mardi 29 septembre 2015

# 16 - NYPD, LAPD, EPSM épisode 2: c'est dans le corridor que ça s'passe...

@Tom Blackwell
https://www.flickr.com/photos/tjblackwell/

ce billet fait suite à celui intitulé "NYPD, LAPD, EPSM même combat? Non mais ça va pas". 



C'est le début d'après-midi et comme souvent à ce moment c'est le calme plat. Entre les patients sortis dans le parc, ceux qui s'adonnent à une sieste digestive et ceux qui attendent le psychiatre mais qui savent qu'il n'arrive jamais avant 14h30, le couloir est désespérément vide. 

Alors nous on est là, dans ce souloir qui nous mène de la salle à manger au bureau infirmier. Les transmissions du jour seront brèves, l'activité du matin ayant été calme. Nadège et moi marchons à petits pas, sans mot dire. Et tout autour de nous, il y a cette tension qui nous enveloppe. Elle charge l'atmosphère d'une pesanteur inhabituelle. Les mains dans les poches de nos blouses, nous jouons chacune avec notre trousseau de clés, prêtes à dégainer de nouveau (voir épisode précédent). Ici, ce n'est pas Tombstone et je ne suis pas Wyatt Earp mais ce qui se trame à quelque chose du "règlements de comptes à Ok Corral".


"Fast is fine but accuracy is everything" 
"la rapidité c'est bien mais la précision c'est tout
Wyatt Earp, Marshall Américain et Chasseur de bisons.

Il me faut agir vite, vite et bien. Ce climat pesant a assez duré, il est tant d'y mettre un terme. Alors je me lance sans trop savoir ou je vais atterrir. Me sortir la tête de l'eau ou m'y enfoncer pour sombrer dans les fonds abyssaux.

- ca va?
- hein? me répond-t-elle sur la défensive
-Je te demande si ça va?
- Pourquoi crois-tu que ça n'irais pas?
- Je sais pas... une impression depuis que j'ai ouvert la porte à M. P.
- ah bah, c'est sûr moi je ne l'aurais pas ouverte cette porte!
- oui ça je l'ai bien vu... mais j'ai l'impression que ça te gène que moi je l'ai fait. J'me trompe?
- et bien puisque tu le demande, oui ça me gène.
- ok
- et tu sais pourquoi non?
- parce que je ne suis pas allée dans le même sens que toi.
- oui mais pas que Suzie, pas que. Il ne s'agit pas de moi, petite Nadège qui fait son caca nerveux.
- Explique-moi alors.
- Là on parle de cohésion, on parle d'unité d'équipe.
- Unité que si j'ai bien compris j'ai réduite à néant c'est ça?
- Disons que si dans une équipe chaque infirmière tient un discours différent au patient cela à plusieurs conséquences fâcheuses. Déjà, premier temps, c'est déstabilisant pour lui, il ne sait plus quel discours il doit croire. C'est déjà le bronx dans la tête de pas mal de patients alors si nous par nos approximations et nos divergences on en rajoute, ça va pas les aider. Conclusion: quand une collègue dis quelque chose à un patient, d'accord ou pas, on s'en fiche, tu te plie à ce qui a été dit.
- J'vois ce que tu veux dire...
- Ok, tu vois, mais t'en pense quoi?
- J'pense que je suis moyennement d'accord.
- ben vas-y développe!
- Ce que je pense, mais attention c'est juste mon point de vue, c'est que c'est un peu facile de me dire que je dois la fermer sous prétexte que tu as a parlé et que je ne dois pas te contredire sous peine de mettre en branle cette soi-disant unité d'équipe. Sur le principe je trouve l'idée séduisante, encore faut-il que chacune ait pu exprimer son point de vue. Donc quand le patient nous pose une question et qu'il nous laisse le temps de la réponse, ton idée tient la route. Car dans ce cas on se pose dans un bureau et on réfléchit en équipe à la meilleure réponse à lui apporter, et là je suis d'accord avec toi, quand une décision d'équipe est prise il est important de s'y tenir qu'importe notre point de vue personnel. Mais là c'est très différent non?
- j'vois pas...
- y'a aucune décision d'équipe. La patient entre et pose une question qui a priori appelle une réponse immédiate.
- c'est ça
- et là c'est toi qui, sans te concerter avec tes collègues, décide de la réponse. Or et excuse-moi si ce que je te dis est désagréable mais cette décision c'est ta décision et en aucun cas celle de l'équipe.
- Non mais on allait pas se concerter pour cette simple question. Je te rappelle que M. P. à le chic pour systématiquement venir nous voir quand on est en pause.
- C'est vrai et je te l'accorde parfois c'est chiant mais c'est aussi écrit dans le règlement du service que les sorties sont à 13h15.
- Oui enfin on s'est pas posée de la matinée, il peut aussi attendre un peu non?
- Oui et non, c'est pas son problème à lui qu'on ne se soit pas posée. Lui il est patient, on peut pas à la fois demander aux patients de respecter le cadre et quand il le font leur sortir l'excuse de notre organisation défaillante ou de notre rythme trop soutenu...
- Mettons que tu n'as pas tort sur ce coup là. Mais je t'ai parlé tout à l'heure de plusieurs conséquences fâcheuses. Et dans le prolongement de cette absence d'unité d'équipe on peut ajouter autre chose.
- Mais je t'écoute...
- et bien une équipe non unie, c'est une équipe qui montre ses failles, une équipe faillible. Or avec des patients qui sont au plus mal, on a besoin de montrer que l'on gère, que l'on est fort.
- Donc toi tu te considère infaillible c'est bien ça
- Oh tout de suite les grands mots. On ne peut pas se permettre la faille.
- Tu t'y connais en arithmétique?
- Hein?
- L'algèbre, les mathématiques ça te dit quelque chose?
- ben oui comme tout le monde!
- Donc les nombres relatifs??
- Oh tu sais moi hormis les calculs de dose et encore...
- Bon moins par moins ça fait plus t'es d'accord avec ça?
- Si tu le dis...
- Oui moins par moins ça fait plus, d'ailleurs y'a pas à être d'accord ou pas. C'est la vérité point.
- Et donc, quel est le rapport, je te rappelle qu'on nous attend aux trans...
- Le rapport? et bien voilà, moi vois-tu je suis pleine de faille. Et ce qui fait ma force c'est la multiplication de mes failles. mes failles par mes failles font ma force.
- Comme un peu la somme de mes failles fait ma force
- Non pas la somme, la multiplication! La somme c'est moins plus moins ce qui donne un résultat négatif. Et moi si j'additionne mes failles ça va être violent je vais me retrouver avec la faille de San Andreas sur mon dos! Non c'est bien mes failles par mes failles qui font ma force. Kapish?
- Drôle de théorie...
- C'est très sérieux j'te jure. Ton histoire d'infaillibilité, c'est une illusion à laquelle personne ne croit réellement, toi inclus non? On a tous nos failles et c'est parce qu'on en est conscient qu'on avance et qu'on progresse.
- Attend je crois que j'ai une lumière qui s'allume dans mon cerveau.
- Merde ça va faire mal!
- Je ne t'ai jamais dis que j'étais sans faille. Je parlais de l'équipe, de l'unité d'équipe. En revanche, si je suis ta théorie des nombres relatifs où l'on considère que chaque soignant à sa failles, on obtient l'équation suivante: soignant faillibles (f) multiplié par le nombre de soignants (20) que nous sommes dans l'équipe est égal à notre force (F). Donc, j'ai raison, on est fort! F=f*20
- Oui forts, pas infaillibles! Et oui notre force d'équipe naît de nos failles individuelles.
- C'est beau!
- N'est-ce pas?

Vous vous en doutez probablement mais cette discussion n'a jamais eue lieu. Malheureusement. Et si je l'ai souvent espérée, je n'ai jamais trouvée la courage de la provoquer.

Mais ce genre de situations à priori anodine se reproduit chaque jour en service psychiatrique. Les réponses que nous apportons aux patients qu'elles soient le reflet d'une décision d'équipe mûrement réfléchie ou le positionnement instantané d'un IDE doivent pouvoir s'argumenter. C'est le sens que l'on y donne qui rendra notre décision crédible aux yeux du patient. Bon même si je suis loin d'être un modèle du genre, j'essaye d'avoir un peu de recul sur mes pratiques dans l'espoir de m'améliorer au moins un petit peu!

Prochain article vendredi!



dimanche 27 septembre 2015

# Revue de presse du 27 septembre 2015



Où l'on aborde la dépression et le rôle des aidants. Synthétique et intéressant: http://www.lexpress.fr/styles/psycho/depression-comment-aider-une-proche-depressif_1714922.html

Où l'on aborde l'histoire de la psy à l'occasion des 50 ans du département de psychaitrie de Montréal: http://plus.lapresse.ca/screens/d043870e-0286-446b-8519-30154f87f11f%7C_0.html

Où l'on parle de caca de la meilleure des façons. Avec humour et professionnalisme. Un must have read! http://intestins.24heures.ch/

Où l'on parle des nouvelles addictions. C'est le téléphone sonne et c'est sur France Inter. émission du 21 septembre à réécouter ici: http://www.franceinter.fr/emission-le-telephone-sonne-tous-dependants

Où l'on parle du début de la fin... https://www.francebleu.fr/infos/sante-sciences/dijon-le-personnel-de-l-hopital-psychiatrique-de-la-chartreuse-en-greve-pour-denoncer-la-baisse-des-moyens-1443002410

Où au détour d'une interview on parle de l'importance du rôle des IDE: http://somapsy.org/interview-avec-le-dr-xavier-sanchis-zozaya/



vendredi 25 septembre 2015

#15 - NYPD, LAPD, EPSM, même combat? Non mais ça va pas!



On en est là. Assises en équipe autour de la table. Il est 13h15 et la relève arrivera d'ici 15 minutes. J'entends le "ding" du micro-ondes et me lève pour aller y récupérer mon tupperware. L'aide-soignante m'interpelle "si tu vas en cuisine, tu peux me rapporter un fromage s'il te plaît, y'en a plein le frigo". Je lui réponds une phrase du genre "ok mais c'est bien parce que c'est toi" mais je ne dois être guère convaincante puisque aussitôt ma commande se voit augmenter d'une cuillère à café pour ma collègue infirmière et d'un fruit pour l'ASH

Mes lasagnes de légumes préparées la veille sont appétissantes bien que tout juste tiède. Hey Suzie Q. 1min30 au micro-ondes, c'est trop peu, note ça dans un coin de ta tête. Et tandis que je regagne tranquillement la table avec la liste de courses complétée, c'est le sujet le plus inadapté mais pourtant le plus récurrent qui s'y invite me grillant la politesse au passage. Et je ne suis pas encore assise que lui semble s'y être déjà bien installé tant les échanges fusent à son propos. Oui il s'agit du transit de nos patients, ce putain de transit qui a le chic - à défaut du charme - de venir ruiner nos repas. Je ne sais qui a lancé le sujet mais à coup sûr, cette pensée aurait dû à jamais rester à l'état de pensée. Mais merde alors, à quoi bon la verbaliser car maintenant va falloir faire avec... entre rire et dégoût. Oui entre rire et dégoût car aux éléments factuels intiaux (Monsieur Untel est constipé, Madame Untel à de fausses diarrhées etc...) on bascule très - trop? - rapidement dans une surenchère aussi exhaustive dans ses détails qu'elle est dégoûtante dans ses exagérations. Et si j'arrive dans un premier temps à focaliser mon attention sur mes lasagnes, il me devient de plus en plus compliquer de la maintenir dessus quand les descriptions des scènes grands lavements se font entendre. Et quand l'on pense que c'est terminé, il y a toujours quelqu'un - typiquement celui qui jusqu'alors n'a rien dit - qui aborde avec moult détails la technicité de l'évacuation manuelle des selles.*

Alors oui, on en est là. On en est là quand un patient vient frapper à la porte. Une fois, deux fois, trois fois. Tout le monde l'entend, personne ne répond. Une minute passe et - la porte n'étant pas fermée à clé - c'est finalement lui qui - désespéré de nous entendre rire mais de n'avoir aucune réponse - l'ouvre. Le fou rire de Nadège - ma collègue du jour - s'interrompt aussitôt. Elle le toise du regard et lui lance "on ne vous a pas dit d'entrer, vous voyez bien qu'on mange!

Lui sans se décontenancer répond "ben oui j'vois ça mais comment je fais pour sortir moi". 
- Et bien vous attendez... Vous pouvez ben patienter 5 minutes qu'on termine. 
- Ok, ok. Mais comme c'est écrit que les sorties sont possibles à partir de 13h15...
- Oui peut-être mais bon vous voyez bien qu'on vient de se poser. ça fait à peine 5 minutes qu'on est là, alors vous pouvez bien attendre quelques minutes. Et puis vous, c'est systématique, faut toujours que vous fassiez vos demandes quand on se pose!
- Pfff... Et ben dis donc, c'est bien compliqué ici. Mais comme vous semblez avoir envie de me tirer dessus, peut-être pourriez-vous dégainer votre trousseau de clés pour me l'ouvrir cette porte.
- N'importe quoi j'vous tire pas dessus! En tout cas c'est pas en me parlant comme ça que je vais l'ouvrir la porte. Alors maintenant vous sortez s'il vous plaît et vous...

C'est à cet instant que j'interviens.
- Laisse tomber Nadège, j'ai terminé mon repas, je vais y aller. 
Et c'est sans attendre sa réponse que je me lève et accompagne le patient vers la sortie.

Nous sommes face à la porte. 
- Donc c'est vous qui dégainez finalement. Merci.
- C'est étrange ce verbe que vous employez non?
- bah j'dis ça comme ça pour déconner dit-il en s'éclipsant vers le parc de l'hôpital, me laissant seule face à cette interrogation.

Dégainer. Aussitôt l'emploi de ce terme m'a renvoyé à mon premier jour sur l'établissement. Jour où dans le bureau du cadre supérieur de santé, celui-ci, m'avait dans un instant au combien solennel remis mon trousseau de clés. Avez vous déjà vu l'un de ses films américains ou le jeune flic intègre un commissariat et ou lui remet son arme et son badge? Non? Sûr? Alors vous avez forcément en tête ces scènes dramatiques où ce même flic après une bévue ou une injustice se voit contraint - ô déshonneur - de rendre son arme et son badge? "John, vous êtes suspendu du NYPD" ça marche aussi avec "Michael, pose ton badge et ton arme sur mon bureau, je te suspend de tes fonction au sein du LAPD". Ah je savais que ça, ça allait vous parler! Et bien dans ce bureau décrépit et impersonnel, bureau qui transpirait la misère financière de la fonction publique hospitalière c'est la seule image qui me vint.

Ce jour-là il m'avait tenu un discours assez surréaliste qui - excusez-moi mes souvenirs sont un peu confus - donnait quelque chose comme ça:

- Je suis le détenteur des clés Suzie Q. Et je vous en confie un trousseau. Prenez en soin et surtout ne le perdez pas. Quand vous ne travaillez pas, garder le en sécurité. Et quand vous travaillez faites en sorte qu'il reste toujours sur vous. Un trousseau égaré, c'est un trousseau dans les mains d'un patient. Et un trousseau dans les mains d'un patient, c'est une partie de notre pouvoir qui nous échappe. 
- Compris chef.
- J'espère.
- ... ça fait beaucoup de clés. C'est l'hôpital Trousseau ou quoi?
- Drôle, très drôle, Mlle Q. 17, il y en a 17. Des petites, des grosses, des simples et des sécurisées. Aujourd'hui vous ne savez pas ce qu'elles ouvrent et je ne vais rien vous dire à ce sujet. 
- Ah ben c'est pas pratique...
- Mais quand tout à l'heure vous sortirez de mon bureau vous allez découvrir l'hôpital. Chacune des clés vous révélera une partie de ses secrets. 
- ça fait froid dans le dos.
- et pourtant... Chaque clés ouvre une porte derrière laquelle se cache des mystères liés à une histoire vieille de plus de 200 ans.
- C'est pas vrai n'est-ce pas, vous me faites marcher non?
- Oui oui je vous fais marcher, mais que voulez-vous, j'aime bien donner un caractère quelque peu sacré à cette remise de clés.
- Et bien, c'est réussi!
- Vous savez, Suzie Q, un  jour viendra où chaque agent aura dans sa poche une carte unique, une carte numérique, une carte qui remplacera les clés de cet hôpital... Et bien j'appréhende ce jour. Ces bruits de serrures, ces bruits de clés qui s'entrechoquent, ces bruits qui rythment les journées disparaîtront avec les clés et ce sera comme un pan de l'histoire de cet endroit qui s'effondrera...
- Je n'y ai jamais pensé
- Bon en attendant, signez ici le registre de remise des clés, s'il vous plaît.

Voilà. Dégainer, quoi. Quand je l'écris ça ne fait pas très flic c'est vrai mais ce jour-là c'est bien ce à quoi que j'avais pensé. Alors au-delà de cette anecdote, y a-t-il des similitudes entre les forces de l'ordre et les soignants psy? Bon, on accomplit les uns comme les autres une mission de service publique mais hormis ça? Je ne sais pas, j'imagine que non même s'il m'arrive de voir parfois des IDE agir en cow-boy j'ose penser que c'est une minorité. Et puis on peut penser que chez les flics il y en a aussi qui se font montrer du doigt pour être trop dans la prévention et pas assez dans la répression. (NPMM&I**: notions à approfondir lors d'un prochain billet "flics-IDE-soin-répression-points de convergence et de divergence")

L'irruption de mes collègues d'après-midi signe le retour à quai du bateau Suzie Q. Fini de dériver, on rentre au port. On s'embrasse rapidement et elles poursuivent leur route direction le bureau infirmiers pour les transmissions. "Je vous y rejoins dans un instant, faut que je débarrasse ma table."

De retour en salle à manger, Nadège ne m'adresse par un regard. Chacune range son coin de table et c'est dans une ambiance étonnamment glaciale que l'on quitte cette pièce. 

Si vous bossez en psy, vous n'êtes pas sans savoir le rôle prépondérant qu'ont les couloirs de nos institutions. Leur rôle est bien plus important que la simple mission de desservir les pièces d'un bâtiment et permettre la circulation des personnes qui les fréquente. Le couloir à l'HP, c'est l'espace imprévu, l'entre-deux du soin. Souvent non-officiel il est régulièrement choisi par nombre de patients pour y délivrer des infos qu'ils n'ont pas souhaité donner dans un bureau d'entretien ou une salle de soin. dans le couloir, Ce qui est dit a un caractère officieux mais n'en demeure pas moins vrai. Et ce qui marche pour les soignés allait à présent marcher pour les soignants comme Nadège m'en fit la démonstration tandis que ce couloir nous menait en salle de trans.

Mais ça, ce sera pour le prochain billet! 


* si vous voulez allez plus loin sur le sujet du caca et impressionner vos collègues à table, je vous conseille cette excellente vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=ybs-qaUKb_k



**NPMM&I acronyme de Note pour Me Myself & I





mardi 22 septembre 2015

#14 - le complexe du castor

C'est le genre de film casse-gueule. Du genre à sombrer dans les travers des films traitant de la dépression. Les grosses ficelles habituelles: du sentimentalisme outrancier, un retour aux vraies valeurs, des larmes, des vraies et puis des levers de soleil et un goût prononcé pour la beauté du monde associé à un refus systématique du métro-boulot-dodo ce rythme de ouf qui nous tuera tous! 

Si t'as loupé, le contexte dans lequel je l'ai regardé va vite voir ici:


Ce Castor n'a pas de barrage!

Cet écueil, Jodie Foster, à la fois devant et derrière la caméra, l'évite avec brio en offrant à Mel Gibson l'un de ses meilleurs rôle. 

"Le castor, l'arme fatale de la dépression"

(... oui y'a une private joke, réservée aux "fins" connaisseurs de la carrière de Mel!)



L'Australien y incarne Walter, un homme a qui tout avait réussi (amour, famille, travail) et qui - on n'en saura pas vraiment les causes - bascule dans une dépression... profonde. La scène d'ouverture pose clairement les choses en quelques minutes "La dépression de Walter est comme une encre qui tâche tout ce qu'il touche, un trou noir qui engloutit quiconque l'approche". C'est bien écrit, ça va droit au but.

Et cette écriture est soutenue par une réalisation qui fait mieux que tenir la route en témoigne la scène du suicide raté de Walter qui arrive à être à la fois juste et émouvante tout en utilisant le ressort comique du héros bourré sans tomber ni dans le ridicule ni... dans le vide! Faut dire qu'à la réalisation et à l'écriture s'ajoute une BO qui accompagne merveilleusement les images. Un tango-argentin signé Marcelo Zarvos qui fait mouche.

Cette scène du suicide donne le la en montrant un passage à l'acte comme il en est des milliers chaque jour. (Oui ça semble exagéré mais rien qu'en France on est à environ 550 TS par jour http://www.sante.gouv.fr/etat-des-lieux-du-suicide-en-france.html). Une TS c'est comme ça, comme celle de Walter, quelque chose de triste et absurde à la fois, réalisée avec les moyens du bord, dans un état de conscience plus ou moins altéré et qui à la fin à autant de chance de se conclure en chute de barrique qu'en défenestration!

Cette fois-ci pour Walter, ce sera la chute de barrique et la bonne gueule de bois qui va avec au réveil. Alors pour faire face à ses idées suicidaires, Walter va, un peu par hasard, mettre la main sur - et dans - une marionnette - je vous le donne en mille - de castor! Et ce castor il va s'en servir comme d'un outil thérapeutique pour extérioriser ce qu'il n'osait pas dire à son entourage

Et ça marche! Rapidement le castor thérapeutique porte ses fruits. Walter va mieux beaucoup mieux, se rapproche de sa famille, reprend de plus belle son travail... mais à quel prix? Au prix d'une marionnette enfilée sur son bras 24h/24 et qui petit à petit va développer sa propre identité. Walter ne s'exprime plus qu'au travers de cette marionnette ce qui ne va pas être sans dérouter son entourage.

Alors  moi ça ma bluffé! Jamais je n'avais entendu parler de ces marionnettes-thérapeutiques alors forcément ça m'a intéressé! j'ai d'abord cru à une fantaisie scénaristique jusqu'à ce qu'une simple recherche sur google me renvoie 52.000 résultats... ou là j'ai mesuré l’abîme de mon ignorance....

Alors ok une marionnette thérapeutique, mais pour quoi faire? et bien Mr Beaver (c'est le castor) nous l'explique, écoutons le:
La marionnette est "chargé de développer une distance psychologique entre lui (Walter) et les aspects négatifs de sa personnalité"

Malgré tout il y a plusieurs choses que j'ai moins aimé dans ce film. Tout d'abord l'histoire du fils aîné que l'on suit en parallèle, fiston qui fait tout pour éviter de ressembler au père et dont l'on suit les pérégrinations lycéennes entre marchandage de talents d'écrivain et dragouille romantique de Jennifer Lawrence. Ensuite le volet success-story typiquement américain m'a que peu intéressé. Au lieu de faire de son personnage principal un anti-héros du quotidien, Jodie Foster en a fait un dirigeant d'entreprise dont les hauts et les bas semblent conditionnés par sa santé mentale. Si bien que lorsqu'il retrouve sa thymie d'antan, l'entreprise repart de plus belle au point de faire bientôt la une des médias, son directeur étant l'invité de divers shows TV... un peu, beaucoup, passionnément excessif! 

Le retour du bâton. Attention, ça va SPOILER. Même si la vie avec un castor est formidable, elle n'en demeure pas moins périlleuse. Et la place qu'occupe rapidement Mr Beaver laisse peu de doute à l'issue douloureuse qu'on nous mijote. Et c'est dans une scène qui n'est pas sans rappeler - avec certes moins de brio ici que chez Fincher - celle de Fight Club ou Edward Norton se foutait sur la gueule dans le bureau de son patron que Jodie Foster met un terme à cette relation "zoothérapeutique". Scène qui n'est pas sans semer le doute sur le diagnostic médical de ce Walter étant donné la violence du passage à l'acte auto-agressif. Ce diagnostic n'étant pas du ressort de la simple infirmière que je suis, je laisse au psychiatre qui se serait égaré sur ce blog le soin de confirmer ou d'infirmer la structure de psychose suggérée par cette scène.

Pour le plaisir, la scène hallucinante de Fight Club: 





Au final, les défauts évoqués sont bien peu de choses par rapport aux nombreuses qualités de ce film qui sont rappelons-les:

- un sujet original avec pour ma part la découverte de la thérapie par la marionnette
- un Mel Gibson très convaincant dans un rôle loin d'être évident
- une belle écriture de scénario
- une réalisation qui ne vers jamais dans le pathos ou le ridicule
- une BO qui colle parfaitement à l'ambiance du film



dimanche 20 septembre 2015

# - revue de presse du 20 septembre 2015



Allez je commence en me jetant des fleurs!

où l'on consacre un article à l'une de mes chroniques. C'est sur infirmiers.com et ça fait plaisir! http://www.infirmiers.com/votre-carriere/votre-carriere/impro-castor-ca-donne-therapie.html

où l'on fait appel à des avatars pour combattre les HAV des schizophrènes... Je vous invite à regarder la vidéo très intéressante dans le lien suivant: http://www.reponseatout.com/pratique/sante-bien-etre/une-therapie-par-avatar-pour-soigner-la-schizophrenie-a1015242

où l'on cite Jean Oury, ça ne peut donc pas être mauvais. Et l'on y parle aussi de La Borde et d'empowerment. c'est dans Libé: http://www.liberation.fr/societe/2015/09/08/de-blois-a-paris-la-psychiatrie-au-quotidien_1378416

un joli témoignage sur la dépression à lire sur la version Québécoise du Huffington:
http://quebec.huffingtonpost.ca/martin-binette/la-phrase-qui-tue_b_8113762.html

où l'on écoute une infirmière de nuit : http://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/presentation/laetitia-infirmiere-nuit-aupres-grands-brules.html

où une Miss Américaine parle de son métier: http://www.infirmiers.com/votre-carriere/exercice-international/quand-miss-colorado-parle-profession-infirmiere-avec-fierte.html

où l'on aborde la santé mentale des ado via un guide de l'association sparadrap. Si l'initiative est louable, le contenu est malheureusement un peu ringard:
http://www.sparadrap.org/Parents/Actualites/Actus-de-SPARADRAP/Un-guide-de-prevention-en-sante-mentale-pour-les-adolescents







vendredi 18 septembre 2015

#13 - impro + castor = thérapie... épisode 2!


@Bon Adrien
https://www.flickr.com/photos/derfokel/


Avant de lire cette chronique, mieux vaut avoir lu la précédente, ça se passe par ici:


S'ils ne se sont pas croisés 20 fois dans la journée ces deux là, on en est surement pas loin... Jean-Michel, du coin de l’œil, lui jette parfois quelques regards mais sans jamais oser lui adresser la parole. Comme s'il attendait que ce soit Franck qui prenne les devants. Mais Franck à une stratégie, il n'en changera pas

Et puis, c'est peu avant le dîner que Jean-Michel vient à la rencontre de Franck. Dans le couloir du service, il l'interpelle. Il dit se sentir faible et demande à ce qu'on lui prenne sa tension. Franck ne croit pas vraiment à cette histoire de tension mais il prend néanmoins la demande du patient au sérieux en le fait entrer dans la salle de soins.

Avant d'aller plus loin, il faut que je vous parle de Franck. Franck pourrait être une caricature de l'infirmier en psychiatrie. Cette caricature que l'on voit dans les films dès lors que l'on filme une agitation dans un service psy. Grand, costaud et avec un regard si noir et pénétrant qu'il lui suffit de lever les yeux pour mettre un terme à toute velléité de jouer avec le cadre institutionnel. Son regard à même eu raison de plus d'une crise clastique. Mais dès lors qu'il parle, c'est un autre infirmier que l'on découvre. Chacune de ses paroles, chacune de ses syllabes est chargée d'un telle empathie qu'il ne peut tromper son monde: cet homme est un soignant, il n'a rien d'un vigile ou d'un gardien de fous! Alors, si certain le surnomme la masse au vu de son quintal et demi moi je n'y vois qu'un modèle... Ce niveau d'empathie qui ne contient jamais la moindre once de condescendance pourrait laisser penser que Franck à 20 ans de métier. Or il n'en est rien, je crois savoir que cela fait à peine 5 ans qu'il est DE. Et pourtant, de toute l'équipe, c'est lui ne cesse de m'impressionner par sa capacité à, à la fois apaiser les situations de crise et à recueillir les confidences de nos patients grâce à sa bienveillance naturelle.

Je suis dans la salle de soins quand il y entre avec Jean-Michel. Je suis occupée à rincer les plateaux et le petit matériel qui trempent depuis le matin dans le bac de désinfection. J'hésite à sortir mais d'un simple regard Franck me fait savoir que je peux rester. Jean-Michel s'installe sur la table de consultation et Franck lui passe le brassard autour du bras droit. Et tandis que le dynamap fait son boulot, Jean-Michel demande alors à Franck "et donc vous pensez que je peux m'en sortir de ce merdier dans lequel je suis?" 

- ce que je pense on s'en fiche peu non? lui répond Franck. Par contre, vous, ce que vous pensez, c'est important. Vous avez les cartes en main, vous pouvez changer les choses, nous on est là que vous accompagner dans ce changement.

- d'accord, mais je sais pas par où commencer...

- c'est normal que tout soit confus dans votre tête, ça vous fait combien d'hospitalisations pour sevrage?

- pfff.... je compte plus! des dizaines...

- l'histoire se répète on dirait.

- c'est à dire?

- Vous arrivez toujours sur le même mode, fortement alcoolisé mais avec un discours déterminé pour vous en sortir. Et puis après quelques jours à vous requinquer, vous demandez votre sortie et à peine dehors vous reconsommez jusqu'à la prochaine hospit.

- ben oui, putain d'alcool, c'est plus fort que moi... et puis je suis bien nulle part!

- j'en conviens, mais voilà soit vous faites le choix de poursuivre ainsi et vous multiplierez probablement les épisodes de sevrage soit vous entamez à présent un travail pour changer.

- Mais je les prends moi les comprimés valium, seresta, xanax, je fais tout ce qu'on me dit de faire et ça marche jamais!!

- Ce que venez de dire est très intéressant Jean-Michel.

- Comment ça?

- et bien vous venez de dire "je fais tout ce qu'on me dit de faire"

- oui c'est vrai, et alors?

- et bien c'est une partie de votre problème.

- ...?

- Vous faites ce qu'on vous dit de faire, sans jamais vraiment vous impliquez dans votre thérapie. Mais merde Jean-Michel ça ne vous dirait pas de jouer le premier rôle de votre vie plutôt que d'en être un simple figurant ou spectateur! Ces comprimés que vous prenez depuis des années, êtes vous en mesure de m'expliquer pourquoi vous les prenez?

- J'en sais rien, moi j'fais confiance...

- Et c'est super, c'est la base du soin! Mais nous on a besoin que vous soyez un acteur de votre prise en charge. On ne vous aidera pas sans une participation active de votre part!

- et je fais quoi?

- vous voyez ce que vous venez de faire tout à l'heure en me sollicitant et bien c'est la bonne façon d'agir. ça peut vous sembler bête mais il y a une différence majeure entre le fait que ce soit moi ou l'un de mes collègues qui vienne vous voir ou que ce soit vous qui veniez nous demander un entretien. C'est ça être acteur.

- Je suis pas venu pour un entretien je suis venu pour ma tension...

- Oui et l'on sait vous et moi que vous n'avez aucun problème de tension... Et puis c'est vous qui avez ensuite repris notre conversation où elle s'était arrêtée hier soir.

- Et donc, si je suis acteur de ma vie comme vous dites, ça va allez mieux.

- C'est pas aussi simple mais déjà, en nous sollicitant, en posant des questions, vous n'aurez plus l'impression de subir les soins, vous allez y participer ce qui veut dire vous serez partiellement responsable de chaque victoire comme de chaque échec. 

- je suis pas sûr d'en être capable...

- Essayez, de toute façon vous n'avez rien à y perdre.

- Mais je fais déjà des efforts vous croyez que c'est facile quand on est dans le merde de se pointer aux urgences et de demander à se faire hospitaliser. C'est la honte.

- C'est vrai, j'imagine que ce sont des sentiments difficile à affronter...

- et comment, ils me connaissent tous là-bas. T'arrive, ils te rient au nez, t'adressent à peine la parole si ce n'est pour te dire "Alors encore bourré, Jean-Mich".

- Je n'ose pas imaginer à quel point ce doit être douloureux... Il n'empêche que dans ces moments là vous trouvez la force d'être un acteur de votre vie, de vous levez et de dire stop, de venir aux urgences alors que vous savez d'avance que cela va être difficile.

- Pas le choix quand on est au bout du rouleau...

- Peut-être mais cette force que vous avez dans ces moments là, il faut la conserver. Parce qu'ici, c'est l'inverse, quand vous arrivez, vous vous abandonnez complètement aux mains de l'équipe. On pourrait vous faire avalez n'importe quoi... La lutte contre l'alcool est comme l'ascension d'un immense escalier dont la première marche serait très haute. Alors vous vous trouvez la force de gravir cette première marche et ensuite au lieu de poursuivre votre ascension vous vous effondrez et attendez que l'on vous porte sur nos épaules... Mais ça ne marche pas comme cela, l'escalier de l'abstinence c'est à vous le gravir.

- un putain d'escalier hein?

- ouais un escalier Jean-Michel.

- Je crois comprendre ce que vous voulez me dire.

- Alors c'est super,

- Bon on va peut-être en rester là pour aujourd'hui, ça va être l'heure de passer à table.

- ça marche. et si vous voulez qu'on aille plus loin...

- j'viendrais vous voir!

Jean-Michel s'en alla et sans rien dire Franck rangea le dynamap en prenant bien soin d'enrouler les câbles. Avant qu'il l'éteigne je jetai un œil sur l'écran digital. Celui-ci indiquait 127/93 et une fréquence à 79 mais de ces chiffres, on se fichait éperdument...




jeudi 17 septembre 2015

#12 - droit de réponse

(et dire qu'aujourd'hui, je pensais publier la suite de mon post Impro + Castor = Thérapie! mais l'actualité m'oblige à réagir à une lecture d'hier soir...)


J'ai le syndrome CAF et c'est dur croyez-moi. Ah bon, vous ne le connaissez pas... Pfff... Allez lire l'article suivant: la contention dans les services de psychiatrie et vous serez comme moi Consterné, Atterré, Foudroyé!

Il est des soirs où l'on devrait éviter de se connecter. Et c'est via le mur facebook de l'excellent site - par ailleurs - "santé mentale" que je suis tombée sur l'article d'Agnès Piernikarck. Oui, tomber, le choix du verbe n'est pas anodin.

Mon blog n'a pas vocation à créer des polémiques. Pourtant après la lecture de l'article sus-cité, j'eus bien du mal à trouver le sommeil. Nuit agitée donc. Et au petit matin, je décidai de saisir ma plume numérique.

Ainsi selon Mme Piernikarch, l'usage en augmentation des contentions dans les services psychiatriques serait imputable aux infirmiers DE qui depuis la réforme de 1992 (date à laquelle les études ISP et IDE ont fusionnées) seraient des "eratsz" de professionnels dénués de pensée clinique et donc de réflexion. Tout juste bon à réaliser des actes quantifiables et protocolisés.

Madame, pensez-vous réellement que nous sommes, nous IDE, les responsables de cette augmentation de l'usage des contentions? C'est pourtant vous, médecins, qui les prescrivez non? Nous, que ce soit pour les contentions ou pour le recours aux chambres d'isolement, nous n'agissons que dans le cadre de notre rôle prescrit. Alors comment pourrions nous prendre la responsabilité d'un acte dont nous ne sommes pas les prescripteurs? Et comment pourriez vous échapper à la vôtre? Ah je n'avais pas bien lu la réponse est plus loin dans votre texte. Je vous cite "Je ne vois pas comment un médecin pourrait refuser de prescrire une contention si l'équipe infirmière ne se sent pas capable de faire autrement"... Donc vos prescriptions ne seraient là que pour satisfaire les IDE mais en aucun cas dans l'intérêt du patient. Étrange non et déconnant surtout? 

Je réfute l'idée d'infirmiers de secteur psychiatrique qui seraient des références soignantes, des sages que nous devrions admirer comme des modèles de réflexion cliniques. Ce raisonnement clivant qui laisse à penser qu'il y aurait d'un côté les bons soignants à savoir les ISP et lDE l'autre côté, les mauvais c'est à dire les infirmiers formés dans les services de médecine et de chirurgie est hautement réducteur et ne saurait faire honneur à votre capacité réflexive que vous mettez tant en avant. Des bons, j'en croise, souvent et si certains sont des "anciens" comme on aime à les appeler, d'autres, passionnés sont de tout jeunes diplômés.

C'est vrai, nous avons découvert notre métier au travers de nombreux lieux de stages. Médecine, chirurgie... La psychiatrie n'était qu'un lieu de stage parmi les autres. et pourtant nous avons choisi de venir y bosser. C'est donc en parfaite connaissance de cause que nous avons fait ce choix. Parce que beaucoup d'entre nous ne se retrouvaient pas dans les soins généraux où justement tout y est protocolisé et quantifié. Mais il ne s'agit pas d'un choix par défaut pour autant. Non, nous sommes nombreux à avoir fait le choix de la psychiatrie car nous aimons la nécessaire réflexion qu'il y faut, la possibilité d'émettre des hypothèses et de les valider ou pas en équipe pluridisciplinaire. Nous sommes tout aussi nombreux à y travailler parce que nous nous interrogeons sur la frontière ténue qui existe entre la folie et la normalité.

Encore pire que celle de 1992 paraît-il, je suis issue de la réforme de 2009. Et pourtant j'aime la psychiatrie, j'ai fait le choix d'y venir il n'y aura pas de retour en arrière. Ma pensée clinique se construit chaque jour en s'appuyant sur des modèles découverts soit pendant mes études soit au cours de mes recherches (... car oui le nouveau programme infirmier fait de l'infirmier un professionnel qui sait se documenter...). Ainsi mes références vont de Jean Oury à Walter Hesbeen en passant par Carl Rogers. J'aime ces lieux chargés d'histoire, depuis Bicêtre et Saint-Anne à la clinique de La Borde. Et j'aime les théories du soin: à l'approche psychanalytique étudiée en IFSI, j'ai développé un intérêt pour les TCC et autres théories anglo-saxonnes. Et ces protocoles, ces recueils à visées statistiques, cet ultra-hygiénisme repoussant qu'on veut me faire avaler, adopter, appliquer, et bien de ces OTNI (objets technocratiques non intelligents), pardonnez ma vulgarité, je m'en tamponne le coquillard ou pour clarifier ma pensée et accessoirement citer le génial commissaire San Antonio je m'en "vaseline le coccyx"...

Si vous avez parfois l'impression que nous sommes insistants en vue de l'obtention d'une prescription de contention c'est peut-être parce que nous ne regardons pas la scène qui se joue sous nos yeux par le même prisme. à la prise en charge individuelle d'un patient, nous avons, nous infirmiers, la charge d'assurer la prise en charge collective, la cohésion d'un groupe de patient, faire en sorte qu'un service fonctionne sans heurt ni violence et que les plus faibles de nos patients ne soient pas abusé et ce 24h/24, 7j/7. 2 ou 3 infirmiers dans un service pour 20 à 30 patients c'est bien peu lorsqu'il s'agit de gérer ces multiples petits conflits du quotidien, ces innombrables portes à ouvrir et ces objets qu'il faut charger et recharger encore et encore (merci l'arrivée des cigarettes électroniques, on en avait déjà assez avec les smartphones...).

Demander une prescription de contention ce n'est pas l'exiger. Si nous la demandons, c'est parce que notre lecture de la scène nous fait dire que cette prescription sera bénéfique au patient. Vous n'êtes pas d'accord: très bien! Débattons, échangeons, discutons! Vous avez votre libre arbitre et donc la possibilité de refuser. Là demander c'est amorcer un dialogue avec vous médecin, c'est le début d'un échange clinique qui verra s'affronter plusieurs points de vue qui seront susceptible d'évoluer. 

Nous faire porter la responsabilité de ce qui part en vrille en psychiatrie, c'est nous accorder bien du pouvoir, alors que nous ne sommes que trop rarement mis en avant lors des succès thérapeutiques. Malheureusement et nous le déplorons nous ne sommes que les chevilles ouvrières de la mécanique bien huilée qu'est l'hôpital. Souvent invisible, souvent anonyme, on ne retient, dans le meilleur des cas, que notre prénom... Si on en est encore aujourd'hui - plus de 200 ans après sa mort - à citer comme quasi-unique référence infirmière en psychiatrie Jean-Baptiste Pussin c'est dire le peu de poids que nous accorde l'histoire de la psychiatrie. 

Enfin, nous faire endosser cette responsabilité c'est aussi vous en exclure. Je ne vous connais pas, Madame, et pourtant je n'ai aucun doute sur votre professionnalisme. Mais qu'en est-il de vos collègues? Sont-ils tous aussi exemplaires que vous, soucieux d'augmenter les temps d'échanges cliniques, ont-il tous ce désir d'animer une équipe, le désaliénisme est-il au cœur de leurs préoccupations? à ces questions je n'ai pas la réponse. Mais sachez que nous aussi, nous nourrissons des regrets. Combien de psychiatre se contentent de visites éclairs dans les services, accordant quelques minutes d'écoute à peine à des patients en difficulté à exprimer leur souffrance? Et ces consignes médicales parfois si difficile à respecter qu'elles semblent avoir été écrites que pour mieux vous protéger. Je le sais, vous êtes demandés partout et malgré vos nombreuses qualités vous n'avez pas encore le don d'ubiquité. Dommage car dans les services c'est bien nous, ISP (il en reste quelques uns...) et IDE confondus, qui devons avec une inventivité sans cesse renouveler trouver des réponses aux questions que se posent les patients.

Madame Piernikarch, si vous le hasard vous amenait à lire ce post, sachez que nonobstant nos différences de point de vue, je vous adresse mes respectueuses salutations.

Suzie Q.









dimanche 13 septembre 2015

# - revue de presse du 13 septembre 2015



Le top 3
où l'on aborde le rôle essentiel de IDE dans la prise en charge des schizophrène!
http://somapsy.org/le-role-des-infirmiers-dans-lamelioration-des-soins-de-la-schizophrenie/

où en quelques dessins bien pensés on apprend beaucoup sur la dépression et l'angoisse; Génial!!
http://www.ipnoze.com/2015/09/07/dessins-expliquent-pourquoi-anxiete-depression-difficiles-combattre/

where we need French subtitles! https://www.youtube.com/watch?v=tpWHFMGpYII&list=PLlCeo0Wa1xWblphKicUKjnwrkhCaK5j4c
la web séries dépressive. on en parle ici: http://webseriesmag.blogs.liberation.fr/2015/09/04/low-life-la-webserie-delicieusement-depressive/?xtor=rss-450

où l'on découvre la prison-hôpital version Belge: http://www.arte.tv/guide/fr/057868-000/la-nef-des-fous
(Quoi? il y a 4 entrées dans mon Top 3, c'est bizarre hein!)

Dans le reste de l'actu...
où l'ont aborde le lien entre violence maladie mentale et substances psychoactives. Rien de nouveau mais c'est toujours bon de le rappeler:
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/07/02/22558-malades-mentaux-victimes-avant-tout

où l'on peut lire la nouvelle gagnante du concours annuel de l'ascodocpsy. Perso j'ai pas accroché, trop de style, des phrases trop longues, manque de sincérité. Alors oui c'est bien écrit et même trop bien écrit c'et bien ça le problème, où est la simplicité?
http://www.ascodocpsy.org/wp-content/uploads/2011/10/Concours-de-nouvelles-ascodocpsy-2014_Contre-nature.pdf

où l'on débat de l'usage des contentions. http://www.liberation.fr/societe/2015/09/08/contention-la-derive-securitaire_1378418

où l'on améliore son Anglais en lisant l'atlas de la santé mentale publié par l'OMS. Un document probablement très intéressant mais que je n'ai pas lu. à quand une traduction en français?
http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/178879/1/9789241565011_eng.pdf?ua=1&ua=1

où l'on découvre des évolutions de carrières intéressantes. à lire! http://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/ethique-et-soins/infirmiere-bientot-docteur-philosophie.html

où l'on parle de l'intérêt du Tetris pour lutter contre les addictions... http://www.slate.fr/story/105577/tetris-lutter-contre-addictions



vendredi 11 septembre 2015

#11 - Impro + Castor = Thérapie

@ Rafael Edwards
https://www.flickr.com/photos/rafa2010/




C'est un dimanche comme il en est tant. Pluvieux et tristouille. ça sent l'automne, sauf qu'on est en plein mois d'août... Le pavillon s'est vidé hier matin, quand six des vingt patients sont partis en permission pour le week-end. Ils reviendront ce soir, vers 18h00. En avance sur l'horaire pour ceux dont le retour à la réalité est encore une épreuve douloureuse. En retard pour ceux dont l'hospitalisation devient difficile à supporter.

Le dimanche c'est aussi le jour des visites. Non pas qu'elles soient interdites le reste de la semaine, simplement que le dimanche est propice aux retrouvailles familiales. Quel que soit le lien de parenté ces retrouvailles sont souvent douloureuses. Il y a beaucoup de larmes chez les visiteurs et en retour bien peu d'affect chez nos patients. Du moins d'affects exprimés.

Et puis il y a les abandonnés, ceux qui n'ont personne. On espère que leurs proches ne sont pas rentrés de vacances mais on se trompe. Quand on demande aux patients, ils nous disent que la notion même de proche à perdue son sens. Avec la psychose, les proches s'éloignent. Avec la dépression, plus personne ne vous comprend, alors les proches prennent leurs distances. Et avec les addictions, les proches se résument à quelques piliers de bars. Et un pilier ça quitte pas son bar pour rendre une visite à l'HP, sinon le bar, ben il s'écroule...

Il est 16h, le temps s'étire lentement et au dessus de nos têtes les nuages semblent à jamais figés. Franck avec qui je travaille ce jour me sollicite pour un ciné-débat.

- j'ai toujours une clé usb dans ma caisse et j'ai surement quelques bons films dessus... ça te dit qu'on fasse ça?
- ouais ça peut être sympa... t'as une idée du film?
- non mais on verra bien!
- si tu le dis...
- t'as pas l'air convaincu?
- .... euh non c'est pas ça, c'est que j'aime bien savoir vers où on va. Là on a aucune idée du film et encore moins des sujets qui seront abordés après. C'est la totale impro...
- et c'est ça qui est cool! Il faut que tu lâches cette envie de maîtriser à tout va. Laisse l'activité et le groupe de patients te surprendre!
- bon... je te suis sur ce coup là!
- car au pire, le film sera mauvais, les patients nous le diront et on en discutera brièvement. Mais dans le meilleur des cas, le film les touchera et on aura un échange intéressant. De toute façon on aura passé un moment tous ensemble et il y aura forcément des interactions... Et puis quand tu choisis avec trop d'attention ton film en y apposant des thèmes de débat, tu prends le risque d'être déçu alors qu'à l'inverse avec un film inconnu tu prends juste le risque d'être surpris! Allez viens on va proposer ça, pendant que les patients sont encore au goûter.

Nous sommes confortablement installés sur les fauteuils de la salle TV. Cinq patients ont acceptés de participer à cette séance ciné suivie d'un échange. Le film démarre, je ne le connais pas. "Le complexe du castor" un film réalisé par Jodie Foster avec Mel Gibson dans le premier rôle. Ce film fera l'objet d'un prochain post sur ce blog dans la rubrique "critiques ciné".

Dans les activités groupale, l'IDE se doit d'être attentif. Il ne s'agit pas tant de suivre l'histoire du film que d'observer nos patients. Observer leur attention, leurs capacités de concentration ou encore leur place dans le groupe (se met-il en retrait? ou au contraire a-t-il un rôle de leader?). Observer c'est poser un regard clinique sur nos patients. Les symptômes observés depuis l'admission sont-ils au premier plan pendant l'activité ou au contraire le patient parvient-il à les mettre à distance? Observer c'est regarder avec bienveillance un patient dans toutes ses dimensions: cognitive, motrice et corporelle, relationnelles, affective...

D'ailleurs l'un des patients quittera la salle après 20 minutes de film. C'était peut-être précipité de l'inclure dans le groupe. Son admission est si récente, il est encore trop dispersé. Un autre peine à garder les yeux ouverts. Son corps est imbibé de neuroleptiques sédatifs, l'effort qui nous lui demandons ce jour est difficile. Mais cela devrait rapidement aller mieux car la sédation est en passe d'être levée. Il était tellement persécuté et menaçant à son arrivée qu'il avait besoin d'être apaisé. Et à présent qu'il va mieux, qu'il commence à percevoir l'aspect délirant de cette persécution, le psychiatre fait le choix de diminuer progressivement la quantité de neuroleptiques administrée. Mais cet après-midi, il se bat pour suivre le film. Il lutte pour garder ses yeux ouverts et à intervalle régulier sursaute et revient parmi nous...

Le film est terminé. Les ficelles sont si grosses, j'imagine déjà les participants à l'activité nous dirent "un film sur la dépression c'est un peu téléphoné non?" S'ils savaient que nous sommes en "totale impro" et que ni Franck ni moi ne connaissions les thèmes du film...

Je voudrais faire une phrase d'introduction pour lancer la conversation, un petit laïus pour mettre en confiance et faciliter les échanges mais il y a Jean-Michel et il ne m'en laisse pas le temps. Recroquevillé sur lui-même, il peine à dissimuler ses larmes. Sa souffrance, il la cache comme il peut mais dans la salle TV personne ne peut l'ignorer. Franck y va avec tact, comme toujours.

- C'est dur Jean-Michel... 

Jean-Michel ne répond pas, tout juste remue-t-il la tête. 

- Prenez votre temps Jean-Michel...

Franck se lève et remplit un verre d'eau qu'il vient porter à Jean Michel. Lorsqu'il le lui donne, il pose une main délicate sur son épaule en signe de soutien. Et puis Jean-Michel prend la parole. C'est laborieux mais tellement rare pour ce patient. Oui c'est dur mais il y va, comme il peut, avec ses mots, pas habitué à les manier...

- putain c'est dur, c'est ce film... ça m'a tout retourné...
- j'vois ça...
- par moment j'ai l'impression de me reconnaître...
- vous pouvez nous en dire plus?
- ce mec qui se fout en l'air en étant complètement bourré, c'est trop moi ça, pas fichu de parler mais toujours prêt pour en finir...

Franck acquiesce sans rien dire.

- enfin lui, au moins, il a sa famille.
- c'est à dire? relance Franck
- moi j'suis tout seul... Lui c'est galère au début avec son gosse mais après ils viennent tous le voir à l'hôpital.
- et vous, vous êtes seul Jean-Michel?
- et c'est peu de le dire. Mes gosses y'en a pas un qui s'intéresse à moi. Jamais un coup de fil, jamais une visite et les rares contacts c'est pour me dire que j'suis une merde... J'en ai marre de cette vie entre cuites et hôpital.
- c'est courageux de votre part d'en parler, comme ça, ici, en groupe...
- tu parles, ça changera rien...
- Je ne suis pas d'accord avec vous Jean-Michel. C'est très rare de vous entendre vous confier, vous êtes plutôt du genre à maugréer dans votre barbe, pas vrai?

Jean-Michel esquisse un sourire.

- C'est pour ça que je souligne l'importance de votre prise de parole. Aujourd'hui est peut-être le début de quelque chose de nouveau pour vous.
- Ouais, de belles paroles ça...
- Non ce n'est pas juste ça. Ce que vous commencez à confier c'est une mise en parole de votre mal-être, ce que nous on va appeler une verbalisation de votre souffrance, on se la pête non?

Nouveau sourire de Jean-Michel.

- Vous croyez vraiment que je peux m'en sortir?
- Je crois que prendre conscience de votre état est une première étape. 
- Qui me mènera où? En cure, puis rechute à peine dehors? 
- Jean-Michel, écoutez je vous propose la chose suivante. Si ça vous dit de poursuivre cette conversation, venez me voir demain. Je serai là et disponible pour que nous nous entretenions. 
- à quelle heure?
- Non je ne vous fixe pas d'horaire. Je vous laisse réfléchir à ma proposition. Si demain vous ne voyez pas l'intérêt de poursuivre ce début de prise de conscience alors ne venez pas me voir, je ne vous en tiendrai aucunement rigueur. Mais si vous voulez qu'on aille plus loin alors venez, on prendra le temps.

Les échanges se poursuivent pendant environ 30 minutes puis alors que la salle se vide, Jean-Michel vient vers nous.

- J'suis désolé d'avoir pleuré, c'est que... c'était plus fort que moi.
- C'est pas grave et au contraire c'est important d'exprimer vos émotions.
- Et donc vous pensez que je peux m'en sortir?
- Bien sûr je ne serai pas là sinon mais comme je vous l'ai dit, on en reparle demain si vous voulez...

Voilà pour ce long post. Jean-Michel nous sollicitera-t-il pour un entretien infirmier? Réponse au prochain post d'ici quelques jours :-)