vendredi 21 décembre 2018

ETP or not?

article paru dans l'infirmière magazine de novembre 2018, p.16


J'ai eu l'immense honneur d'être sollicitée par l'infirmière magazine pour rédiger un article inédit paru dans le numéro 398 de novembre 2018. Prise par une multitude choses à accomplir, j'ai complètement zappé de le publier sur le blog. L'article est lisible online à cette adresse:


Bon le hic, c'est qu'aujourd'hui quand je relis l'article je ne retrouve pas tout à fait l'esprit de l'ETP que j'ai souhaité diffusé. Il faut dire que pour des conditions de pagination il m'a fallu tailler dans le texte. Mais qu'importe! Pour y remédier je vous propose aujourd'hui la version longue, la version ultime, la version Director's cut!



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C’est une Corinne en colère qui prend la parole. « non mais moi je ne suis ni prof, ni éduc, alors vos histoires d’ETP ça commence à me gonfler! » Tandis qu’il surligne au fluo nos statistiques hebdomadaires de consommation de Solutions Hydro-Alcooliques, le cadre lève un œil et d’une voix posée lui répond.

- Écoute on ne te demande pas de changer de métier mais l’ETP c’est dans l’air du temps faut s’y faire c’est tout.

Nous sommes habitués à ces propos peu engageants. Toujours la même rengaine « Les règles changent, à nous de nous y plier sans faire de bruit, soyons discrets petits IDE que nous sommes »

Mais ce discours ne saurait convenir à Franck, alors il se lance à son tour pour tenter de répondre au dépit de notre collègue.

- Tu connais le H muet ?

- Le H qui ferme sa grande bouche tu veux dire ?

- C’est cela même.

- Tu veux que je la ferme et que j’obtempère bêtement c’est ça ?

- Pas du tout, bien au contraire. Mais laisse moi te raconter un truc. Tu veux bien?

- Vas y, on est réunion de service, on est là pour ça de toute façon… Parler...

- Ok. Si je parle du H muet, c’est parce que l’ETP, tu vois, et ça fait des années que je la pratique et pourtant souvent je continue à la prononcer HETP avec un H muet.

- Alors là je vois pas trop… What the fuck ?

- Un H muet pour HÉsitation Thérapeutique du Patient. Alors ça vaut ce que ça vaut et ça n’enlève rien au fait que je suis un passionné et un convaincu de l’intérêt de l’ETP.

- Tu hésites et tu es convaincu en même temps, va falloir m’expliquer là.

- L’ETP peut t’apparaître comme enfermante ou trop rigide mais ce n’est pas le cas. Oui elle offre une structure mais c’est une structure au sein de laquelle la créativité du soignant et du patient peut s’exprimer. Tu n’étoufferas pas avec l’ETP bien au contraire.

- N’empêche je suis pas là pour donner des cours…

- Tu sais que c’est vraiment réducteur ce que tu dis là… Sur le net ce genre de propos s’apparente à un troll. Mais il ne s’agit pas de donner des cours. Aujourd’hui l’éducation ce n’est plus ce système du maître qui détient le savoir et qui le dispense à des étudiants ignares. L’information est partout. Toute personne qui sait chercher sur internet se passera allègrement des services d’un prof à l’ancienne et à plus forte raison d’une infirmière qui n’y croit même pas. Non ! Ton rôle va être d’accompagner, de hiérarchiser, de prioriser, d’expliquer... De trier aussi parmi toutes les sources d’info plus ou moins bonnes.

- Donc je suis pas prof mais bibliothécaire c’est encore mieux... Je donne une liste de livres ou plutôt de sites à visiter et dis à mon patient de venir me voir s’il ne comprend pas une notion.

- Et troll n°2, t’es en grande forme dis-donc ! Non ton rôle est bien plus vaste si tu t’en accapares. Il va être d’évaluer, d’encourager, de valoriser, de souligner les progrès mais aussi de mettre en évidence les étapes à qui restes à franchir. Tu vas avec ton patient établir un programme unique et personnalisé de compétences à développer, à maintenir ou à acquérir. Mais surtout ton rôle va être d’impliquer le patient.

- En faire un acteur…

- Oui c’est ça mais cette expression est tellement galvaudée dans nos services hospitaliers que je n’ose plus l’utiliser. Car ici, en ETP, on parle de pathologies chroniques, des maladies lourdes qui transforment radicalement nos patients. Ils n’ont plus confiance en eux, ils sont souvent épuisés par des années de luttes. Pense aux addictions par exemple. Ces patients ont une faible estime d’eux-mêmes, l’impression d’aller inexorablement d’échec en échec et surtout la vision qu’ils ont de leur avenir est celle d’une nuit sans étoile...


Pause, tout le monde prend une rassurante gorgée de café. Et Franck d’enfoncer le clou.

- Tu me dis, j'oublie. Tu m'enseignes, je me souviens. Tu m'impliques, j'apprends. Cette phrase c’est Franklin qui l’a prononcé. Pas la tortue on est d’accord mais Benjamin le politicien américain. Elle est le cœur de l’ETP. Tu as raison tu n’es pas un prof ou en tout cas pas ce vieux modèle de prof qui  fait circuler l’information de façon descendante et gare à celui qui n’écoute pas. En ETP ton patient est l’expert, de sa vie et sa maladie. Et par extension des solutions à mettre en place. C’est lui qui ressent la souffrance, qui peut définir ce qui est important pour lui et ce qui l’est moins. Toi tu ne peux qu’imaginer. Et tu n’est pas toute puissante, tu ne sauveras pas tout le monde, vous essaierez ensemble des choses, vous ferez des erreurs et vous recommencerez. Il n’y a pas de pilule miracle mais il y a des apprentissages : grâce aux ateliers issu du programme personnalisé un patient apprend à gérer au quotidien sa maladie et apprend à vivre avec. L’ETP donne des résultats, elle aide vraiment.

- et pourtant tu hésites si j’ai bien compris.

- Quand je dis j’hésite, je veux dire que je doute et le doute c’est mon moteur. Le doute c’est la remise en question permanente, seul le doute permet de progresser et de ne pas rester enfermé avec des certitudes obsolètes. Mon leitmotiv tient en deux phrases : je doute donc je suis, je doute donc je soigne. Mais je te l’accorde HETP c’est peut être maladroit.


Une voix jusqu’alors muette propose « On pourrait peut être dire ATP avec un A pour Accompagnement. »

Puis une autre « Mais ça va au-delà de ça... »

Une troisième « Et si on disait AETP pour Accompagnement Éducatif Thérapeutique du patient »

Puis le cadre qui semble avoir oublié son fluo. « Ou C pour collaboration ? »

Les débats sont lancés et c’est ainsi que se poursuit la réunion. Avec passion.



KissKiss
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