réunion clinique.

La réunion clinique? ben oui, elle est hebdomadaire, chaque vendredi de 15h à 17h. En équipe pluridisciplinaire, c'est à dire qu'autour de la table se retrouvent toutes les personnes impliquées dans la prise en charge. Psychiatre, médecin somaticien, IDE en nombre plus ou moins élevé, psychologue, assistante sociale, cadre de santé et puis parfois curateur ou tuteur voire éducateur. On y aborde les prises en charges selon un ordre du jour préparé en amont et qui mêle admissions récentes, prise en charge problématiques, projets patients. C'est un temps précieux ou la parole se veut libre, indépendante des positions hiérarchiques de chacun. Enfin en théorie...

Ce jour là, il a aussi Kevin qui est présent à la réunion. Vous l'avez deviné, Kevin c'est l'étudiant infirmier. Il est en deuxième année et en est à sa quatrième semaine sur les dix qu'en compte son stage. Jusqu'alors j'ai peu travaillé avec lui mais de l'avis de mes collègues, Kevin est un élève appliqué et discret.

Il est près de 16h et la réunion se fait sans surprise ni passion. On déroule sans grande nouveauté. Pour untel on poursuit l'observation clinique, pour un autre on augmente les neuroleptiques et pour son voisin de chambre on diminue les anxioloytiques. Pour cette dame qui se cloître dans sa chambre et se ferme à tout échange, on tente de sortir marcher avec elle dans le parc et on en reparle d'ici quelques jours. On fait tourner le café tiède et les biscuits puis on aborde Mr T.

Mr T. est arrivé depuis 4 jours dans le service. 22 ans le garçon. Son admission - sa première - s'est faite après qu'il ait inquiété ses parents qui n'arrivaient plus à le joindre. Chou-blanc que ce soit au téléphone ou en venant toquer à sa porte. Enfermé dans son studio il ne donnait plus aucune nouvelle depuis près de deux semaines. C'est finalement son frère - avec qui  Mr T. entretient des rapports certes distants mais bons - qui avait réussi à entrer dans le logement et qui l'avait trouvé dans un état déplorable. Absence d'hygiène corporelle, appartement sens dessus dessous avec restes alimentaires jonchant le parquet, poubelles non vidées, odeur nauséabonde, volets fermés, pâleur extrème, yeux explosés, perte de poids évidente. Mais au beau milieu de ce logement saccagé, un pc rutilant trônait. Un pc dernier cri, un special gamer comme on peut lire à la fnac ou ailleurs. Et Mr T. qui jouait, jouait, jouait. Gros joueur depuis des années, il venait de "prendre feu" ces dernières semaines et passait entre 16 et 18h par jour derrière son clavier hi-tech.

Après un Bac S obtenu avec mention, Mr T avait lâché rapidement le monde des études. Sans formation professionnelle, ni métier, Mr T n'avait jamais travaillé. Son loyer il le payait grâce au virement effectué gracieusement sur son compte bancaire par des parents inquiets en chaque début de mois. Mr T n'avait pas vraiment d'ami encore moins de relation amoureuse.

Déshydraté à son arrivé, Mr T avait aujourd'hui récupéré comme en attestait son iono du jour. Notre intérêt clinique portait à présent plus sur son isolement socio-affectif que sur sa passion dévorante pour le jeu vidéo. Et après ces premiers jours d'hospitalisation Mr T semblait bien parti pour reproduire à l'identique ce comportement. Dans sa chambre, du matin au soir, il n'en sortait que pour se rendre en salle à manger. Et même lors des repas il n'échangeait pas avec les autres patients se contentant d'avaler en vitesse le contenu de son plateau pour regagner au plus vite son lit. Non fumeur il ne se rendait pas non plus dans la zone fumeur, lieu de rencontre par excellence.

Alors on en est là, dissertant vaguement sur la suite à donner à cette prise en charge quant l'un d'entre nous confondant probablement réunion clinique et café du commerce lance ceci: "Non mais ils sont graves les jeunes avec les jeux vidéos. Et les parents qui les laissent faire sans rien dire". Aussitôt quelqu'un ajoute "C'est fou mais tous les gamins dès le primaire ont une DS et si le tien n'en a pas c'est lui qui passe pour un être bizarre!". S'ensuivent des propos sur la soit-disant violence extrème de ces jeux etc etc... Et c'est une question sans réponse qui vient clore le débat "Comment a 22 ans peut-on passer son temps sur ces trucs de gosses??"

C'est ce moment que choisi Kevin, l'étudiant infirmier, pour prendre la parole. Je l'observe depuis quelques minutes et je vois la tension monter en lui. Je sens qu'il fulmine, qu'il ronge son frein.

- Excusez-moi dit-il mais vous en prenez souvent en charge des addictions sans substance?

- Des addictions sans quoi? répond en rigolant un collègue.

- Ben, c'est comme ça qu'on dit non? des addictions sans substance. Addictions aux jeux d'argent, pari sportif, sexe ou encore jeux vidéos... Enfin toutes les addictions sans drogue ou alcool.

- Euh non pas souvent c'est vrai. On fait dans le traditionnel ici bibine et pétard.

- Ok, c'est bien ce que je pensais.

- Pourquoi tu dis ça?

- Ben parce que vous avez pas l'air de vraiment connaître votre sujet.

D'un seul coup, ça rigole moins. Son affirmation jette un froid. Autant de culot, c'est inhabituel chez un étudiant.

- Pourquoi dis-tu cela Kevin, demande le cadre?

- Excusez moi, j'veux pas être impolis, mais tout ce que vous venez de dire tout à l'heure c'est une accumulation de poncif.

- Tu veux dire ce qu'on a dit sur les Nintendos et la violence des jeux.

- Oui tout ça en effet. Dire ça, c'est dire que les joueurs sont des gens étranges, des gens qui vivent sur une autre planète. Or combien d'entre nous ont leur smartphone dans leur poche? La plupart d'entre nous et vous le savez autant que moi. Et combien se réfugient dès qu'ils ont un instant de libre sur Candy crush, clash of clans ou angry birds? Alors après ça ne venez pas me dire que les joueurs sont des gosses!

- Bon essaye de tempérer le cadre, on se calme, c'est visiblement un sujet qui te tiens à cœur...

- Non c'est pas ça, ça n'a rien à voir avec moi! Mais votre patient, Mr T, ce n'est pas un joueur de Mario Kart, de pacman ou de tetris. Il joue à des MMORPG et si vous ne comprenez pas sa dépendance, y'a peu de chances pour que vous puissiez l'aider.

- Il joue à quoi tu as dis? demandent en cœur plusieurs voix autour de la table.

- à un MMORPG.

- Un?

- C'est l'acronyme de massively multiplayer online role-playing game ce qui veut dire jeux de rôle en ligne massivement multijoueur.

- Ok donc si on te suis, il joue pas à Super Mario mais à un jeu de rôle. Soit. Mais ça change quoi?

- Et bien beaucoup de choses. Je crois que c'est le moment de parler des univers persistants.

- Des univers persistants... c'est à dire?

- Depuis les années 80 le monde des jeux a beaucoup évolué. L'époque où les gamins jouaient à un jeu et à l'heure du dîner mettait la console sur pause pour aller manger et mieux reprendre leur partie après est révolue.

- Ahah, ça c'était mon époque!

- Avant on pouvait jouer, éteindre la console avant d'aller se coucher et le lendemain, grâce aux systèmes de sauvegarde, reprendre notre partie là où on l'avait laissée.

- Ou pas...!

- Et puis le Net est arrivé. Rappelez vous la première moitié des années 2000. Tout le monde s'est équipé et l'ADSL s'est propagé comme une traînée de poudre. C'est alors que Blizzard a lancé l'offensive World of Warcraft. Les joueurs disent Wow.

- Wow?

- Oui Wow. Wow n'est peut-être pas le premier mais il s'agit du plus populaire des MMORPG. On a parlé de plus de 12 millions de joueurs.

- Bon ok mais tu veux en venir où au juste?

- J'y arrive! Là grande particularité de Wow et de tous les MMORPG est de faire évoluer le joueur dans un monde persistant. C'est à dire dans un monde qui ne cesse jamais d'exister. Tu peux te déconnecter, éteindre ton pc, voire le débrancher, le jeu lui ne cessera pas d'exister et d'évoluer. Et plus ton absence sera longue, plus tu passeras à côté des évolutions de ce monde virtuel.

- C'est flippant ton truc là?

- Carrément! D'autant plus que tu ne joues plus tout seul. à présent on joue en ligne donc avec d'autres joueurs. Tu es représenté par un avatar qui peut modifier l’environnement et interagir avec les autres joueurs. Des communautés virtuelles existent où les joueurs se réunissent. Les rapports entre joueurs sont forts à la hauteur de leur investissement et de leur implication.

- C'est fou...

- Et donc pour en revenir à la persistance, il faut bien comprendre que quand tu quittes la partie, les autres joueurs continuent le jeu et le monde change. Pour un joueur loin de son écran, c'est très frustrant de savoir que son monde virtuel change sans qu'il ne puisse rien n'y faire. Frustrant et angoissant. Voilà... c'est ce que je souhaitais vous exposer afin que vous ne considériez pas votre patient atteint d'une fausse dépendance, une dépendance qu'on peut prendre à la légère. Non croyez moi les MMORPG sont des objets vidéo ludiques au potentiel addictif très très important.

- Enfin ça reste qu'un jeu

- Peut-être... mais crois-moi ce jeu envahit rapidement toutes les sphères de ta vie privée. Et c'est quand tu éteins ton pc que tu t'en aperçois. Où que tu sois, quoi que tu fasses tu penses au jeu. En famille, à l'école, au boulot, chez des amis et même quand tu fais tes courses, tu n'es jamais où tu es censé être. Ton corps y est peut-être mais ton esprit est resté coincé dans son monde virtuel.


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dernier épisode vendredi 16 octobre où l'on verra l'impact des propos de l'étudiant.

ps: et si les explications de Kevin n'était pas assez claires pour toi, tu peux aller jeter un oeil à cette vidéo qui résume bien le principe du mmorpg:





dimanche 11 octobre 2015

# Revue de presse du 11 octobre 2015



où l'on donne de l'info claire, didactique et pédagogique. C'est sur la réponse du psy, exemple avec l'excellent l'article sur la schizophrénie: http://www.lareponsedupsy.info/Schizophrenie

où l'on apprend que l'Australie vise le rétablissement via une approche holistique et un langage d'espoir: http://somapsy.org/cadre-national-pour-les-soins-de-sante-mentale-orientes-autour-du-retablissement/

où je découvre la newsletter de psycom. Bien faite et riche:
http://www.psycom.org/newsletter/archive/c7bca5807e19678c62c33744097ecc52

où l'on améliore nos diagnostics infirmiers: http://www.icn.ch/ICNP-Browser-NEW.html. Je ne sais pas combien il y en a mais c'est ENORME. Alors, à vos transmissions! (on peut en télécharger un fichier pdf.Ne reste plus ensuite qu'à l'imprimer pour mieux épater nos collègues... ou pas)

où un bipolaire se raconte sur un blog. "fou mais pas totalement": https://laviedunbipolaire.wordpress.com/

où une étudiante IDE, livre un message limpide sur notre identité professionnelle. Bravo: http://www.infirmiers.com/actualites/actualites/edito-notre-avenir-nous-appartient.html

où l'on s'interroge sur les raisons de la non-observance des traitements par les patients. Sujet sensible! http://www.la-croix.com/Ethique/Sciences-Ethique/Sciences/Ces-malades-qui-ne-prennent-pas-leurs-traitements-2015-10-05-1364794?xtor=EPR-9-%5B1300889740

où le débat sur les pratiques avancées n'en est qu'à ses débuts: http://www.cadredesante.com/spip/infos/le-mot-de-la-redaction/article/infirmiers-de-pratiques-avancees-ou-vais-je-ou-cours-je.html




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vendredi 9 octobre 2015

# 19 - Absence de sommeil, blues matinal & MMORPG épisode 1/3

@Marimnz
https://www.flickr.com/photos/mahms/


un long billet scindé en 3 parties, la seconde partie sera publiée mardi 13 et la dernière le vendredi 16, bonne lecture :-)


Il est 6h00 et je n'ai pas dormi. N'allez pas croire que je suis de nuit en ce moment, non je bosse d'après-midi. J'ai terminé hier à 22h00 et je reprends tout à l'heure à 14h00. Je me suis couchée à minuit et là et bien il est 6h00 et comme je vous l'ai déjà dit, je n'ai pas dormi.

J'ai pourtant essayé mais je n'y suis pas parvenue. C'est pas faute de pas savoir comment faire car le sommeil je maîtrise normalement. J'ai encore posé la question à mes parents et ils - enfin ma mère - me l'ont confirmé: "Mais oui Suzie, tu faisais tes nuits avant tes 2 mois." Alors j'ai commencée à compter et comme j'ai aujourd'hui 32 ans, ça fait tout de même une expérience non négligeable de plus de 11.000 nuits à mon actif.

Non y'a pas à dire, je devrais dormir...
Pourtant, je le redis, il est 6h00 et je n'ai pas dormi.

ça à commencé il y a un peu moins de deux ans. Comme ça sans trop d'explications. Je rentre du boulot, grignote un truc, surf un peu sur le net, avale une tisane, me pose devant un livre ou un film et quand je sens que ça vient, je file me coucher. Fatiguée, oui généralement fatiguée. J'apprécie le confort de mon matelas qui fut l'un de mes premiers achats après mon embauche. Je le sens, je suis prête à me laisser envelopper par les bras de Morphée.

Et puis non, ça ne marche pas. Je suis allongée, je suis détendue, je ferme les yeux. à priori tout est réuni pour que je m'enfonce en douceur. à priori oui mais ça c'est sans compter sur ces putains d'idées dont je n'arrive pas à me défaire.

Car ces nuits-là, il y a toujours un patient ou deux qui s'invitent dans mon lit. Au sens figuré on est d'accord hein! Que ce soit par son visage ou par ses mots, sa détresse ou sa folie, sa fausse absence ou son trop de présence, oui on est toujours deux dans mon lit. Je ne lui met pas d'oreiller, il n'en a pas besoin, car c'est dans ma tête qu'il s'est enfoui. Et j'ai beau me gratter le crâne, impossible de l'en faire sortir.

Toute la nuit durant, je me repasse sa prise en charge, je vois ce qu'on a raté et que dès demain je vais modestement tentée de rectifier. Il est 2h00, je suis impatiente d'être à demain. Dans la fournaise. Je vois les symptômes qu'il présentait lors de son admission et comment il est aujourd'hui. Et s'il hante mes nuits, c'est peut-être parce qu'il est pire. Tout s'est accentué, intensifié, développé. Si je tends l'oreille, dans le silence et l'obscurité de la nuit, je crois entendre sa souffrance. Il est 3h00, je suis impatiente d'être à demain. Tantôt je le vois figé, cassé, neuroleptisé, lui dont l'excitation motrice dès premiers jours résonne vaguement dans la mémoire collective du service. Tantôt je le vois éteint, silencieux, vide, lui dont la logorrhée et la tachypsychie nous épuisait les uns après les autres. Et si nos remèdes étaient pire que le mal? Il est 4h00, je me lève pisser, je suis impatiente d'être à demain. J'ai les yeux fermés mais je continue à le voir. Je le vois déambuler dans nos couloirs froids, cherchant vaguement un réconfort qu'il peine à trouver. Et je nous vois nous, courant tout le temps, oubliant la raison pour laquelle nous sommes là, remplissant des formulaires dénués de sens mais les remplissant quand même parce c'est comme ça se répète-t-on comme si ça pouvait nous convaincre. Il est 5h00, le doute s'est installé au creux de mon estomac, je suis impatiente d'être à demain. Tiens je me dis, mais au fait demain... c'est aujourd'hui. ça ne me rassure pas vraiment. J'envisage de décrire ma nuit sur mon blog. C'est mon blog, j'y écris ce que je veux. Là, si je veux écrire Chien, ben je l'écris: "Chien". Alors pourquoi pas ma nuit après tout? Parlez de ça, de ce boulot génial qui je ramène d'abord dans ma voiture, ensuite dans mon lit. Si vous lisez cela, c'est que je l'ai fait. Il est 6h00 et je n'ai pas dormi. Chien. Je pense animal, je pense roi des animaux, je pense lion, je pense fauve. C'est mon cheminement. Et c'est ça, j'ai envie d'écouter fauve. Alors je m'installe, café brûlant à la main, sur le rebord de ma fenêtre. Dehors la ville reprend ses droits. Quelques phares percent l'obscurité, le néon de la pharmacie voisine annonce la couleur. Vert, il reste un semblant d'espoir. J'ai envie d'y croire. Jeunesse talking blues, play.



la suite de ce billet dès vendredi.

Teaser: dans l'épisode 2, Suzie arrivera-t-elle à émerger malgré sa nuit de m....? Le café de 6h du mat sera-t-il suffisant? ou faudra-t-il y ajouter de la chicorée? Mais surtout on parlera étudiant infirmier, réunion clinique, addictions sans substance et Meuporg...




mardi 6 octobre 2015

# 18 - Folie, agressions, violence: les urgences sous pression!



D'ordinaire j'évite la TNT. C'est plutôt facile, il me suffit de ne pas zapper sur l'un de ses programmes. Enquête d'action sur W9 avec ses thématiques tantôt baston, tantôt nichon, est au reportage TV ce que Luc Besson est au cinéma: de la grosse série B ultra-testostéronnée. Vendredi soir "enquête d'action" diffusait son reportage sur les urgence psychiatriques de Créteil. Un mois passé au sein de ce service de l'hôpital Henri Mondor. Le titre racoleur au possible annonçait-il la couleur? "Folie, agressions, violence: les urgences sous pression."


dimanche 4 octobre 2015

# Revue de presse du 4 octobre




Où dans une magnifique vidéo on parle des familles et des proches qui soutiennent les malades. à voir! "J'ai accouché de ma mère"

Où les réalisateurs d'Intouchables et samba montrent l'étendue de leur talent avec cette vidéo de prévention très réussie: https://www.youtube.com/watch?t=197&v=SFw3aa8-XpY

Où l'éditeur "raconter la vie" publie un texte bref d'une jeune femme hospitalisée en psy:  http://raconterlavie.fr/spip.php?page=reader&id_recit=998#

Où l'on apprend que de l'autre côté de l'Atlantique c'est aussi la galère: 



Où se posent les grandes questions d'aujourd'hui pour la psychiatrie de demain, c'est à St-Anne et c'est le 9 octobre:

















vendredi 2 octobre 2015

# 17 - Rien ne s'oppose à la nuit



C'est la sortie récente de son nouveau roman "D'après une histoire vraie" qui m'a donné envie de lire l'un de ses précédents, le top-seller "rien ne s'oppose à la nuit". (Attention, risque majeur de spoil dans les lignes qui suivent!)

De Vigan y raconte l'histoire de sa mère, Lucile, une femme bipolaire. Si sur la première de couverture il y est écrit "roman", les ingrédients ne semblent pas réunis. Tout y semble authentique et biographique. Alors quid de la part ficitonnelle?

Qu'importe après tout car le contenu du "roman" est bon, très bon. Portrait d'une femme bipolaire. Oui mais pas que et c'est justement l'une des forces de ce livre. En effet avant d'être présentée comme une personne souffrant d'une maladie mentale, De Vigan, raconte sa mère depuis sa naissance jusqu'à son ultime souffle. Ainsi la première partie est consacrée à l'enfance de Lucile et sa nombreuse fratrie. On y plonge dans la France d'après la seconde guerre mondiale où De Vigan dans un travail minutieux d'enquêtrice tente de reconstituer les petits détails de la vie sa mère, de ses oncles et tantes et de ses grands-parents. Mais il n'y a pas que les petits riens d'une vie, il y a aussi les grands traumas de la vie et cette famille n'en a pas été épargné. Ainsi la mort accidentelle d'Antonin, le petit frère alors âgé de 6 ans est présentée comme le traumatisme initial. "Désormais la mort d’Antonin ne serait plus qu’une onde souterraine, sismique, qui continuerait d’agir sans aucun bruit." Cette mort sera malheureusement la première d'une cascade de décès. 

Pour réaliser ce gros travail d'investigation, l'auteure a interviewé ceux qui ont côtoyé sa mère et écouté les nombreux enregistrements laissé par son grand-père. Georges, ce patriarche, personnage ambigu aux multiples facettes qui d'abord présenté comme un être affectueux devient un monstre incestueux jamais inquiété. Des incestes cachés, oubliés, de ceux qu'on descend à la cave et que l'on enferme à double tour. Cette part sombre, secret de famille, connu et digéré de tous et finalement accepté de tous afin de ne pas détruire le semblant d'unité familiale. 

Au fil des pages on devine l'aspect extrêmement périlleux de l'exercice auquel se livre l'auteure. Publier un roman qui livre à la lecture de tous l'intimité d'une famille, c'est prendre le risque de se couper des siens à jamais. Delphine De Vigan ose. Ce grand déballage m'a dans un premier temps laissé perplexe et notamment lors des 100 premières pages. En effet j'ai eu l'impression désagréable d'être transformé malgré moi en voyeur, de lire quelque chose qui ne m'était pas destiné. Et puis après la première partie, et notamment lors de la description de décompensation maniaque initiale de sa mère, ce sentiment s'est estompé et j'ai lu avec un intérêt grandissant cette vie qui bascule. 

Ici, la maladie n'est pas présentée comme surgie de nulle part, elle s'inscrit au contraire dans un continuum où les événements passés douloureux participent à son apparition. La décompensation maniaque sur un mode très délirant (cf la séance d'acupuncture sur sa fille mineure associée aux pouvoirs télépathique) s'inscrit comme une réponse à un quotidien devenu insupportable car trop exigeant. 

Débute alors une vie sous neuroleptiques où les symptômes sont contenus mais les affects aussi. Dans son écrits Lucille laisse ceci: 

"J’éprouve encore des sentiments pour mes enfants, mais je ne peux pas l’exprimer. Je n’exprime plus rien. Je suis devenue laide, je m’en fous, rien ne m’intéresse sinon d’arriver enfin à l’heure de dormir avec les médicaments. Le réveil est horrible. Le moment où je passe de l’inconscient au conscient est un déchirement."

Et s'il y a un avant, il y a aussi un après. Et c'est je crois le plus intéressant dans ce livre: montrer qu'un rétablissement est possible. Pas une guérison ad vitam eternam bien sûr mais pas non plus une simple stabilisation clinique. Non le rétablissement de Lucille après 10 ans passe par une reprise des liens sociaux, une reprise des études (pour devenir assistante sociale) et un retour à l'emploi auprès de populations démunies. 15 ans, son rétablissement durera 15 ans avant une nouvelle rechute. Pour les lecteurs qui sont aussi soignants psy, ce livre est je trouve une source formidable d'espoir. Nous qui dans les murs de nos hôpitaux voyons défiler ces patients bipolaires en pleine décompensation perdons souvent cet espoir. Les hospitalisations itératives desquelles aucune amélioration se semble surgir sont fréquentes. Pourtant, ce livre en est la preuve, un retour à un mieux-être et à une vie épanouissante est possible...

Si l'histoire de Lucille s'achève sur un suicide qui semble réactionnel à son cancer j'ai beaucoup aimé la formulation utilisée pour justifier cette fin. L'envie de "mourir vivante".

Voilà c'est donc un excellent livre, courageux et sincère qui outre le rétablissement d'une femme montre aussi les dommages collatéraux que provoque la maladie sur l'entourage: Pour une personne malade, combien de personnes atteintes? Combien d'aidants en souffrance, combien de familles désarmées? 

Et puis comme souvent quand un bouquin est bon il ouvre la porte à pleins d'autres livres. Celui-ci il m'a donné l'envie de lire L'intranquille de Garouste et de découvrir un peu plus l'oeuvre de Delphine de Vigan. "Jours sans faim" sur son vécu d'anorexique devrait rapidement figurer parmi mes lectures.

Alors c'est sûr je recommande ce livre. Bouleversant, sincère et fruit d'un gros travail d'écrivain, ce roman a eu un succès mérité. Mais il n'est pas réservé qu'au grand public puisque le professionnel de santé y trouvera beaucoup d'infos que ce soit sur la façon dont les familles vivent l'hospitalisation d'un proche ou sur la possibilité du rétablissement. Passionnant!