Ce texte fait écho à la critique du film ciné parue il y a quelques semaines sur mon blog. à lire ici:
C'est au cours de l'une des conversations imaginaires que j'eus avec lui qu'il me confia ces propos. Lui, dont je tais le nom, est agent immobilier en retraite et historien du patrimoine. La journée était sombre et orageuse, nous étions seuls dans son bureau si peu éclairé. Pour le rencontrer j'avais invoqué le fallacieux prétexte de la recherche d'un petit bien à m'offrir. Et là, sans détour, je venais de le questionner sur l'effet qu'avait eu en 1964 la publication du Locataire Chimérique de Topor.
- Mais pourquoi vouloir ré-ouvrir cette vieille porte?
- On m'a dit que vous étiez historien, c'est bien ça non?
- Il y a quelque chose que je ne sens pas chez vous Suzie Q... En fait j'ai l'impression que vous n'êtes absolument pas intéressée par l'achat d'un appartement?
- C'est vrai, on va jouer cartes sur table, je suis là uniquement pour cette année 64!
- Mais qui êtes vous bordel? Une journaliste? Une enquêtrice? Une fouteuse de merde?
- Pire, une p***** de blogueuse!
- Mais ces quoi ces astérisques, j'y capte que dalle?
- Pense à lutin, pense à mutin et maintenant pense à la même chose avec un P. Tu vois où je veux en venir?
- Non...
- Si...
- T'es une putain de blogueuse...
- C'est pas très poli mais c'est toi qui l'a dit, bonhomme. Alors maintenant tu me dis tout, ok? 1964?
Il se leva, vint à mes côtés et nous servit à chacun un grand verre d'eau. Nous observâmes pendant une bonne minute les éclairs qui déchiraient le ciel et puis il reprit la parole.
- Quand j'ai refermé ce livre, j'ai su que je tenais entre les mains une bombe à retardement.
- Vous y allez un peu fort non? Vos vieux démons vous reviennent, hein on le connait le sens de l'exagération des agents immobiliers...
- Pas du tout Suzie Q, t'es trop jeune pour avoir connue cette époque mais crois moi à l'époque la construction immobilière était en plein boom. Chaque ville y allait de ses programmes immobiliers collectifs, petits ou grands il y en avait pour tout le monde. 1964 c'est la fin de construction de la cité des 4000... (lire ici: http://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1976_num_79_1_2349) Alors j'ai tout de suite su que ce minuscule roman avait le pouvoir de tout foutre en l'air.
- Ben ça n'a pas fonctionné à priori... les tours sont toujours là!
- Grâce à nos réseaux! J'ai aussitôt alerté les représentants de notre profession et nous avons activé nos ressources pour faire remonter ça aux plus hautes instances du pays. Notre travail de lobbying à marché et rapidement Jacques Maziol qui était à la construction sous le gouvernement de Georges Pomidou II a entendu nos craintes.
- Et alors que pouvait-il faire?
- T'as raison le livre était sorti, on allait pas l'interdire, cette époque était finie mais Maziol depuis son minsitère a tout fait pour en atténuer l'effet, désamorcer la bombe si tu veux. On allait tout de même pas foutre en vrac un secteur majeur de l'économie Française. Alors tout a été fait pour que ce livre reste confidentiel, tirage limité, pression sur les critiques littéraires pour ne pas en faire trop de publicité. Le tout avec la bénédiction du Général-qui-tu-sais.
- Et bien c'était du sérieux...
- Oh que oui, on a même foutu la pression façon barbouze à Goscinny et à Sempé pour qu'ils se dépêchent d'achever leur nouveau tome du petit Nicolas. Et ça a marché, Joachim a des ennuis qui depuis a été rebaptisé Le petit Nicolas a des ennuis est sorti et tu sais comment est le public, lorsqu'il a le choix il se tourne toujours vers ce qui est divertissant et amusant et si possible pas trop intelligent. Même les ventes de Fantômette et l'île de la sorcière sortie en août de cette même année ont été meilleures!
- Mais que craigniez-vous homme dont je tais le nom?
- Mais tu l'as lu non? Donc tu sais très bien de quoi je parle. Tu as senti ce climat oppressant qui habite ce roman. Et cette oppression a quoi est-elle due? à la vie en appartement! Cet appartement n'est pas hanté, il n'est pas possédé, il est tout ce qu'il y a de plus banal mais petit à petit il détruit son locataire. Si ce livre avait été un succès plus personne n'aurait voulu habiter dans nos constructions immobilières. Les logements seraient restés vide, des millions auraient été investis pour rien, notre profession se serait cassée la gueule et on ne s'en serait jamais relevé! Alors il fallait le faire et on l'a fait.
***
*
Difficile de vérifier les dires de mon interlocuteur imaginaire mais il avait cependant utilisé un mot, mot qui moi aussi m'avait traversé l'esprit à la lecture du locataire chimérique. Oppressant. Oui ce roman est oppressant. Et c'est peut-être pour cela qu'il est si court. A près de 170 pages il est oppressant et à 200 comment serait-il, étouffant? C'est vrai, ce roman ne donne pas envie de vivre en appartement, car l'oppression ce sentiment qui pèse une tonne, qui rend l'atmosphère insupportable est partout. Elle est chez les voisins du dessus dont les pas résonnent à toute heure, comme ceux du dessous qui font des messes basses, elle est à droite chez ceux qui épient, elle est à gauche chez ceux qui fomentent, elle est everywhere!
En revanche l'erreur de mon interlocuteur imaginaire est d'attribuer le climat oppressant à l'appartement - en faire en quelque sorte un lieu maudit - et non à la psychose du personnage principal, Trelkowsky. Normal on peut pas être à la fois agent immobilier, historien et en plus psychiatre, faut choisir à un moment donné! Car l'appartement est il est vrai tout à fait banal, un poil pourri même avec son chiotte sur le palier. L'appartement n'est donc doté d'aucun pouvoir occulte. Par contre son locataire a lui un vécu oppressant, persécutif et interprétatif. Psychose paranoïaque? Je suis pas autorisé à l'écrire comme me le confirme le référentiel tarabiscoté des diagnostics Nanda / Anadi ou celui un peu moins ridicule de la CII, mais il y a de ça, je vous le dis! Et si je me plante, foi de Suzie Q, je mange mon chapeau!
Ici le délire de Trelkowsky est celui d'être intimement convaincu que ses voisins se sont liés contre lui et cherchent à lui faire suivre la même trajectoire (verticale!) que la précédente locataire de l'appartement à savoir en finir via un saut de l'ange. C'est un délire qui rapidement envahit toutes les sphères, tous les secteurs de son quotidien. Un délire très systématisé où chaque événement s'inscrit avec une parfaite cohérence dans la construction du délire.
A la lecture de ce livre, difficile pour un soignant de ne pas relativiser la pertinence des projets patients mis en place dans les services de soins. Certes c'est une bonne chose d'accompagner le patient dans sa recherche de logement mais attention, ce roman nous le montre avec une acuité troublante, l'appartement peut-être l'objet, le médiateur d'une nouvelle décompensation psychique.
De l'auteur, Roland Topor, je ne savais pas grand chose. Le genre de type dont on a toujours entendu parler, enfin dont le nom nous est familier, sans trop savoir pourquoi. Faut dire que le gars à le chic pour brouiller les pistes. Un touche à tout qui s'est illustré tout d'abord dans le dessin (illustrateur à Hara Kiri, animation) puis dans le cinéma (acteur, metteur en scène), dans les différents médias (radio avec la cultissime émission des papous dans la tête, un must have heard pour qui ose se brancher sur france culture, à la tv, c'est à lui que l'on doit le tout aussi cultissime téléchat) et bien entendu dans la littérature.
Donc un artiste protéiforme et toujours actif près de 20 ans après sa mort puisqu'en 2012 est sorti un film dont Topor en crédité comme scénariste. Miracle? Non, adaptation posthume d'un scénario! Si les critiques ciné sont sévères envers ce film, son titre me donne néanmoins très envie de le voir: L'orpheline avec un plus un bras en moins! Génial non comme titre?
Alors si le registre de la comédie semble transversal dans l'oeuvre de Roland Topor, tout ce qu'il créa n'était pas drôle, loin de là. Ainsi le Locataire chimérique est une oeuvre éminemment dramatique qui au cours de ses 167 pages ne suscite pas la moindre esquisse de sourire chez son lecteur.
J'avais critiqué il y a quelques semaines l'excellente adaptation ciné que fit Polanski de ce roman, film qui m'avait donné envie d'aller plus loin en découvrant le texte de Topor. Ce n'était pas tant l'envie de comparer ces deux œuvres en se posant la sempiternelle question que se pose les adeptes d'Hunger Games ou du Labyrinthe à savoir "which is the best? the movie or the book" mais bien d'entrer un peu plus en profondeur dans ce personnage troublant qu'est Trelkowsky.
Ce qui est génial c'est l'intensité avec laquelle est menée cette histoire. Il se passe tellement de choses dans l'esprit de cet homme là. Chacun des 18 chapitres nous fait avancer un peu plus loin dans sa folie. Trelkowsky est un homme qui pense et qui se parle. Un homme qui pense tout le temps et qui se parle tout le temps. Il interprète tout et s'enfonce dans ses convictions sans jamais les remettre en question. Ainsi p39 alors qu'il est au ciné avec une jeune femme qui ne demande qu'à passer à l'étape supérieure lui se dit :
"Que désirait-elle, la pauvre petite idiote, le séduire? lui? pourquoi précisément lui?" .... "D'un geste sec, il repoussa la tête de la jeune fille et se leva. Il avait compris. C'est son appartement qui l'intéressait."... "on le courtisait pour son appartement".
S'ensuit l'oppression et la peur des autres. p42 :
"il était un odieux personnage. Il réveillait l'immeuble tout entier au bruit insupportable de ses ébats.il n'avait donc aucun respect pour les autres? Il n'était pas capable de vivre en société?"
Viennent alors les questionnements sur le corps. p59 :
"on m'enlève un bras, fort bien. Je dis moi et mon bras. On m'enlève les deux je dis: moi et mes deux bras. On m'ôte les jambes, je dis : moi et mes membres. On m'ôte mon estomac, mon foie, mes reins, à supposer que cela soit possible, je dis: moi et mes viscères. On me coupe la tête, que dire? Moi et mon corps ou moi et ma tête? De quel droit ma tête qui n'est qu'un membre après tout, s'arrogerait-elle le titre de"moi"?"
ou encore p99 ou Trelkowsky aborde son schéma corporel.
"il se recroquevillait sous les couvertures. Plus que jamais il avait conscience aiguë de lui-même. Ses dimensions lui était familières, il avait employé tant d'heures à observer et redessiner son corps...", "il cherchait à s'éparpiller le moins possible.... les mollets étaient contre les cuisses, les genoux venaient presque toucher le plexus, les coudes serrés au corps."
Chaque page est ainsi truffée de phrases qui nous aident à mieux comprendre ce qui se passe dans l'esprit d'un homme délirant. Si comme moi, il vous arrive de bosser de nuit dans un service de psychiatrie alors vous savez que le nombre de patient s'endormant avec la lumière allumée (type plafonnier aux néons bien agressifs tant qu'à faire) est important. J'avais toujours attribué cela à l'effet des hypnotiques qui faisaient sombrer brutalement la personne dans les bras de Morphée sans lui laisser le temps d’éteindre sa lumière. Topor en livre une explication différente, p100-101:
"Il se recoucha, mais dès qu'il eut tourné l'interrupteur et que l'obscurité fut revenue, il eut la sensation que la pièce dans laquelle il se trouvait diminuait de taille au point d'épouser parfaitement le volume de son corps. Il étouffait. Lorsqu'il alluma, la pièce, d'u bond, reprit ses dimensions normales. [...] Il éteignit. La chambre, comme un élastique tendu qu'on lâche à une extrémité, se rabattit sur Trelkowsky. Tel un sacrophage, elle l'entourait, lui broyait la poitrine, lui enserrait la tête, lui écrasait la nuque. Il suffoquait déjà. Heureusement, au dernier moment son doigt retrouva l'interrupteur. La libération fut aussi brusque que la première fois. Il décida de s'endormir avec la lumière."
Si ces quelques extraits du livre vous donnent envie d'aller plus loin alors après la lecture du livre je vous invite à en lire l'interprétation psychanalytique que l'on peut trouver ici: file:///home/chronos/u-17ef675304ad8d8595162c33f8a0924c4fdd2275/Downloads/Dialnet-PourUnApprofondissementTextuel-58608.pdf. Une autre analyse, que je n'ai pas encore lue, est disponible ici: http://psy-troyes.com/2013/01/23/le-locataire-de-roman-polanski/
Vous l'aurez compris, j'ai trouvé ce livre excellent. Le genre de roman dont il faut conseiller la lecture dans les IFSI car suffisamment court et intrigant pour capter l'attention des étudiants rarement adeptes de lecture et si riche en description clinique qu'il peut servir de support à l'enseignement de la psychopathologie. Avis aux cadres formateurs, s'il passe par ici.
Merci de m'avoir lu et @ très bientôt,
SuzieQ
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