Il n'en fallait pas plus pour me mettre en colère. D'ordinaire, j'essaye d'avoir une certaine maîtrise de mon humeur... Quand une situation s'annonce tendue, je la gère à grands coups de lâcher prise et de pleine conscience. Le mindfullness est à la mode et j'essaye d'en appliquer quelques principes simples. Mais voilà, là, j'ai rien vu venir, ça m'a pris à la face, il était trop tard pour réagir. Christophe André, Matthieu Ricard et tous les bouddhas du monde entier peuvent me chasser du royaume du bien-être, je n'y ai assurément pas ma place! This is Bullshit, MotherF****r!
Faut dire que quand on se pose peinard devant son ordi pour y lire des recommandations HAS, on ne peut imaginer une telle tournure. Et pourtant. Et pourtant, c'est ce qui s'est passé.
Je n'ai pas de problème avec l'HAS. Au contraire même. Le site has-sante.fr est dans mes favoris sur chrome comme sur firefox, pas de jaloux. Je suis abonné à la newsletter à laquelle je jette un œil distrait de temps en temps. Je suis l'actualité de l'HAS sur Twitter et en reçoit même son fil RSS. Avec une telle couverture, digne d'une surveillance d'Etat, autant vous dire qu'il y a peu d'infos labellisées HAS qui m'échappent.
Cependant dans les services de soins en psychiatrie, l'HAS a rarement la cote. Et c'est un euphémisme. Ce qu'on en dit: grosso modo, qu'elle n'est qu'une emmerdeuse, bonne à publier toujours plus de protocoles déshumanisant, à délivrer encore plus de recommandations, de guide de soit-disant bonnes pratiques. Tout cela pour mieux marquer au fer rouge les professionnels de terrain qui - dès lors qu'ils déviraient d'un iota par rapport à ces guides - seraient de fait dans une mauvaise pratique. L'HAS est dite technocratique car perçue comme une autorité (le A de son acronyme "fait mal" à tous les soignants insubordonnés que nous sommes!) tellement éloignée des pratiques de terrain, de la complexité humaine des patients, qu'elle ne peut qu'aller toujours et encore plus loin dans le processus déshumanisant dans lequel elle est.
Mais moi, à ça je ne crois pas. Tout d'abord une "recommandation à" n'est pas une "injonction à". Différence sémantique d'importance: on nous dit que ce serait mieux de faire de telle ou telle façon, mais on ne nous oblige pas à le faire. D'autre part et c'est la, la plus importante, j'aime lire les guides, protocoles et reco de l'HAS car cela m'oblige à me questionner sur ma pratique. Cela m'oblige à me questionner sur la différence qu'il existe entre ce que l'on fait en service et ce qui est recommandé. Et le questionnement est la première étape d'une amélioration des pratiques. De ça je suis convaincue. Mes certitudes sont des pièges que je dois déjouer. Et ne dis-t-on après tout pas que le doute est le premier pas vers la sagesse. Alors se remettre en question ce n'est pas une option, c'est une obligation! Ahhahh, à parler ainsi de sagesse, je vais peut-être me réconcilier plus tôt que prévue avec André, Ricard, & Co. Tout ça pour dire, n'hésitez pas à aller jeter un œil ou deux sur cette page: HAS psychiatrie.
Alors quand une publication touche à la psychiatrie, je la note dans un coin de ma tête (sur google keep en réalité :-) ) pour mieux y retourner quand un moment calme s'offre à moi. Car les articles de l'HAS ont ceci en commun: il faut les lire au calme car ce sont des textes sérieux, des textes barbants mais c'est là une chose normale car un protocole n'a pas vocation a faire dans le littéraire ou à susciter des passions. Etre chiant, pour un protocole, c'est une qualité.
Dans l'une de mes récentes revues de presse j'ai parlé d'un document diffusé en juin dernier par psydoc et l'HAS intitulé "Comment améliorer la prise en charge somatique des patients ayant une pathologie psychiatrique sévère et chronique." Mais je n'avais pas encore pris le temps nécessaire pour le lire. C'est chose faite à présent. Et c'est ce qui m'a mis hors de moi. "Mais quoi donc dans ce document de 32 pages a pu te faire jaillir de tes gonds Suzie Q?" me demandez vous. J'y viens, j'y viens... mais deux précisions tout d'abord:
First, je suis non fumeuse, non fumeuse depuis toujours et normalement pour toujours. Ensuite, les buralistes ont le don de m'énerver en se faisant passer pour les malheureuses victimes des décisions de santé publique. Qu'ils se reconvertissent ou qu'on les condamne pour atteinte à la santé d'autrui, mais qu'on cesse enfin d'en faire leur publicité à chaque hausse du prix du tabac. Si je dis ça c'est juste pour préciser que le tabac c'est pas mon truc et que j'espère bien que dans quelques décennies on rigolera au souvenir mortel de ces rouleaux de papier qui alimentent tant et tant de débats. Mais quand même... de là à écrire ce genre d'insanités, il fallait oser.
A la rubrique "lutter contre la tabagisme", page 23, il est noté, je cite:
"Il est recommandé aux personnels des structures sanitaires, médico-sociales et sociales d’être actifs dans la recherche de diminution du risque tabagique. En particulier ils ne doivent pas, en présence de personnes accueillies dans ces structures ou en présence de personnes dont ils ont la charge, avoir un comportement susceptible d’entretenir le tabagisme de ces personnes, en particulier ils n’ont pas à les alimenter en cigarettes, à faciliter l’achat de cigarettes, à fumer ou présenter des stimuli associés au tabac comme par exemple des paquets de cigarettes visibles sous leurs vêtements."
Je n'y crois pas. Attendez faut que je relise, il ne faut pas quoi?
- alimenter les patients en cigarettes
- faciliter l'achat de cigarettes
- fumer
- porter un paquet de cigarettes visibles sous les vêtements.
- avoir un comportement susceptible d'entretenir le tabagisme.
Tout soignant en psy connaît la valeur des cigarettes. On parlera pas de valeur thérapeutique, non on oserait pas quand même, mais au moins de valeur apaisante. Si nos poches ne débordent pas de paquets de marlboro ou autres, elle fourmillent d'histoires où la clope s'est révélée être un merveilleux médiateur pour entrer en relation à l'autre ou pour désamorcer une situation de crise. Combien de situations mal embarquées se sont dégonflées telle un brassard tensionnel dès lors qu'un ridicule mégot, une clope mal roulée ou encore une belle blonde entra en scène? Combien? Des dizaines, des centaines. Cela se produit tous les jours dans tous les hôpitaux psy de notre beau pays.
Alors oui, nous organisons la livraison du tabac dans le service, oui nous passons commande auprès du buraliste, oui quand un patient ne peut supporter la frustration de ne pas avoir de tabac, frustration qui bien souvent s'ajoute à celle d'être enfermée, nous trouvons un moyen de le dépanner d'une clope. Oui, nous faisons tout cela et nous allons continuer à le faire.
Allez j'aimerais continuer sur ce mode première personne du pluriel mais je ne suis pas la porte-parole de ma profession alors je vais reprendre le "je" qui n'engage que moi. Je refuse de porter la responsabilité du tabagisme de nos patients. Alors ne me demandez pas, ni à mes collègues, de ne pas fumer. Les patients sont eux-mêmes responsables de leur tabagisme. Dire qu'un patient continue de fumer parce qu'il voit un soignant fumer, c'est renforcer le sentiment de culpabilité du personnel soignant dans les échecs de sevrage tabagique et c'est aussi déresponsabiliser les patients. Alors autant aller jusqu'au bout de cette logique ultra-paternaliste en interdisant complètement l'usage du tabac dans les hôpitaux. Au moins, cela reposerait non pas sur le bon vouloir du petit personnel mais sur une loi.
A l'heure ou un article récent du nouvel obs faisait le constat amer que les parcs et cafétérias de nos hôpitaux psychiatriques sont de véritables plaques tournantes de trafics de drogues en tous genres, écrire qu'il serait judicieux que les soignants apprennent à mieux dissimuler sous leur chemise leurs clopes est révoltant et stupide.
Car ce constat du nouvel obs, nombre de soignants le partage. Et en font l'expérience quotidienne. Une expérience teintée d'amertume, puisque peu de choses sont entreprises pour lutter contre ce vaste marché de la drogue qui s'est installé dans nos institutions.
Désobéir face à la bêtise. Oui voilà où j'en suis. Prête à glisser quelques euros, pour m'acheter un paquet de clopes pour la prochaine commande de tabac. Oui, chère HAS, vous me donnez envie de fumer.
Où sont vos recommandations à former le personnel soignant aux méthodes cognitivo-comportementales des addictions? Plutôt que nous inciter à avoir un comportement exemplaire, pourquoi ne pas recommander aux directeurs d'établissements de mettre l'accent sur des méthodes efficaces de prise en charge des addictions?
à bon entendeur...
A la rubrique "lutter contre la tabagisme", page 23, il est noté, je cite:
"Il est recommandé aux personnels des structures sanitaires, médico-sociales et sociales d’être actifs dans la recherche de diminution du risque tabagique. En particulier ils ne doivent pas, en présence de personnes accueillies dans ces structures ou en présence de personnes dont ils ont la charge, avoir un comportement susceptible d’entretenir le tabagisme de ces personnes, en particulier ils n’ont pas à les alimenter en cigarettes, à faciliter l’achat de cigarettes, à fumer ou présenter des stimuli associés au tabac comme par exemple des paquets de cigarettes visibles sous leurs vêtements."
Je n'y crois pas. Attendez faut que je relise, il ne faut pas quoi?
- alimenter les patients en cigarettes
- faciliter l'achat de cigarettes
- fumer
- porter un paquet de cigarettes visibles sous les vêtements.
- avoir un comportement susceptible d'entretenir le tabagisme.
Tout soignant en psy connaît la valeur des cigarettes. On parlera pas de valeur thérapeutique, non on oserait pas quand même, mais au moins de valeur apaisante. Si nos poches ne débordent pas de paquets de marlboro ou autres, elle fourmillent d'histoires où la clope s'est révélée être un merveilleux médiateur pour entrer en relation à l'autre ou pour désamorcer une situation de crise. Combien de situations mal embarquées se sont dégonflées telle un brassard tensionnel dès lors qu'un ridicule mégot, une clope mal roulée ou encore une belle blonde entra en scène? Combien? Des dizaines, des centaines. Cela se produit tous les jours dans tous les hôpitaux psy de notre beau pays.
Alors oui, nous organisons la livraison du tabac dans le service, oui nous passons commande auprès du buraliste, oui quand un patient ne peut supporter la frustration de ne pas avoir de tabac, frustration qui bien souvent s'ajoute à celle d'être enfermée, nous trouvons un moyen de le dépanner d'une clope. Oui, nous faisons tout cela et nous allons continuer à le faire.
Allez j'aimerais continuer sur ce mode première personne du pluriel mais je ne suis pas la porte-parole de ma profession alors je vais reprendre le "je" qui n'engage que moi. Je refuse de porter la responsabilité du tabagisme de nos patients. Alors ne me demandez pas, ni à mes collègues, de ne pas fumer. Les patients sont eux-mêmes responsables de leur tabagisme. Dire qu'un patient continue de fumer parce qu'il voit un soignant fumer, c'est renforcer le sentiment de culpabilité du personnel soignant dans les échecs de sevrage tabagique et c'est aussi déresponsabiliser les patients. Alors autant aller jusqu'au bout de cette logique ultra-paternaliste en interdisant complètement l'usage du tabac dans les hôpitaux. Au moins, cela reposerait non pas sur le bon vouloir du petit personnel mais sur une loi.
A l'heure ou un article récent du nouvel obs faisait le constat amer que les parcs et cafétérias de nos hôpitaux psychiatriques sont de véritables plaques tournantes de trafics de drogues en tous genres, écrire qu'il serait judicieux que les soignants apprennent à mieux dissimuler sous leur chemise leurs clopes est révoltant et stupide.
Car ce constat du nouvel obs, nombre de soignants le partage. Et en font l'expérience quotidienne. Une expérience teintée d'amertume, puisque peu de choses sont entreprises pour lutter contre ce vaste marché de la drogue qui s'est installé dans nos institutions.
Désobéir face à la bêtise. Oui voilà où j'en suis. Prête à glisser quelques euros, pour m'acheter un paquet de clopes pour la prochaine commande de tabac. Oui, chère HAS, vous me donnez envie de fumer.
Où sont vos recommandations à former le personnel soignant aux méthodes cognitivo-comportementales des addictions? Plutôt que nous inciter à avoir un comportement exemplaire, pourquoi ne pas recommander aux directeurs d'établissements de mettre l'accent sur des méthodes efficaces de prise en charge des addictions?
à bon entendeur...
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