photo par YJ-LEE |
Après cet article consacré à mon projet avorté de devenir cadre de santé, retour au quotidien du service de soins dans lequel j'exerce où l'arrivée récente d'un collègue est source de transmissions de savoirs et d'échange de points de vue.
Tu crois sérieusement que je cherchais à lui plaire? Non mais ça va pas toi!! Tu crois que Suzie Q elle est comme ça, comme une gamine qui se prend sa première poussée hormonale? Certes il a ce charisme qu'on les baroudeurs, ceux qui ont posé le pied dans chaque continent et qui transportent leurs expériences de vie et autres aventures comme d'autres se baladent avec toute la souffrance du monde. Mais de là à dire que je n'étais plus moi-même, c'est le grand n'importe quoi...
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Tu crois sérieusement que je cherchais à lui plaire? Non mais ça va pas toi!! Tu crois que Suzie Q elle est comme ça, comme une gamine qui se prend sa première poussée hormonale? Certes il a ce charisme qu'on les baroudeurs, ceux qui ont posé le pied dans chaque continent et qui transportent leurs expériences de vie et autres aventures comme d'autres se baladent avec toute la souffrance du monde. Mais de là à dire que je n'étais plus moi-même, c'est le grand n'importe quoi...
Il faut reconnaître qu'en quelques jours à peine dans le service il avait imposé son style tranquille et professionnel à toute l'équipe. Pour lui nous n'étions qu'une étape sur sa vie de soignant qui ne s'épanouissait que dans le mouvement. Pour nous il était un grand bol d'air frais, une fenêtre ouverte sur le monde et le soin tel qu'il se pratique ailleurs. Jérôme avait souhaité ce retour au bercail parental de quelques mois pour mieux préparer sa prochaine étape qui le mènerait peut-être en Nouvelle Calédonie, peut-être au Canada autant de régions du monde qui me faisaient rêver.
Ce jour-là nous n'étions que deux en service au lieu des trois IDE habituels. La troisième s'était faite porter pâle pour cause d'enfant malade. Autant le dire tout de suite, le rythme était soutenu. Les deux psychiatres du service étaient présents ainsi que l'interne et bien entendu chacun demandait à être accompagné d'un IDE. C'est drôle mais quand j'écris ça, j'ai l'impression d'écrire une oeuvre de science fiction, d'être une sorte de Philip K Dick du soin, tant aujourd'hui en 2017 avoir 3 médecins dans un service de 25 lits semble délirant. Nous travaillons la plupart du temps sans aucun doc et de temps à autre quand l'un se déplace c'est uniquement pour régler le plus urgent... ça peut sembler ubuesque et déconnant mais believe me or not, admission ou pas, état de crise ou pas, la présence d'un médecin dans un service de soin est aussi rare que celle d'un castor bionique dans ma cuisine. Alors en ce jour tendu j'avais bien des difficultés à contrôler mes nerfs quand Jérôme prenait cette pseudo-agitation avec la philosophie du mec qu'en a déjà vu d'autre.
Plusieurs admissions s'étaient succédées et après avoir maintenu à flot tant que bien que mal notre barque soignante, l'heure étaient venue après le dîner des patients de se poser derrière l'ordi old school du service pour saisir nos trans. J'étais là - tournant au ralenti - incapable de saisir par écrit l'étrangeté de ce patient qui avait débarqué chez nous pensant venir pour une simple consult' et qui à présent se trouvait bloquer ici en SPDT (soins psychiatriques à la demande d'un tiers). Mon cerveau était comme ramolli, nous avions couru tout l'après midi d'un bout à l'autre du service et là enfin posé je n'arrivais pas à rassembler mes idées pour faire un résumé objectif et contributif au soin. Et puis je sentis sa présence dans mon dos. Non pas celle du patient mais celle de Jérôme, beau gosse nonchalant, dont la carrure de rugbyman rassurait les membres de l'équipe. Déjà que je n'avançais pas mais alors là me sachant observée j'étais incapable d'aligner deux mots. Pire je ruisselais de partout, intimidée que j'étais. Ridicule comme une midinette de 15 ans devant un chanteur de Boys Band.
- ATV? me demanda-t-il
- Quoi?
- ATV répéta-t-il pour Angoisse de la Trans Vierge.
- C'est quoi ça?
- Ben le pendant infirmier de l'angoisse de la page blanche des écrivains.
- ça doit être ça...
- Certains ne la connaissent pas, pense à Balzac et ses plus de 90 tomes de la Comédie Humaine ou plus récemment Stephen King qui nous pond son petit classique tous les ans. D'autres semblent la fréquenter un peu trop, j'adore Donna Tartt depuis "le maître des illusions" mais elle sort un roman tous les 10 ans en moyenne, ça craint! D'autres enfin... ben tu sais quoi? on aimerait qu'ils la connaissent cette angoisse au lieu de nous bassiner avec leur torche-cul annuels. Musso pour n'en citer qu'un, ou Nothomb dont le statut est passé de prodige à zombie de la littérature et qui chaque année en septembre nous tend un piège d'à peine 100 pages pour mieux sucer à la fois notre thune et notre temps de cerveau disponible...
(Bullshit, Suzie, ferme ton sac, qu'il n’aperçoive pas ce livre de poche qui en dépasse, Oh My God, s'y vous avez envie de m'aider, c'est à présent que j'ai besoin de vous, empêcher à Jérôme de tourner la tête!!)
- ça va Suzie? Oui? Alors c'est ça ATV?
- Oui je comprends l'idée! ATV c'est cool comme acronyme! Et oui c'est tout à fait ça je n'arrive pas à décrire Monsieur V. qu'on a reçu tout à l'heure. Tu l'a vu comme moi, il est bizarre, il fait des trucs strange mais dès que j'écris une phrase je trouve ça si pauvre, si vide par rapport à ce que j'ai vu de cet homme que j'ai envie d'effacer mes transmissions.
- Et donc?
- Et donc je sais pas... J'aimerais faire des trans de qualités mais parfois j'ai envie de succomber à ce que beaucoup de collègues disent.
- C'est à dire?
- "te fais pas chier avec des trans écrite, de toutes façons personne ne les lit"
- et tu es d'accord avec ça?
- Ben plus ou moins. C'est sûr c'est pas les médecins qui vont aller lire nos trans... Mais après il n'y a pas que les médecins. Tous les collègues IDE ne lisent pas les trans mais certains, la plupart, le font. Et puis ça reste dans le dossier du patient avec ton nom accolé alors autant pas écrire n'importe quoi.
- Je suis d'accord avec toi même si j'ai souvent entendu l'argument de certains de tes collègues.
- Ceci dit ça ne résout pas mon problème du jour.
- Tu vois, je crois que l'argument du peu de lecteurs est un fausse excuse. Mon point de vue c'est qu'on est une profession mal à l'aise avec l'écrit, normal, on a plutôt une tradition orale. Et donc on a beaucoup de mal à décrire par écrit ce que l'on voit sous nos yeux. J'ai été confronté à cette difficulté moi aussi en début de carrière et je me suis créer un petit outil que je garde toujours dans la poche de ma blouse. C'est pas la panacée mais si ça t'intéresse, je peux te le partager. Je l'ai sur ma dropbox, je t'enverrai le lien par mail si tu veux?
- Ouais ok pourquoi pas et c'est quoi l'idée de cet outil?
- L'idée c'est de décomposer la présentation d'un patient en étapes précises. Il ne s'agit pas de romancer une situation, ou de recopier mots à mots et entre guillemets tous les propos étranges d'un patient mais bien d'avancer de façon guidée et la plus objective possible? Citer un patient est toujours mieux que de se livrer à sa propre interprétation forcément subjective mais est moins bien que de qualifier le délire. Décrire son mécanisme, son thème et son organisation plutôt que de réécrire la litanie de propos frapadingos. Vas-y jette un œil à ta boîte mail, je viens de te le partager, n'hésite pas à le modifier et si tu le trouves pertinent, imprime le en petit format pour l'avoir toujours à portée de main.
- Un dernier truc Suzie, tu sais cette histoire de médecins qui ne lirait pas les trans.
- Oui.
- Et bien pour moi c'est quasi la même histoire que celle de l’œuf et de la poule. Sont-ce les médecins qui ont arrêté de lire nos trans parce qu'elles étaient pauvres cliniquement ou est-ce nous qui avons arrêté de les rédiger parce qu'elles n'étaient pas lu? Si nous faisons des trans de qualités, cela va se savoir, et elles seront plus lues, ça se tient non comme scénario? Ou faut-il attendre que les lecteurs se manifestent, que les psy viennent vers nous en nous réclamant un peu plus de clinique dans nos trans pour les aider à mieux cerner les patients, pour que nous nous décidions à améliorer nos écrits?
- Je sais pas...
- Si je crois que tu le sais très bien. Les transmissions écrites ne sont pas une option. Elles ne sont pas une lubie de ton établissement mais une obligation. Clique ici, c'est un document mis en ligne par l'HAS sur le dossier unique du patient. En page 20 tu pourras lire ceci: "Le dossier de soins doit contenir toutes les informations pertinentes sur les problèmes de santé, les diagnostics infirmiers, les observations pendant le séjour, les feuilles de transmissions infirmières, les interventions de soins...,".
- P'tain mais comment fais-tu pour connaître, retenir et me sortir le bon lien internet qui va avec à chaque fois?
- Aaaahhh non Suzie, tu t'es encore faite avoir!!
- De quoi !?!
- Mais Suzie, enfin, toi, moi, nous ne sommes que des personnages de fiction posés sur un traitement de texte. L'illusion est parfaite mais crois moi, tu n'existes pas...
- Menteur!
- Et moi je ne sais rien contrairement à ce que tu semble imaginer. Si tu as l'impression que je te réponds du tac au tac, il n'en est rien! En fait celui qui des 10 doigts tapote son clavier, se paye des pauses magistrales pour trouver les réponses à nos questions métaphysico-parmaédico-existensialistes.
- Je ne te crois pas! Moi... je suis!
- Si tu le dis, reprenons!
- J'aime autant.
- Ou en étions nous? Oui, ce que je voulais te dire également: d'où tient-on que nos trans ne sont pas lues? Bien entendu que tout ne peut pas être lu, on y passerait nos journées... Mais elles ne sont pas non plus conditionnées à un nombre de lecteurs. On n'a pas le droit de faire dans le caprice du genre "Vu la qualité de ma plume, je n'accepte d'écrire que si j'ai à minima 10 lecteurs dans l'équipe!" Et c'est quoi la suite, on se la joue réseau social et on demande à nos amis de liker nos trans, on peut aussi ajouter des emoji!! Enfin ce qui me semble particulièrement important c'est que les trans n'appartiennent ni aux IDE ni au médecin mais au patient. Il s'agit de SON dossier. Vu qu'on bosse la tête dans le guidon on a tendance à l'oublier mais tout ça, ça appartient au patient. On se dit que jamais il ira consulter son dossier, mais si tu crois un tant soit peu au rétablissement, dis toi qu'un jour ton patient aujourd'hui fou comme un lapin ira mieux et voudra remonter son parcours. En ce sens tes trans ont une valeur historique, alors ne les néglige pas, il en va de ton professionnalisme. Il n'y a pas d’œuf, il n'y a pas de poule, il n'y a qu'un putain de dossier et tu te dois de le compléter!
KissKiss,
Suzie Q, une fiction autobiographique
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