mercredi 27 décembre 2017

Avec les alcooliques anonymes

par d_marino2001


( W A R N I N G. Ma vie a quelque chose de passionnant... enfin pour moi... et encore... Donc, pas de souci, je comprends que te perdre dans les méandres et vicissitudes de mon enfance ne t'intéresse guère. Lecteur te voilà prévenu, saute directement au 7ème paragraphe juste après les *** (désolé je ne sais pas faire un lien web...) pour entrer dans le vif de cet article sinon ce sera à tes risques et périls mais quelque soit ton choix sois le bienvenu in my world!)



C'était encore une fillette, elle devait avoir une dizaine d'années, pas beaucoup plus. On la disait solitaire. C'est pas tant qu'elle était inhibée mais ce qu'elle aimait c'était être seule, inventer ses propres jeux et nourrir son monde intérieur. Quand ses copines se retrouvaient les mercredis après midi et les samedis au sein d'associations sportives ou artistiques, elle, elle restait chez elle. Ses parents ne la retenaient pas bien au contraire. Et ce qu'elle aimait par dessus tout c'était rêvasser, ne rien faire si ce n'est être allongée à même le sol de son refuge.

Son refuge il était là haut. Dans le vaste grenier. Pour y accéder il fallait depuis le couloir face à sa chambre, ouvrir une trappe et en faire descendre l'escalier escamotable. L'opération délicate était le plus souvent diligentée par un adulte. Si la maison - ancienne - avait au fil des ans bénéficié d'importants travaux de rénovation, le grenier était resté quant à lui figé depuis des décennies.

Avec son sol jonché des souvenirs des anciens occupants des lieux, le grenier était aux yeux de la fillette une véritable caverne d'Ali-Baba. Dans cet espace qui devait avoisiner les 60m², se bousculaient les héritages d'époques révolues. Se côtoyaient ainsi des jeux amochés comme ce robot des eighties dont les rares bruitages ressemblaient à présent à de longues complaintes métalliques et douloureuses. Il y avait aussi plusieurs poupées, torturées et démembrées, qui reposaient à même le parquet poussiéreux. Elles ne suscitaient guère l'envie de jouer à la maman mais plutôt celle de célébrer une messe noire. 

Et puis sous cette charpente et cette toiture mal isolée - véritable cagnard en plein été et froid Sibérien en hiver - il y avait les livres et les écrits. Il y en avait partout. En carton, en étagère ou en vrac. On trouvait des manuels et de cahiers scolaires. Si on prenait le temps de les examiner on y découvrait avec délectation les balbutiements de l'écriture encore hésitante d'une gamine des années 50. La France décrite dans les manuels était une France qui déjà aux yeux de la fillette n'existait plus. C'était la France rurale et les phrases décomposées syllabes après syllabes parlaient de la vie à la ferme, de paille et de foins et de bidons de lait. 

Il y avait les lettres aussi. Par cartons entiers. Une correspondance amoureuse qui eut laissée songeur bon nombres de gosses issus de la génération Z. Ces lettres ramenaient à une époque où les contacts étaient rares et précieux. Les téléphones portables n'existaient pas, encore moins les smartphones. Ni chat ni sms. Les réseaux sociaux relevaient d'un scénario de science fiction digne de Philip K Dick.

Enfin tout au fond, dans une semi-obscurité, (car une seule ampoule avait pour mission d'éclairer la totalité du grenier) il y avait cette vaste étagère sur laquelle s'empilaient des ouvrages en tous genres. On pouvait tout aussi bien y trouver une collection de romans sentimentaux issus du magazine Nous Deux, que des ouvrages historiques ou des classiques de la littérature.

Ainsi la fillette, jour après jour, s'installa sur les coussins qu'elle avait elle-même agencé pour en faire un divan spacieux. Elle découvrit sous la poussière les atrocités des deux grandes guerres, l'époque de la guerre froide et la chute du mur et sans vraiment les lire elle imagina les mystères et interdits que pouvaient renfermer les œuvres de Dante Alighieri, L'enfer et La Divine Comédie en tête. Elle feuilleta aussi Guerre et Paix, les Frères Karamazov, Boris Godounov ou encore le Revizor. Du Russe mais pas que. Une large place était bien entendue consacrée à la littérature Française. Balzac, Zola, Maupassant, Hugo et toute la fine équipe était réunie au sein de cette bibliothèque. Une couverture marqua particulièrement son attention. C'était celle d'un roman de poche sur laquelle était représenté un lion majestueux. Cette image la faisait voyager. A la façon de Tintin, elle décollait pour l'Afrique pour résoudre mille et uns mystères qu'elle inventait. Ce livre, le Lion de Joseph Kessel, elle ne l'a jamais lu. Du moins pendant son enfance.

***
*


C'est de nombreuses années plus tard que je suis tombée par le plus grand des hasards sur le Lion de Kessel. Cette oeuvre faisait partie de mon patrimoine culturel bien que je ne l'ai jamais lu. Il était temps de réparer cette erreur. Kessel fait partie des grands écrivains Français du XXème siècle et bénéficiait en son temps d'une grande reconnaissance. C'était un auteur superstar. Aujourd'hui il est un peu tombé dans l'oubli et est j'imagine moins étudié au collège qu'il ne le fut.

Ce que j'adore chez Kessel , c'est qu'il a la trempe des grands écrivains. Pas le genre de mec à se poser devant son bureau en charentaises et à attendre que l'inspiration viennent frapper à sa porte. Non Kessel est un auteur qui mouille la chemise, qui va à la rencontre de son sujet peu importe si celui-ci soit de l'autre côté du globe. Avant d'être écrivain, Kessel est journaliste. Et avant d'être journaliste, Kessel est un voyageur-aventurier. Il suffit de lire sa biographie pour s'apercevoir que le voyage est dans son ADN.  C'est après ma lecture du Lion que j'ai décidé de ne pas en rester là et de lire un second Kessel. J'ai alors découvert que Kessel avait écrit sur l'alcoolisme, sujet qui me passionne tout particulièrement et qui est au cœur de mes pratiques. Aussi avant de me lancer dans la lecture de "l'armée des ombres" ou de "les mains du miracle", je me penchai sur son livre sobrement intitulé "Avec les alcooliques anonymes".

Si Kessel s'est intéressé à la dépendance alcoolique, c'est avant tout parce que sa femme en soufrait elle-même. Michèle O'Brien venait d'une famille Irlandaise où l'alcool était fortement présent à en croire l'article paru dans Libé le 29 janvier 2016. Elle y est décrite comme "une personnalité originale et farouche [... ] qui sous l'effet de la boisson se métamorphosait tantôt en bouffonne vaseuse, tantôt en furie au langage ordurier". Michèle qui, toujours une flasque de whisky en poche, multipliait les esclandres fit 17 séjours en désintoxication entre 1964 et 1978 à la clinique du château de Préville à Orthez.

Alors si la démarche de Joseph - qui préférait qu'on l'appelle Jef - est bien entendu journalistique elle trouve cependant ses fondements dans la culpabilité profonde qu'il ressentait dans l'alcoolisme de sa "beautiful darling". Si lui pouvait se montrer gros buveur, il n'en a semble-t-il jamais souffert. Kessel était en revanche convaincu que c'est à son contact que Michèle était devenue alcoolique. Il nourrissait l'espoir que son reportage sur les AA lui ferait prendre conscience de ses troubles.

Pour mieux comprendre la passion amoureuse entre Kessel et celle qu'il appelait Mike je vous invite à découvrir l'article suivant: http://professionlavie.blogspot.fr/2014/12/profession-1er-grand-reporter.html

Propos rapportés de Michèle aka Mike « A cette époque, nous recevions beaucoup et nous allions beaucoup chez les autres. Ivre, j’avais la langue cruelle, lacérante. Cela faisait souvent scandale. Qu’importe ! me disais-je avec satisfaction. J’étais une lady" 

Quant vous travaillez en hôpital psychiatrique, les addicts constituent votre "fond de commerce". Le mésusage de l'alcool ou du tabac est trans-nosographique, on le retrouve chez un nombre très important de patients. La dépendance concerne tout aussi bien les patients aux structures névrotiques que les psychotiques. Souvent on classera volontiers ces patients du côté des borderline sauf si comme moi vous travaillez dans un service ou le psychiatre sous forme d'aveu vous déclare entre deux entretiens "oh...vous savez Suzie, moi il y a bien longtemps que je ne fais plus de clinique...."

De fait, bien souvent abandonné, ces patients sont comme des yo-yos qui vont et qui viennent. Si l'accueil qui leur est réservé est initialement chaleureux, il ira indubitablement en se détériorant, l'équipe médicale et paramédicale plutôt que d'affronter son incapacité soignante projettera son échec thérapeutique sur le patient en appuyant sur ses faiblesses, son soit-disant manque de volonté et sa supposée recherche de bénéfices secondaires... Du grand classique.

Et puisque personnes alcoolo-dépendantes il y a, associations néphalistes il y a aussi... Sans déc, j'adore ce terme "néphaliste" pas vous? ça me fait penser à une bande d'amateurs de timbres. Oui je sais ce sont les philatélistes, j'ai pas dit que je confondais ces termes, juste que ça m'y fait penser, par association d'idées si vous préférez. Imaginez un instant l'association des philatélistes anonymes? Comme ça, de prime abord, on pourrait dire qu'un amateur de timbre est inoffensif et que sa passion est sans danger... mais s'il vous prend l'idée de regarder la saison 3 de l'excellent série Fargo vous comprendrez vite que la quête d'un seul timbre peut vite vous menez dans des eaux troubles... Mais je m'éloigne du sujet... Reprenons! Chaque fois que je reçois un alcoolo-dépendant en hospitalisation je me dis tout seul dans ma petite tête "Untel est arrivé pour sevrage alcoolique, ce serait bien qu'il rencontre les collectionneurs de timbres." Et niaisement je souris...

Paradoxalement j'ai pu constater que l'association néphaliste la plus connue est aussi la moins connue. Je m'explique. Tout le monde connaît les Alcooliques Anonymes. Soignant ou non-soignant. Probablement que sa représentation dans un cinéma sur-représenté en France (le ciné US) y est pour beaucoup. Mais et c'est là le paradoxe peu de personnes en connaissent son fonctionnement et notamment son aspect spirituel voire religieux.

Quand je discute avec mes collègues, rares sont ceux qui opèrent une distinction entre les associations d'anciens buveurs. Vie libre, AA, Alcool Assistance, Croix d'Or, Espoir Amitié etc.. Toutes se fondent en un grand magma unique dénué de nuance et de singularité. Il ne s'agit pas de blâmer qui que ce soit - après tout mes collègues et moi bossons en admissions psy et non pas en addictologie - mais bien de souligner le rideau d'opacité qui sépare système de soin et réseau d'anciens buveurs.

Pourtant, plutôt que de voir dans le refus d'un patient de se rendre à une réunion des AA la preuve indubitable d'une volonté de ne pas se soigner justifiant une sortie rapide d'hospitalisation, peut-être qu'une connaissance à minima des principes fondateurs des AA permettrait une autre lecture.

Alors le livre de Kessel permet de rétablir la spécificité des AA. Ecrit à une époque où ce qui venait des States ne pouvait se découvrir en cliquant depuis son salon sur un site officiel mais demandait un effort physique d'investigation aux journalistes, ce livre se lit presque comme un roman grâce à la qualité d'écriture de Kessel. Et puis ce n'est pas un livre lambda sur les AA, non ce livre à réellement participé à l'implantation des AA en France.

Le regard de Kessel est celui d'un curieux qui de prime abord peine à comprendre comment certains hommes peuvent sombrer dans l'alcoolisme alors qui lui, bon buveur, ne s'estime pas en danger.

"il m'était arrivé de dépasser la mesure plus d'une fois. Il m'était arrivé même d'aller jusqu'à l'inconscience, jusqu'à l'absurde, le ridicule et l'odieux. Après ces excès, j'avais connus des réveils terribles. Mais les bons souvenirs l'emportaient de loin sur les mauvais. Et quand je pensais à toutes ces heures d'allégresse intense, d'ardente amitié, de communion généreuse que j'avais connues aussi bien en escadrille que chez les tziganes de Paris ou train blindé sibérien, ou sur un voilier en mer Rouge, ou encore dans une baraque de la Terre de Feu, et que je devais à l'alcool - je ne pouvais m'empêcher de considérer ce dernier comme un sûr et joyeux compagnon tout au long de l'existence."

Alors pour mieux saisir la souffrance Kessel plonge au coeur de la bowery, quartier New-Yorkais invraisemblable où survivent ceux qui touchent le fond. Avec lui nous découvrons les personnalités fondatrices et les principes fondateurs des AA mais aussi les anonymes qui peuplent ce livre.

"J'ai eu besoin d'alcool pour trouver le courage d'aller aux chantiers, puis pour avoir la main sûre. J'étais saoul tout le temps, quoi! (...) Aucune jeune fille propre ne voulait plus sortir avec moi. J'ai bu davantage. Mon patron a fini, malgré sa patience, par me mettre à la porte. J'étais bon ouvrier, j'ai trouvé de l'embauche, jamais pour longtemps à cause de la gnôle. Comme il m'en fallait toujours davantage et que je chômais de plus en plus, j'achetais la moins chère, le vrai poison. Alors tout m'a paru sans importance - vêtements, apparence, santé. Je suis devenu un de la Bowery"


"Je n'essaierai pas de faire croire, dit-il, que cela a été plaisant. Mais est-ce que les angoisses de l'alcool, et les tremblements et les ulcères et la vermine, et le DT c'est plaisant? J'ai souffert, c'est sûr, mais une fois pour toutes. Et j'ai été soutenu par les Alcoholics Anonymous, chaque jour, chaque nuit. Ils m'ont donné les moyens, les recettes, pour passer le plus dur. Et j'ai un job et j'aime ma nourriture, j'ai même des amis... Je vis de nouveau..."


S'il y a bien un principe que nous Frenchies avons du mal à digérer est l'aspect de dévotion religieuse qui entoure la participation aux réunion des AA. Comme si chaque alcoolique - à la façon d'un Benicio Del Toro dans 21 grammes - devait s'encombrer du poids immense de la culpabilité et se flageller dans un processus rédempteur.

Voici quelques extraits du livre:

"Il n'y a qu'une protection et une seule qui puisse veiller sans défaillance, jour et nuit, sur l'alcoolique, le sauver de lui-même jusqu'à la fin de ses jours. Parce qu'elle n'appartient pas à la créature humaine. Parce qu'elle est le fait d'une Puissance Supérieure, divine."



"Elle exige que l'on reconnaisse l'existence d'une Puissance Supérieure, qu'on ressente dans son âme la présence et que l'on se soumette à son décret souverain"



"Le premier consiste à reconnaître son impuissance à dominer l'alcool et à gouverner sa vie. Le deuxième est de croire qu'une Puissance Supérieure peut lui rendre sa vie. Le troisième est de prendre la décision de remettre sa volonté et sa vie entre les mains de Dieu, "tel qu'il le conçoit".

Dans notre pays très attaché à la laïcité ce discours à de quoi faire saigner les oreilles. Ainsi j'ai à de nombreuses reprises entendu des patients à qui l'on proposait de se joindre à une réunion des AA organisée sur l'établissement "Hors de question, une vrai secte ces gens-là". Oui les AA provoquent régulièrement des réactions excessives... Pourtant le Dieu auquel les AA nous invitent à nous soumettre est un Dieu "modulable":

"Ces gens m'ont encore enseigné que si je voulais avoir la force de suivre ces préceptes, il me fallait prier Dieu. Mais que ce Dieu ne devait pas être conforme à une image imposée depuis des siècles, que j'étais libre de concevoir à ma guise et que, même si je ne croyais pas à un Dieu, même de cette manière, je devais essayer de prier le Dieu qui pourrait être et me donner le courage nécessaire."



"Ebby annonça paisiblement les conditions de la recouvrance. Admettre sa défaite absolue. Devenir honnête vis à vis de soi-même. Avouer ses faiblesses à quelqu'un d'autre. Réparer les torts qu'on a causés. Essayer de faire don de soi-même dans désir de récompense. Prier Dieu, quelle que soit votre conception de lui, ou même à titre de simple expérience."



"Nous accepterions le Diable lui-même, s'il était alcoolique et avait besoins de nous, dit Bill W..."

Je dois reconnaître que ce principe à moi aussi le don de casser les pieds et pourtant cette croyance en une Puissance Supérieure contribue semble-t-il de façon efficace au rétablissement de nombreux alcooliques et ce depuis des décennies à présent...

Autre chose qui risque de chiffonner les amateurs de clarté scientifique: les approximations étiologiques. Il faut rappeler que les AA ne sont pas une société savante, ni un regroupement d'expert en addictologie mais un groupe d'anciens buveurs. Cela signifie qu'il ne s'agit pas tant de faire preuve d'une précision clinique que de parler vrai, de toucher le buveur de la façon la plus efficace. Ainsi rappelé on comprend mieux le discours qui ramène la dépendance à l'alcool à une simple allergie.

"on ne devient pas alcoolique. on naît alcoolique. Mais ce fait congénital n'avait rien à voir avec un vice héréditaire - car beaucoup d'intoxiqués sont nés de parents sobres (...) Bref l'alcoolisme (...) était une prédisposition qui relevait du domaine encore mal connu, souvent inexplicable, de l'allergie, de l'intolérance organique."

"Nous savons tous, dit-il, que l'usage du sucre est inoffensif et même favorable à la plupart des gens mais que, pour certains, il est dangereux et peut devenir funeste. Ceux-là sont nés avec une prédisposition au diabète. (...) Leur allergie, alors, est reconnue et ils sont mis au régime. Tout est pareil chez l'alcoolique; la prédisposition congénitale, l'allergie, la discipline nécessaire."


Une idée que je trouve intéressante est celle qui consiste à ne pas se faire de plan sur la comète. Les AA ne demandent pas à leurs membres une abstinence ad vitam aeternam. Non et bien au contraire, le message est limpide:

"ne pas toucher à l'alcool juste pour aujourd'hui: demain est un autre jour"

ou encore:

"Surtout pas de grandes résolutions, pas d'engagements définitifs à l'égard de vous-même. Ne vous jurez pas de ne plus jamais boire. Rien que d'y penser, on est pris de panique. Dites-vous seulement: je ne toucherai pas à l'alcool pendant 24 heures. C'est tout. 24h. Ne pensez pas à un moment de plus. Et quand le premier jour sera passé, dites-vous: "Encore 24h. Ce n'est pas si terrible, je l'ai déjà fait. Puis, on verra bien..." Vivez sur 24h: première règle. La deuxième: venez aussi souvent que vous le pouvez aux réunions."

Cette notion des 24h est intéressante, car quoi de plus difficile, pour celui qui dès son réveil vit pour le produit, dans l'angoisse de se le procurer ou de ne pas en avoir assez, que d'imaginer passer le reste de ses jours sans ce produit qui, s'il le détruit à petit feu, est aussi l'unique remède qu'il a trouvé pour affronter ses angoisses.

"boire pour un alcoolique n'a jamais été un plaisir, mais une absolue nécessité, le seul recours qui lui était laissé pour ne pas devenir fou d'angoisse, pour faire taire, momentanément, un e douleur d'être intolérable, pour se sentir pendant quelques instants, en sécurité dans une zone frontière qui n'est ni la vie ni la mort"

Devenir abstinent c'est faire le deuil de la sensation d'ivresse. Si on aborde ce deuil avec un patient, c'est la piste noire thérapeutique assurée, la plus casse-gueule, celle qui risque de développer plus de résistance au changement que de motivation à l'arrêt. Quelque chose du genre : "Vous me dites que vous souhaitez arrêter l'alcool, cela veut dire faire le deuil de la sensation de l'ivresse, plus jamais vous ne connaîtrez cette sensation si particulière, êtes vous réellement prêt à ça? euh... tout compte fait.. non j'vais continuer à me fout' la tête à l'envers"

Pour autant je trouve cette notion des 24h un peu trop limitative. Si l'engagement à vie peut faire peur, un juste milieu peut être intéressant. Travailler sur une semaine, une quinzaine ou un mois est à mon sens souvent bénéfique. D'une part cela permet de transformer l'abstinence en un challenge ou défi "sportif" qui s'il est réussi méritera récompense. S'offrir une place de ciné ou un p'tit resto après 15 jours d'abstinence est très souvent motivant, gratifiant et permet également la restauration d'un semblant de confiance en soi qui la plupart du temps est bien érodée. De plus et c'est là le plus important, le travail thérapeutique sur une courte période permet d'identifier les jours à priori calmes des jours à priori à risque de consommer. Il est en effet très facile de prendre un agenda avec le patient et de lister les jours à risque. "Lundi je suis chez ma mère, je vais l'aider dans l'entretien de son jardin, ça m'évite de penser, en plus je bois jamais quand je suis avec elle, d'ailleurs il n'y a jamais d'alcool à sa maison, en revanche mardi je suis seul toute la journée, là ça risque de tourner dans ma tête, j'vais ruminer des idées négatives et je risque d'ouvrir une bouteille pour me calmer, après c'est surtout samedi je dois voir les copains et tous picolent alors ça va être dur de refuser". En travaillant ainsi on peut non seulement identifier et détecter les jours à fort risque mais une fois cette première étape terminée on peut travailler sur comment y faire face pour justement ne pas consommer. En travaillant uniquement sur 24h, le patient risque de se réveiller un beau matin sans avoir identifié le gros danger que lui tend la journée et de devoir improviser au dernier moment une stratégie pour ne pas consommer.

Enfin l'idée des AA qui me semble la plus pertinente est celle de l'accompagnement qui se résume ainsi:

"pour rester sobre un alcoolique à besoin d'aider un autre alcoolique."

Intéressante car ainsi résumée elle ne se dissimule pas derrière une intention pseudo-altruiste. Si je t'aide ce n'est pas tant pour t'aider que de m'aider. Oui, en aidant autrui, je m'aide. Extraits:

"... son instinct le plus essentiel lui disait que, en essayant d'aider les autres, c'était lui le premier qu'il aidait."


" L'abstinence lui avait été si facile, si légère parce que chaque jour il avait essayé de rendre des alcooliques à la sobriété. En tâchant de les aider, il travaillait à son propre salut."



" il faut amener les gens comme moi à l'état de misère absolue où je me suis trouvé. Mais sans les soumettre à une pression morale. C'est d'eux-mêmes qu'ils doivent parvenir à cette conscience désespérée. Et cela n'est possible que s'ils entendent un autre alcoolique, aussi gravement atteint, leur parler de soi. Par mon exemple, leur faire sentir, toucher ce vide, ce néant absolu".


J'aime  beaucoup la sincérité de cette aide qui permet à l'aidant de devenir utile et de donner du sens à son existence, sens qui contribue à son tour au maintien de l'abstinence. Cela permet aussi de garder à l'esprit - même une fois l'abstinence installée depuis de longs mois  - que l'on reste fragile et sujet à la rechute. Extrait:

" A condition de garder sans cesse vive et comme saignante la mémoire de ses souffrances, de sa dégradation et de la mettre au service de tous les hommes. alors, peut-être, en effet, un alcoolique a-t-il plus de chance qu'un autre de devenir sel de la terre."

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce livre, tant vous l'aurez compris, je l'ai trouvé passionnant. Bon en même temps il faut savoir s'arrêter. De toute façon pour 10 lecteurs qui auront commencé ce texte combien sont encore là? Levez la main pour voir? ... Ah oui ça fait pas beaucoup tout de même. Alors concluons! Livre ancien, 1960, avec les alcooliques anonymes, n'a pas qu'un intérêt historique. Pour celui qui rend en charge les malades alcooliques, ce livre donne la possibilité via les nombreux témoignages qui y sont réunis de saisir la souffrance profonde de l'alcoolique, sa solitude mais aussi l'espoir que peut susciter une association d'anciens buveurs. Surtout ce livre permet de mieux comprendre la singularité de ce mouvement, les AA. Une meilleure compréhension, une connaissance des 12 principes et à n'en pas douter ce sont les échanges et les entretiens avec nos patients qui s'en trouveront améliorés.



(pour en savoir plus et vous procurer ce livre: https://www.babelio.com/livres/Kessel-Avec-les-alcooliques-anonymes/90460 )


KissKiss
Suzie Q, une fiction autobiographique



vendredi 24 novembre 2017

l'angoisse de la trans vierge ou l'énigme de l'oeuf et de la poule enfin résolue

photo par YJ-LEE


Après cet article consacré à mon projet avorté de devenir cadre de santé, retour au quotidien du service de soins dans lequel j'exerce où l'arrivée récente d'un collègue est source de transmissions de savoirs et d'échange de points de vue.


***
 *


Tu crois sérieusement que je cherchais à lui plaire? Non mais ça va pas toi!! Tu crois que Suzie Q elle est comme ça, comme une gamine qui se prend sa première poussée hormonale? Certes il a ce charisme qu'on les baroudeurs, ceux qui ont posé le pied dans chaque continent et qui transportent leurs expériences de vie et autres aventures comme d'autres se baladent avec toute la souffrance du monde. Mais de là à dire que je n'étais plus moi-même, c'est le grand n'importe quoi...

Il faut reconnaître qu'en quelques jours à peine dans le service il avait imposé son style tranquille et professionnel à toute l'équipe. Pour lui nous n'étions qu'une étape sur sa vie de soignant qui ne s'épanouissait que dans le mouvement. Pour nous il était un grand bol d'air frais, une fenêtre ouverte sur le monde et le soin tel qu'il se pratique ailleurs. Jérôme avait souhaité ce retour au bercail parental de quelques mois pour mieux préparer sa prochaine étape qui le mènerait peut-être en Nouvelle Calédonie, peut-être au Canada autant de régions du monde qui me faisaient rêver.

Ce jour-là nous n'étions que deux en service au lieu des trois IDE habituels. La troisième s'était faite porter pâle pour cause d'enfant malade. Autant le dire tout de suite, le rythme était soutenu. Les deux psychiatres du service étaient présents ainsi que l'interne et bien entendu chacun demandait à être accompagné d'un IDE. C'est drôle mais quand j'écris ça, j'ai l'impression d'écrire une oeuvre de science fiction, d'être une sorte de Philip K Dick du soin, tant aujourd'hui en 2017 avoir 3 médecins dans un service de 25 lits semble délirant. Nous travaillons la plupart du temps sans aucun doc et de temps à autre quand l'un se déplace c'est uniquement pour régler le plus urgent...  ça peut sembler ubuesque et déconnant mais believe me or not, admission ou pas, état de crise ou pas, la présence d'un médecin dans un service de soin est aussi rare que celle d'un castor bionique dans ma cuisine. Alors en ce jour tendu j'avais bien des difficultés à contrôler mes nerfs quand Jérôme prenait cette pseudo-agitation  avec la philosophie du mec qu'en a déjà vu d'autre.

Plusieurs admissions s'étaient succédées et après avoir maintenu à flot tant que bien que mal notre barque soignante, l'heure étaient venue après le dîner des patients de se poser derrière l'ordi old school du service pour saisir nos trans. J'étais là - tournant au ralenti - incapable de saisir par écrit l'étrangeté de ce patient qui avait débarqué chez nous pensant venir pour une simple consult' et qui à présent se trouvait bloquer ici en SPDT (soins psychiatriques à la demande d'un tiers). Mon cerveau était comme ramolli, nous avions couru tout l'après midi d'un bout à l'autre du service et là enfin posé je n'arrivais pas à rassembler mes idées pour faire un résumé objectif et contributif au soin. Et puis je sentis sa présence dans mon dos. Non pas celle du patient mais celle de Jérôme, beau gosse nonchalant, dont la carrure de rugbyman rassurait les membres de l'équipe. Déjà que je n'avançais pas mais alors là me sachant observée j'étais incapable d'aligner deux mots. Pire je ruisselais de partout, intimidée que j'étais. Ridicule comme une midinette de 15 ans devant un chanteur de Boys Band.

- ATV? me demanda-t-il

- Quoi?

- ATV répéta-t-il pour Angoisse de la Trans Vierge.

- C'est quoi ça?

- Ben le pendant infirmier de l'angoisse de la page blanche des écrivains. 

- ça doit être ça...

- Certains ne la connaissent pas, pense à Balzac et ses plus de 90 tomes de la Comédie Humaine ou plus récemment Stephen King qui nous pond son petit classique tous les ans. D'autres semblent la fréquenter un peu trop, j'adore Donna Tartt depuis "le maître des illusions" mais elle sort un roman tous les 10 ans en moyenne, ça craint! D'autres enfin... ben tu sais quoi? on aimerait qu'ils la connaissent cette angoisse au lieu de nous bassiner avec leur torche-cul annuels. Musso pour n'en citer qu'un, ou Nothomb dont le statut est passé de prodige à zombie de la littérature et qui chaque année en septembre nous tend un piège d'à peine 100 pages pour mieux sucer à la fois notre thune et notre temps de cerveau disponible...


(Bullshit, Suzie, ferme ton sac, qu'il n’aperçoive pas ce livre de poche qui en dépasse, Oh My God, s'y vous avez envie de m'aider, c'est à présent que j'ai besoin de vous, empêcher à Jérôme de tourner la tête!!)


- ça va Suzie? Oui? Alors c'est ça ATV?

- Oui je comprends l'idée! ATV c'est cool comme acronyme!  Et oui c'est tout à fait ça je n'arrive pas à décrire Monsieur V. qu'on a reçu tout à l'heure. Tu l'a vu comme moi, il est bizarre, il fait des trucs strange mais dès que j'écris une phrase je trouve ça si pauvre, si vide par rapport à ce que j'ai vu de cet homme que j'ai envie d'effacer mes transmissions.

- Et donc?

- Et donc je sais pas... J'aimerais faire des trans de qualités mais parfois j'ai envie de succomber à ce que beaucoup de collègues disent.

- C'est à dire?

- "te fais pas chier avec des trans écrite, de toutes façons personne ne les lit"

- et tu es d'accord avec ça?

- Ben plus ou moins. C'est sûr c'est pas les médecins qui vont aller lire nos trans... Mais après il n'y a pas que les médecins. Tous les collègues IDE ne lisent pas les trans mais certains, la plupart, le font. Et puis ça reste dans le dossier du patient avec ton nom accolé alors autant pas écrire n'importe quoi.

- Je suis d'accord avec toi même si j'ai souvent entendu l'argument de certains de tes collègues.

- Ceci dit ça ne résout pas mon problème du jour.

- Tu vois, je crois que l'argument du peu de lecteurs est un fausse excuse. Mon point de vue c'est qu'on est une profession mal à l'aise avec l'écrit, normal, on a plutôt une tradition orale. Et donc on a beaucoup de mal à décrire par écrit ce que l'on voit sous nos yeux. J'ai été confronté à cette difficulté moi aussi en début de carrière et je me suis créer un petit outil que je garde toujours dans la poche de ma blouse. C'est pas la panacée mais si ça t'intéresse, je peux te le partager. Je l'ai sur ma dropbox, je t'enverrai le lien par mail si tu veux?

- Ouais ok pourquoi pas et c'est quoi l'idée de cet outil?

- L'idée c'est de décomposer la présentation d'un patient en étapes précises. Il ne s'agit pas de romancer une situation, ou de recopier mots à mots et entre guillemets tous les propos étranges d'un patient mais bien d'avancer de façon guidée et la plus objective possible? Citer un patient est toujours mieux que de se livrer à sa propre interprétation forcément subjective mais est moins bien que de qualifier le délire. Décrire son mécanisme, son thème et son organisation plutôt que de réécrire la litanie de propos frapadingos. Vas-y jette un œil à ta boîte mail, je viens de te le partager, n'hésite pas à le modifier et si tu le trouves pertinent, imprime le en petit format pour l'avoir toujours à portée de main.






- Un dernier truc Suzie, tu sais cette histoire de médecins qui ne lirait pas les trans.

- Oui.

- Et bien pour moi c'est quasi la même histoire que celle de l’œuf et de la poule. Sont-ce les médecins qui ont arrêté de lire nos trans parce qu'elles étaient pauvres cliniquement ou est-ce nous qui avons arrêté de les rédiger parce qu'elles n'étaient pas lu? Si nous faisons des trans de qualités, cela va se savoir, et elles seront plus lues, ça se tient non comme scénario? Ou faut-il attendre que les lecteurs se manifestent, que les psy viennent vers nous en nous réclamant un peu plus de clinique dans nos trans pour les aider à mieux cerner les patients, pour que nous nous décidions à améliorer nos écrits?

- Je sais pas...

- Si je crois que tu le sais très bien. Les transmissions écrites ne sont pas une option. Elles ne sont pas une lubie de ton établissement mais une obligation. Clique ici, c'est un document mis en ligne par l'HAS sur le dossier unique du patient. En page 20 tu pourras lire ceci: "Le dossier de soins doit contenir toutes les informations pertinentes sur les problèmes de santé, les diagnostics infirmiers, les observations pendant le séjour, les feuilles de transmissions infirmières, les interventions de soins...,".

- P'tain mais comment fais-tu pour connaître, retenir et me sortir le bon lien internet qui va avec à chaque fois?

- Aaaahhh non Suzie, tu t'es encore faite avoir!!

- De quoi !?!

- Mais Suzie, enfin, toi, moi, nous ne sommes que des personnages de fiction posés sur un traitement de texte. L'illusion est parfaite mais crois moi, tu n'existes pas...

- Menteur!

- Et moi je ne sais rien contrairement à ce que tu semble imaginer. Si tu as l'impression que je te réponds du tac au tac, il n'en est rien! En fait celui qui des 10 doigts tapote son clavier, se paye des pauses magistrales pour trouver les réponses à nos questions métaphysico-parmaédico-existensialistes. 

- Je ne te crois pas! Moi... je suis!

- Si tu le dis, reprenons!

- J'aime autant.

- Ou en étions nous? Oui, ce que je voulais te dire également: d'où tient-on que nos trans ne sont pas lues? Bien entendu que tout ne peut pas être lu, on y passerait nos journées... Mais elles ne sont pas non plus conditionnées à un nombre de lecteurs. On n'a pas le droit de faire dans le caprice du genre "Vu la qualité de ma plume, je n'accepte d'écrire que si j'ai à minima 10 lecteurs dans l'équipe!" Et c'est quoi la suite, on se la joue réseau social et on demande à nos amis de liker nos trans, on peut aussi ajouter des emoji!! Enfin ce qui me semble particulièrement important c'est que les trans n'appartiennent ni aux IDE ni au médecin mais au patient. Il s'agit de SON dossier. Vu qu'on bosse la tête dans le guidon on a tendance à l'oublier mais tout ça, ça appartient au patient. On se dit que jamais il ira consulter son dossier, mais si tu crois un tant soit peu au rétablissement, dis toi qu'un jour ton patient aujourd'hui fou comme un lapin ira mieux et voudra remonter son parcours. En ce sens tes trans ont une valeur historique, alors ne les néglige pas, il en va de ton professionnalisme. Il n'y a pas d’œuf, il n'y a pas de poule, il n'y a qu'un putain de dossier et tu te dois de le compléter! 


KissKiss,
Suzie Q, une fiction autobiographique


mercredi 18 octobre 2017

échouer à devenir cadre de santé, storytelling et un hot-dog pour finir!

by Homini

Je suis debout, mon entretien touche à sa fin. Mon chemisier sorti pour l'occasion est détrempé, quand à ma respiration par trop accélérée, elle retrouve à présent un mid-tempo appréciable. Je crois avoir tout donné. Alors je décroche, déconnecte, et t'écoute sans le vouloir. Et toi tu ne cesses pas, tu continues de commenter. "Vas-y, lâche le bouquet final Suzie", "scotche les sur place ma grande". Je n'ose pas, j'hésite, plisse des yeux, tente une vague grimace mais rien n'y fait. Laisse moi tranquille ai-je envie de te dire. Mais je n'y arrive pas. Alors tu insistes, insistes, insistes encore... "Arrête!" murmure-je soudain. 

C'est le son de sa voix qui me ramène dans ce bureau quelconque. Je reconnecte. "Vous avez quelque chose à ajouter Mle Q?". La voix du DRH. Il me regarde d'un œil circonspect. Il le sait, l'entretien est terminé, qu'est-ce qu'elle attend pour sortir? semble-t-il se demander. Je jette un œil circulaire à la pièce mais rien n'a changé. D'ailleurs il n'a rien à y changer puisque pour ainsi dire il n'y a rien. Pas un bibelot, pas un dossier qui traîne, même pas un mug "Best DRH of the whole fuckin'world". Non que dalle hormis un cadre sans âme qui n'a vocation qu'a habiller un mûr dont la nudité pourrait sembler indécente. Un paysage marin qui nous invite tous à fuir, loin d'ici, une vague qui nous propose de nous absorber, nous diluer, nous noyer. "Mle Q? Vous êtes avec nous?" Et tu recommences. "Vas-y c'est le moment, finish him". Alors je ne sais plus résister, je me lance.
Solitude.

- euh oui une dernière chose avant de vous quitter messieurs. C'est une anecdote qui s'est produite la semaine dernière et que je souhaitais vous raconter. Voyez-vous j'ai récemment déménagé et après quelques travaux de rénovation nous nous occupons à présent de la décoration. Alors l'autre jour je me promenais dans les allées du Mr Bricolage et plus précisément dans le rayon dédié à l'encadrement. Et je ne savais pas comment choisir, j'hésitais entre plusieurs cadres sans trop savoir quel critères retenir. Alors j'aperçois un vendeur. Je l'interpelle et celui-ci se rend immédiatement disponible. Et là je lui demande non sans arrière pensées il est vrai. "Ecoutez je n'arrive pas à choisir, alors sauriez vous me dire ce qu'est un un bon cadre?" et lui de me répondre la réponse que je vous livre "Un bon cadre, c'est celui qu'on ne voit pas, c'est celui dont on oublie la présence et qui pourtant met en valeur comme aucun autre l'image encadrée." Et là je me dis mince, elle est là la réponse à mes questions! Alors je vous le dis Messieurs, c'est ce genre de cadre que je veux être, un cadre de l'ombre, un cadre qui bosse en sourdine pour son équipe, permettre sans faire de vague l'épanouissement de chacun, la concrétisation des ambitions individuelles, tirer un service vers le haut... Sur ce je crois vous avoir tout dit. 

Je les sens dubitatifs. Il me regardent comme une extraterrestre et ne disent rien. Ai-je trop théâtralisé cette ultime scène? Pour quelqu'un qui projette d’œuvrer dans l'ombre n'est-ce pas justement l'inverse qui vient de se produire, une sortie façon grande actrice hystérique? Je la trouve pourtant bonne moi, cette anecdote... Franchement je vois pas ce qui peut bien clocher avec ça. A moins que... Oui dis-le, avoue-le me susurres-tu à l'oreille! D'accord! Cette anecdote est complètement bidon. Il n'y a rien de vrai là dedans, elle est juste le fruit de mon imagination sans limite. Je ne suis pas entrée dans un magasin de bricolage depuis au moins 5 ans. Et alors il est où le problème? Il existe une éthique de l'anecdote peut-être? Ce qui compte c'est le message non? Et le message et bien il est vrai, il est sérieux, c'est ça que je veux être!!

... ça que je veux être ..... (?)

... ça qe j veux ête ....

... ç qe j ve ête ...

... j ve êt ...

... j ve ...

Accrochez votre ceinture, brusque décompression. Vous venez d'entrer dans un sas de dépressurisation, ça va secouer.

Je suis la salive de Suzie Q qui monte et qui descend

Je suis la sueur de Suzie Q qui coule le long de ce corps moite

Je suis une pâle imitation de Tyler Durden...

Ce que je veux être, en suis-je bien certaine? Etre cadre de santé? Est-ce un désir profond ou quelque chose qui s'est immiscé en moi au fil des années et des rencontres? 

Est-ce ma cadre qui 'a convaincu avec ces sous-entendus réguliers? "oh toi Suzie, je ne me fais pas de soucis pour ta carrière, dès que tu auras 4 ans d'expériences, je suis sûre que tu vas franchir le cap!"

Ou est-ce plus ancien encore? Mes formateurs à l'IFSI qui après mon DE me disait avec clin d’œil complice "bon et maintenant, future cadre?"

Comment Tyler? plus loin encore me dis tu, mais jusqu'où dois-je remonter?

Mes parents? mes parents qui m'imaginaient directrice et qui sans se poser la question de la compétence, de la formation, de la qualification étaient persuadés que quelque part sur cette vaste terre, un fauteuil de directrice, DG ou Présidente, n'attendait que moi et mon cul de dirigeante avide de pouvoir!

Alors, tout ça, toute cette préparation, toute cette énergie folle mise au service d'une candidature originale, cette présentation Prezi que j'ai peaufinée détails après détails, ce mind mapping, carte heuristique dessinée puis numérisée avec application de filtre photo pour en améliorer le rendu, tout ce storytelling autour de l'artisan du soin inscrit dans une modernité, dans une réalité pragmatique et économique, d'une Suzie solidement ancrée dans le sol mais le regard assurément tourné vers le ciel, tout cette mise à nu sur mon Idéal du soin et mes valeurs, tout ça pour quoi??

Faire plaisirs à mes parents? c'est ça? Juste ça?

N O  B U L L S H I T ! !

N'ai-je donc à ce point aucune personnalité, aucune emprise sur mes désirs, mes projets, mes envie, au point de ne même pas savoir l'orientation que je souhaite donner à ma carrière?

Pourquoi le refus de la direction de me sélectionner comme futur cadre n'a provoqué en moi aucun sentiment négatif, aucune déception, aucune tristesse, alors que j'ai préparé cet entretien comme l'outsider d'un combat de boxe qui s'apprête à cogner live from Vegas? Pourquoi ce putain de storytelling quand d'autres te disent y être allé à la "one again"?

Pourquoi quand j'écris storytelling google me suggère tortellini ? 

Craignais-je d'être déjà arrivé à mon point d'incompétence? C'est vrai c'est flippant ce principe de Peter, qui énonce que dans une hiérarchie, tout employé à tendance à s'élever jusqu'à son point d'incompétence et donc qu'avec le temps tout poste sera occupé par un incapable...

(remarque, si on y réfléchis, ça peut signifier, que j'ai passé mon entretien devant des personnes qui ont bénéficié au fil des ans de ce principe de Peter et qui donc ont aujourd'hui atteint leur point d'incompétence et qui en bons incompétents qu'il sont, ont foiré le recrutement des cadres de santé en sélectionnant les moins à même de remplir les missions d'un CDS, ce qui, dans ce cas précis, met fin au principe de Peter puisque des personnes compétentes ne peuvent s'élever à leur point d'incompétence! Truc de malade quoi! Vous me suivez?? Vite il faut en avertir Peter, l'informer que son principe est déconnant! L'un d'entre vous, amis lecteurs, a-t-il son mail, son 06? Quoi?? Quoi?? Peter is dead, oh my God!! Ah oui quand même, depuis le 12 janvier 1990, condoléance à la famille...)

Avant de me perdre définitivement il est temps de terminer cet article. Je ne sais pas si mon projet de devenir cadre avait uniquement vocation à satisfaire le désir de mes parents. Ce que je sais en revanche, c'est que depuis le refus de ma hiérarchie, je me sens étonnamment libérée et plus à l'aise dans mon métier d'infirmière.

Tu vois papa, tu vois maman, j'ai tenté, j'ai essayé, je me suis défoncée pour y arriver mais ça n'a pas marché. Peut-être ai-je été reçue par des incompétents qui n'ont pas vu que j'étais la meilleure, je sais que c'est que vous me direz, ou peut-être, ces personnes étaient-elles au contraire très compétentes, si compétentes qu'elles ont lu que derrière ma préparation millimétrée, derrière ma mise en scène ultra-chiadée, il y avait quelque chose de pas naturel, quelque chose de caché, quelque chose qui leur a mis la puce à l'oreille et qui disait "celle-ci, elle a pas faite pour être cadre". Alors merci papa, merci maman, votre projet de réussite pour moi était beau mais il restera un rêve, votre rêve. Et si ma réussite était déjà d'être une bonne infirmière... Si être une infirmière qui chaque jour tente de prendre soin de ses patients n'était pas un degré d'incompétence cher à Peter mais au contraire une magnifique compétence?

Quand j'ai commencé à écrire cet article, je ne savais pas où cela allait me mener, je ne pensais pas du tout partir sur de l'auto-analyse, je pensais même axer cela sur quelque chose de pratico-pratique, en accordant une attention particulière sur les outils utilisés pour passer mon entretien (prezi et mind mapping) et sur ma préparation et ma méthode de travail.

Et puis sans prévenir il y a eu en milieu d'article, un virage Fight Club et Tyler Durden (qui est probablement le film qui m'a le plus marqué). Alors en toute logique il eut été judicieux de conclure par une citation extraite de ce film qui en possède tant de terribles!!! Et puis il y a eu ce retour de mes années lycée avec ce principe de Peter, résurgence de mes cours d'éco et de nos passionnantes lecture de texte des grands économistes. Peter maniait l'ironie avec délectation. Pour vous convaincre, appréciez les deux suivantes:

"Allez à l'église ne vous fait pas plus chrétien, qu'aller au garage ne fait de vous un mécanicien"

"Le plus noble de tous les chiens est le chien-chaud (hot-dog), il nourrit la main qui le mord"


Kiss Kiss,

Suzie Q, 
une fiction autobiographique



jeudi 28 septembre 2017

Un syndrome post traumatique? vous prendrez bien 10 ans de psychanalyse



Trapped by Aditya Doshi


"Comment mesurez-vous l'efficacité de votre prise en charge?"

Cette question qui me brûlait les lèvres, c'est Aurélie qui la posa. Et ainsi en l'espace d'une fraction de seconde je me sentie un peu moins seule dans cette salle de formation. Et dans la lente respiration qui suivie, dans ce volume d'oxygène pourtant saturé en CO² qui vint remplir mes poumons, je sentis un agréable mieux-être se diffuser en moi.

Tellement dommage que ce sentiment n'apparaisse que si tardivement... Pendant ces 3 journées consacrées au psychotraumatisme j'avais l'impression d'être une extra-terrestre du soin.

A chaque pause j'avais entendu l'admiration que le formateur suscitait chez mes collègues. Sa longue expérience de psychologue, ses interventions au sein de la cellule psychologique locale (CUMP), son sens du détail dans la description clinique des atrocités qu'il avait expertisé provoquaient torrents de louanges et exerçaient sur les infirmiers et infirmières du groupe comme une espèce de fascination.

Je n'avais pas remarqué Aurélie. Introvertie, discrète, elle n'était pour ainsi dire pas intervenue durant ces 3 jours jusqu'à cet ultime tour de table.

Face à l'absence de réponse de celui qui comme moi découvrait le son de sa voix elle précisa sa question:

- Je vous ai écouté attentivement, j'ai pour l'essentiel compris le sens du travail d'analyse que vous faites avec vos patients psychotraumatisé mais quelque chose me chiffonne... Je vois pas comment vous évaluez l'efficacité de votre travail? Comment savez vous si votre travail permet à vos patients de guérir ou en tout les cas de mieux vivre avec leur trauma? Utilisez vous des grilles ou des questionnaires pour quotter leur angoisse lors de votre première rencontre puis à intervalles réguliers?

Celui qui était aussi expert auprès des tribunaux laissa un blanc s'installer, sa racla la gorge puis répondit Aurélie:

- Je note que dans vos propos l'expression "évaluer l'efficacité" c'est bien ça n'est-ce pas?

- Oui peut-être... j'ai en effet dû dire cela....

- Pas de peut-être, vous l'avez dit.

- Et donc?

- Et donc me dites vous? Et bien je vais vous dire! "Evaluer l'efficacité" voilà une expression que je n'aime pas trop! Savez vous que l'humain et plus particulièrement le psychotraumatisé est un être exceptionnellement complexe qui ne saurait se laisser évaluer. Il n'est pas un robot dont on pourrait évaluer l'amélioration liée à tel ou tel changement de processeurs, logiciels ou autre. Non la complexité ne se laisse pas apprivoiser facilement...

- Je comprend et ne met nullement en cause la complexité de l'humain.  En revanche, les symptômes, ils existent quand vous rencontrez votre patient et ce que ce dernier attend c'est que vous les gommiez non?

- Peut-être... Vous savez nous proposons notre aide, nous ne l'imposons pas, c'est ensuite au patient de s'en saisir s'il estime en avoir besoin. Et puis tout ça est extrêmement variable. Certains s'améliorent au fil des séances, ils nous le disent et on le constate, d'autres arrêtent la thérapie sans qu'on en connaisse la raison, d'autre encore la poursuivent pendant des années sans avancer d'un iota. Réduire cela à une accumulation de symptômes qu'il faudrait faire disparaître comme une vulgaire liste de tâches à accomplir me semble quelque peu réducteur...

- Et ben je ne partage pas votre avis.

Tandis que chacun range crayons et cahiers en cette fin de journée de juin à peine refroidie par la critique d'Aurélie je repense déjà à ce à quoi nous venons d'assister.

Le psychotramatisme. Voilà un thème passionnant et ô combien d'actualité m'étais-je dit en découvrant cette formation proposée au sein de l'EPSM. Il n'y avait pas plus de détail sur le contenu si ce n'est le nom du formateur et sa qualité. Un psychologue sans plus de précision sur son obédience. Je demandai à ma cadre la possibilité de participer à cette formation, ce qu'elle accepta connaissant mon projet d'un jour intégrer la CUMP de mon département. (... bon au moment où j'écris ces lignes je suis plus que pessimiste à ce sujet puisque chacune de mes relances depuis deux ans se solde systématiquement par un laconique et expéditif "la CUMP ne recrute pas")

Le bilan que je tire de cette formation n'est pas mitigé, il est catastrophique. Je m'explique. J'étais très enjouée à l'idée de consacrer 3 jours à étudier le psychotraumatisme. Ces près de 24h promettaient monts et merveilles ou plutôt monts de morbidités et merveilles d'atrocités. Mais rapidement le formateur aussi sympathique soit-il et aussi compétent soit-il (je rappelle formateur, psychologue clinicien, psychanalyste, expert auprès des tribunaux, membre de la CUMP etc...) a mis le feu aux poudres. Au moins dans mon cerveau...

"... alors le traitement du syndrome de stress post traumatique rentre dans le cadre d'une psychothérapie classique relativement longue..."

Vous allez me dire que je vois la mal partout... Cette phrase qui m'a fait bondir est une fois écrite relativement vide... Qu'est-ce qu'une psychothérapie classique? Ben je sais pas ça dépend de qui la prononce non? Et si c'est un psychanalyste ne peut-on pas imaginer un instant que classique signifie psychanalyse? surtout quand à classique il accole "relativement longue"?

Le problème, voyez-vous, c'est qu'a aucun moment - aucun! - sur les 3 jours de formations ce formateur n'a abordé les alternatives à une "psychothérapie classique".

Rien sur l'EMDR,
Rien sur les Thérapies Brèves
Rien sur l'imagerie mentale
Rien sur l'hypnose
Rien sur le mindfullness ou pleine conscience
Rien sur les TCC
Rien sur la Thérapie d'acceptation et d'engagement ACT
Rien sur la Thérapie d'exposition
Rien sur le Propranolol

Et quand je rien, c'est rien! Nada, que dalle, pas un mot, pas une seule fois, pas UNE seule putain de fois, ce formateur au CV pourtant dense n'a ne serais-ce que cité l'une de ces thérapies.

Moi je n'ai rien contre les références et citations Freudienne dont à usé et abusé le formateur...

Je n'ai rien contre un formateur qui met une distance professionnelle avec des apprenants IDE en utilisant un champ lexical auquel les IDE aussi doués soient-ils n'ont qu'un accès limité.

Je n'ai rien contre l'enrobage psychanalytique qui - aussi jargonaphasique soit-il - suscite admiration dans les rangs des apprenants.

Je n'ai rien contre un formateur qui toutes les 3 phrases pose inlassablement cette même question "je sais pas si vous me comprenez?" ou bien "je sais pas si j'ai été clair là?"ou encore "vous comprenez ce que je veux dire?"

Bon ok je n'en ai pas totalement rien à faire... mais je peux l'accepter! Je peux accepter qu'un psychologue nous ramène, nous IDE, dans nos rangs de soignants terre à terre qui n'avons pas accès au symbolisme ou à la représentation. Nous n'avons pas la même formation, nos métiers et missions sont différentes alors je l'accepte...

J'accepte que chaque fois que l'un d'entre nous avance une interprétation symbolique, il doit quasi s'en excuser un ajoutant à son interprétation une expression comme "jouer les psy de bazar" ou "psychologie de comptoir ou de bas-étage" quand ce n'est pas "psychologie de caniveau". Je l'accepte car encore une fois nous ne sommes pas formés à cela...

Mais ce que je ne peux accepter c'est qu'une formation professionnelle dispensée dans un hôpital qui reçoit ponctuellement des traumatisés psychiques en grande souffrance soit aussi léger sur le contenu de ses formations.

Je m'en fais tout une montagne? Je regarde trop le soin avec un prisme TCC? Je n'accepte pas que la psychanalyse soit aidante pour nombre de patients? Vous croyez que c'est ça? Peut-être, mais voyons voir ce qu'en dise les textes...


Bon, histoire de ma faire taper dessus, commençons par Wikipédia! 

"Le but principal des traitements par les thérapies comportementales et cognitives (TCC) ou par l'EMDR est de faire disparaître toute la symptomatologie post-traumatique et de permettre ainsi à la victime de retrouver le statut antérieur."

à lire ici: https://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_stress_post-traumatique#Traitements

Bon j'ai bien compris wikipédia n'est pas une source officielle ou suffisamment fiable pour un sujet aussi sensible. En lisant l'article de wikipédia j'ai néanmoins découvert qu'un traitement du stress post trauamtique se prépare associant psychothérapie et prise de MDMA !!! Hallucinant non??

Alors allons voir ce que dis l'HAS! Et bien dès 2007, l'HAS a publié un guide qu'on peut télécharger ici et qui en page 17 aborde le stress post trauma. Je cite:

Le traitement de choix est la Thérapie cognitivo-comportementale (TCC) centrée sur le traumatisme ou la désensibilisation avec mouvements oculaires (EMDR : eye movement desensitization and reprocessing).

Oui vous avez bien lu "traitement de choix". Ce n'est pas écrit "en seconde intention" ou "pour les cas les plus résistants" ou "après 10 ans de psychanalyse infructueuse"... non "traitement de choix"!!

L'HAS vous dégoûte, elle n'est qu'une grosse machine qui ne comprend rien à la finesse de la psychiatrie, c'est ça? Alors voyons voir ce qu'en dit l'institut de victimologie. Extrait du site :

"Plusieurs stratégies thérapeutiques peuvent être proposés, leur indication est posée dans tous les cas par le psychiatre après une évaluation clinique : thérapie comportementale et cognitive (TCC) , le Eye Movement Desensitization and Retroprocessing (EMDR), l'hypnose, les groupes, la relaxation, thérapie interelationnelle ; dans tous les cas il s'agit d'une prise en charge psychologique globale mais centrée sur le traumatisme et ses conséquences, puis sur la personne et ses propres ressources."


Quand à la célèbre "neutralité bienveillante" chère à mon formateur et selon lui essentielle dans la prise en charge du stress post trauma, je recite l'institut de victimologie:


"Le thérapeute se met au contraire résolument du côté de la victime et bannit la « neutralité bienveillante » au profit d'une attitude empathique bien dosée qui ne confine jamais à la sympathie"

Promis j'ai rien inventé: même moi je trouve le verbe utilisé fort, très fort, limite extrême.

L'INVS a lui aussi son point de vue sur cette neutralité.

"Ce que Freud a défini comme une « neutralité bienveillante » qui vise à laisser la place au patient, désarçonne les victimes qui attendent parfois une attitude plus active faite d’interventions et de conseil. En règle générale, les victimes ne sont pas en mesure de s’engager d’emblée dans une telle démarche psychothérapeutique"

Quant au moyens existants pour évaluer l'efficacité d'une prise en charge du stress post traumatique il existent n'en déplaise à mon formateur. Oui Aurélie, chère collègue, ils existent.

Page 19 du document de l'HAS pré-cité on peut lire ceci:

"Les échelles disponibles pour mesurer l’efficacité des traitements sont Impact of Event Scale (IES-R), PTSD Symptom Scale Interview (PSS-I) et Posttraumatic Stress Diagnostic Scale (PTDS)."

Ces échelles sont faciles à trouver sur le net.

En débutant la rédaction de cet article, je n'avais pas pour intention de dézinguer mon formateur. Mais j'ai ressentie une forte colère lors de cette formation que j'ai voulue exprimer "sur papier".

Nous recevons des patients. Ils sont en demande d'aide et c'est notre mission de les aider.

Comment un IDE va-t-il concrètement mettre en application le contenu de sa formation?
En réalisant des entretiens riche de neutralité bienveillante... C'est pas ce qu'il faisait déjà? Si mais bon... En sortant aux trans infirmières des bouts de phrases qu'il aura copié mot à mot lors de sa formation "tu vois il y a une déliaison des interactions subjectives et intrasubjectives" bouts de phrases qui feront un flop a peine seront-ils sortis de sa bouche?

Nous sommes infirmiers et nous avons un rôle thérapeutique. Dans toutes les thérapies brèves que j'ai cité un peu plus haut nous avons notre place à prendre, notre rôle à jouer. A nous de nous en saisir. Boire les paroles d'un psychanalyste a certes quelque chose d'enivrant mais jamais nous ne deviendrons psychanalyste, cela ne relève pas de notre décret de compétences. Formons nous aux autres thérapies, celles qui soignent et soignons, bordel de m...e !!

L'OMS qui cite lui aussi l'EMDR et les TCC ne s'y trompe pas et ne nous oublie pas. Je cite son communiqué de presse du 6 août 2013 sur les soins de santé mentale après un traumatisme  "... au moyen de protocoles thérapeutiques simples pouvant être utilisés par les médecins et les infirmiers qui prodiguent des soins de santé primaires."


Kiss Kiss
Suzie Q, une fiction autobiographique





lundi 11 septembre 2017

Parlons addiction sexuelle, parlons du démon d'Hubert Selby Jr.



bah ouais j'me la pête avec ma petite collection Hubert Selby Jr.




Quand mon libraire m'a conseillé "le démon" je me suis sentie conne. Faut dire que j'ai toujours revendiqué Hubert Selby Jr comme l'un de mes auteurs américains préférés juste aux côtés de Bukowski, Tom Wolfe, Henry Miller ou encore Philip Roth. Alors ne pas avoir lu et pire ne même pas connaître ce démon me ficha une belle honte... Et quand il m'annonça que c'était probablement le livre de Selby le pus lu et vendu en France, je ne pus résister et le lui achetai.


Autant le dire d'emblée, ce n'est peut être pas le chef d'oeuvre que j'espérais. Je n'ai pas retrouvé ici le style explosif d'Hubert Selby Jr mais ce livre fait néanmoins monter le curseur Babelio à 4 étoiles sur 5. Et s'il trouve sa place ici, sur le blog, ce n'est pas tant parce que je le considère comme un très bon livre mais plutôt parce qu'il traite de ce qui nous intéresse, à savoir une plongée lente mais dévastatrice dans la détérioration psychologique d'un homme, sa solitude et sa folie.


Ce démon est comme le domino manquant entre Shame, le film exceptionnel de Steve Mc Quenn et American Psycho (qui lui atteindrait presque la note maximale de 6 étoiles sur 5...) de Monsieur Bret Easton Ellis. Un croisement entre l'addiction sexuelle d'un cadre voué à un avenir professionnel sans limite et un psychopathe finalement plus addict à l'excitation que ressent celui qui joue avec le feu, les limites et les interdits.

A Shame il emprunte l'extrême solitude du héros et la souffrance que génère son appétence pour le sexe. On imagine aisément le personnage principal Harry sous les traits de Michael Fassbender. A American Psycho il emprunte, au moins dans le dernier tiers du roman, la logique froide et l'absence d'empathie. Et là encore on pourrait imaginer Harry ressembler à Christian Bale l'acteur qui tenait le rôle de Patrick Bateman dans l'adaptation ciné qu'en avait faite Mary Harron.

Donc du sexe, oui. Ça commence comme une pulsion et dès les premières lignes le programme est annoncé. "Ses amis l'appelaient Harry. Mais Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des femmes... des femmes mariées." C'est brut et absolument pas métaphorique.


(Remarque: L'utilisation du verbe enculer en ouverture d'un roman est-elle la garantie d'un grand livre? Rien n'est moins sûr mais je fais néanmoins le constat que bien avant Vernon Subutex, Virginie Despentes dans ce qui était alors à mes yeux son Masterpiece intitulait son chapitre 1 "Je t'encule ou tu m'encules?". Ce qui par ailleurs pose la question de l'emprunt éventuel de ce verbe et l'hommage à Selby Jr de Despentes qui dans une interview à Télérama (à lire ici) citait volontiers l'Américain comme influence (parmi d'autres).)


Le livre nous donne à suivre la vie de Harry sur plus d'une décennie, depuis sa vie de célibataire hébergé chez papa et maman, à celle de jeune époux et jusqu'à celle de père de deux enfants. Professionnellement on suit son évolution depuis ses débuts comme jeune cadre prometteur jusqu'à devenir l'un des businessman influent de New York qui s'affiche sur les couvertures des magazines de son pays. Mais on le comprend vite Harry souffre d'une forme d'addiction. Une addiction au sexe à une époque (1976) où l'expression n'existait pas encore. En effet il faudra attendre le milieu des années 80 pour que Carnes puis Goodman la conceptualise. (plus d'info ici) "Ce qu'il voulait c'était baiser quand il avait envie de baiser, et se tirer ensuite". Harry est comme ça, sa vie se résume à une multiplication des aventures sexuelles.

Et tout d'abord on croit suivre un dragueur invétéré, le genre de bonhomme insupportable qui arrête toute activité dès qu'il croise "une belle paire de nichons et un beau cul bien rond"Sa routine: profiter de sa pause déjeuner pour aller rencontrer en ville au parc des femmes et les fixer d'un regard sans ambiguïté.

"fixant avec insistance (...) l'arrondi de la fesse"; "contempla ostensiblement ses jambes croisées"; "Harry ne détourna pas les yeux"; "il dévisageait les femmes d'un œil lubrique"; "la dévisageant avec concupiscence"

Une fois la jeune femme ferrée, Harry aime se faire désirer et joue volontiers avec ses femmes à usage unique qu'il jette dès l'acte consommé.

"il ne jugeait pas mauvais de laisser Mary poireauter quelques temps"; "la faire languir lui procurait une satisfaction supplémentaire"; "plus il y songeait plus ça l'excitait"

Alors il invente des faux noms et ne donne aucune adresse de façon à ne devoir entretenir aucune relation. Sinon "elle lui téléphoneraient à toute heure du jour ou de la nuit, ou viendraient chez lui quand elles avaient le feu au cul."

Son excitation ne naît pas tant dans l'acte sexuel lui-même que dans l'excitation qui l'entoure. Et notamment du fait qu'il puisse être surpris par les maris "il ignorait ce qui pouvait se produire et son appréhension augmentait son excitation"; "elle n'habitait peut-être pas à l'endroit indiqué, ou les choses n'allaient pas se passer comme il le pensait, son mari pouvait être là, ou rentrer à l'improviste (...) mais savoir que tout pouvait arriver ne faisait qu'accroître son excitation."

Mais une addiction n'en serait pas une si elle n'avait pas de répercussions négatives. Et pour Harry c'est tout d'abord la sphère professionnelle qui est touchée. A s'adonner ainsi à son addiction sur l'heure du déjeuner, forcément ses retards s'accumulent. D'abord quelques minutes, puis plusieurs heures, jusqu'à se faire porter pâle, accablé par la honte de revenir au bureau. Ses retards agacent bientôt au sommet de sa hiérarchie. Convoqué par son patron: il perd une promotion qui lui est pourtant promise.

"la seule chose dont il eût conscience était l'intensité de ses sentiments qui l'agitaient, et son incapacité à leur donner un nom ne faisait qu'accroître la panique qu'il ressentait."

Alors pour reprendre le contrôle, il tente l'évitement en surinvestissant son travail. Mais l'évitement est-il possible? Comment éviter la moitié de la population? Alors il a beau s'y contraindre et ne quasi-plus sortir du bureau le midi, la rechute lui tend les bras. Décision apparemment sans conséquence: un déjeuner avec la secrétaire. Bim-Bam-Boum c'est reparti!

"cependant, s'il parvenait encore à exercer un certain contrôle sur ses actes, il n'en allait pas de même pour ses pensées."

Si, dans un premier temps, l'évitement est une stratégie efficace pour qui souhaite mette un coup d'arrêt à une addiction, elle est difficilement tenable dans le temps. Le problème de notre anti-héros est le même que celui de l'alcoolique qui se tient à distance des bistrot. ça marche un temps et puis... Est-il possible de se tenir éloigner de toute bouteille pour le restant de ses jours? Rien n'est moins sûr. Alors faute de stratégie alternative plus élaborée Harry rechute. Et ce n'est pas le psychanalyste qu'il consulte qui lui offrira les clés pour s'en sortir. "...un grand trouble se fit dans sa tête et finit par l'envahir tout entier, et il réagit automatiquement de la seule manière efficace qu'il ait jamais trouvée." Et à nouveau les retards et à nouveau les opérations séduction.

Exemple de stratégie inefficace "il s'asseyait sur un banc en mangeait son sandwich, en pensant à tout autre chose. Et ça marcha. (...) Mais sa maîtrise ne tarda pas à l'abandonner et, une fois de plus, il se retrouva dans une chambre d'hôtel avec une nana." Très risqué comme stratégie non? et bien casse-gueule aussi non? Et pourtant si représentative de la réalité. Pour reprendre l'exemple de l'alcool, combien de patients soignés en addicto sont fiers en retour de permission d'annoncer tout de go qu'ils se sont rendus dans leur bistrot habituel mais qu'ils n'ont consommés qu'un café ou une limonade. Oui ça s'appelle jouer avec le feu.

Paradoxalement tandis que Harry s'enfonce dans toujours plus de sexe, et que sa santé mentale se dégrade au grand détriment de sa femme qui désespère de pouvoir l'aider, sa progression dans la hiérarchie de son entreprise ne semble connaitre aucune limite. Ses retards continuent d'exister mais sont largement compensés par son talent et son implication. En effet par moment il arrive à se défoncer pour le travail à y consacrer toute son énergie dans ce qui peut apparaître comme de véritable période de sevrage qu'il s'accorde. Malheureusement la 6ème étape de la roue du changement de Prochaska et Di Clemente vise juste et notre héros rechute.

Cette roue aussi connue sous le nom de modèle transthéorique du changement est - bien qu'imparfait - un outil de base à connaitre quand l'on s'intéresse aux addictions. Elle permet non seulement de comprendre où se situe notre patient mais surtout nous guide sur l'attitude thérapeutique à adopter et permet ainsi d'éviter des erreurs extrêmement énergivore et inefficace du genre vouloir sortir un patient de son addiction alors que lui n'en est qu'à la pré-contemplation, phase où le patient ne voit que des bénéfices à sa consommation et n'a donc aucunement l'intention d'y mettre un terme.

En l'espèce l'histoire débute alors que Harry est en pleine phase de précontemplation. Son addiction n'est pas vécue comme telle, elle n'est qu'une source de plaisir sans aucun point négatif. Une sorte de lune de miel. Le premier hic survient de la sphère professionnelle. Les retards s'accumulent, pris dans ses opérations de séduction, Harry qui opèrent sur l'heure du déjeuner, arrivent de plus en plus tard au travail. Les vives remontrances de son patron puis une promotion promise qui lui échappe et c'est la bascule, Harry passe en phase deux la contemplation. C'est la phase des questions, la phase où l'on pèse le pour et le contre.

"l'introspection devenait chez lui une habitude, et son esprit se brouillait à force d'essayer de comprendre le pourquoi et le comment de ce qui se passait en lui." "... il espérait pouvoir comprendre le pourquoi de ces événements et y remédier. Ou a défaut du pourquoi, il pourrait au moins comprendre le comment et empêcher tout ça de se reproduire."

"il aurait voulu pouvoir changer quelque chose, mais ne savait pas quoi."

S'ensuit la phase d'action (la phase de détermination est ici très brève, voire passée sous silence) où comme évoqué un peu plus haut, Harry en mettant les bouchées doubles au boulot s'octroi des périodes de sevrage. Les rechutes sont fréquentes mais avec un changement notable. L'on constate comme un syndrome de tolérance. Du genre toujours plus pour obtenir une satisfaction identique. Alors tout d'abord l'excitation vient des ses coucheries à l'heure du déjeuner puis cela devient insuffisant il faut toujours plus de frissons, de prises de risques...

La tolérance: "un sourire, un bonjour, un regard et une brève conversation, et puis sa queue qui fouille la chatte mouillée de la fille (...). Et il jouit, (...) et il attend le sentiment de bien-être, de soulagement qui suit habituellement l'éjaculation (...) Mais il ne vient pas. Pour une raison qui lui échappe, la méthode sûre et éprouvée qu'il emploie de longue date n'a plus l'efficacité qu'elle avait(...)."

L'on comprend alors que ce n'est pas tant d'une addiction au sexe que souffre Harry mais d'une addiction à la mise en danger, à la transgression d'interdits. Mais ce serait spoiler qu'en dire plus...
Au-delà de l'addiction il y a beaucoup à voir et à lire dans ce roman. Comme cette sensation de dépersonnalisation, de déréalisation, qui touche Harry:

"il se surprit à suivre une femme dans un magasin. Elle regardait les soutiens-gorge et les culotte, et lui l'observait. Jusqu'au moment où il prit soudainement conscience de ce qu'il était en train de faire.

"il aurait voulu se lever et s'enfuir, mais en était incapable et il restait là, tel u spectateur impuissant, et se voyait baiser la fille."

"il se retrouva allongé sur un lit en compagnie d'une des filles du service des relations publiques, conscient du fait qu'il pouvait encore prendre le dernier train, mais sachant qu'il n'en ferait rien. Comme si cette décision lui avait été imposée, sans qu'il eût son mot à dire, et il se résigna sans vraiment protester."

Alors faut-il lire ce livre? Clairement si tu n'as jamais lu un Selby Jr, ce n'est pas celui que je te conseille pour commencer. Son style - bien qu'intéressant puisque inspiré par le courant de conscience - n'est pas aussi "cinglé" que celui des Last exit to Brooklyn ou encore retour à Brooklyn. Je dis cinglé car si tu ne connais pas Selby, voici un extrait d'un article de Libé: Hubert Selby Jr, est «considéré comme le fou furieux de la littérature américaine. Il ne fait partie d'aucun courant, d'aucune école». Sa vie, en quelques mots, ce fut : «tuberculose, alcool, héroïne, HP et tout le reste." Un beau portrait tiré du même quotidien est à lire ici. En revanche, si tu veux lire quelque chose sur les addictions, alors là ça vaut le coup. Et si c'est le sexe qui t'intéresse et que tu désespères de pouvoir lire autre chose que la misère érotiquo-marketée de E.L James, n'hésite pas. (tu peux aussi lire en complément l’exceptionnel Complexe de Portnoy de Philip Roth).



KissKiss,
SuzieQ, une fiction autobiographique