mercredi 18 octobre 2017

échouer à devenir cadre de santé, storytelling et un hot-dog pour finir!

by Homini

Je suis debout, mon entretien touche à sa fin. Mon chemisier sorti pour l'occasion est détrempé, quand à ma respiration par trop accélérée, elle retrouve à présent un mid-tempo appréciable. Je crois avoir tout donné. Alors je décroche, déconnecte, et t'écoute sans le vouloir. Et toi tu ne cesses pas, tu continues de commenter. "Vas-y, lâche le bouquet final Suzie", "scotche les sur place ma grande". Je n'ose pas, j'hésite, plisse des yeux, tente une vague grimace mais rien n'y fait. Laisse moi tranquille ai-je envie de te dire. Mais je n'y arrive pas. Alors tu insistes, insistes, insistes encore... "Arrête!" murmure-je soudain. 

C'est le son de sa voix qui me ramène dans ce bureau quelconque. Je reconnecte. "Vous avez quelque chose à ajouter Mle Q?". La voix du DRH. Il me regarde d'un œil circonspect. Il le sait, l'entretien est terminé, qu'est-ce qu'elle attend pour sortir? semble-t-il se demander. Je jette un œil circulaire à la pièce mais rien n'a changé. D'ailleurs il n'a rien à y changer puisque pour ainsi dire il n'y a rien. Pas un bibelot, pas un dossier qui traîne, même pas un mug "Best DRH of the whole fuckin'world". Non que dalle hormis un cadre sans âme qui n'a vocation qu'a habiller un mûr dont la nudité pourrait sembler indécente. Un paysage marin qui nous invite tous à fuir, loin d'ici, une vague qui nous propose de nous absorber, nous diluer, nous noyer. "Mle Q? Vous êtes avec nous?" Et tu recommences. "Vas-y c'est le moment, finish him". Alors je ne sais plus résister, je me lance.
Solitude.

- euh oui une dernière chose avant de vous quitter messieurs. C'est une anecdote qui s'est produite la semaine dernière et que je souhaitais vous raconter. Voyez-vous j'ai récemment déménagé et après quelques travaux de rénovation nous nous occupons à présent de la décoration. Alors l'autre jour je me promenais dans les allées du Mr Bricolage et plus précisément dans le rayon dédié à l'encadrement. Et je ne savais pas comment choisir, j'hésitais entre plusieurs cadres sans trop savoir quel critères retenir. Alors j'aperçois un vendeur. Je l'interpelle et celui-ci se rend immédiatement disponible. Et là je lui demande non sans arrière pensées il est vrai. "Ecoutez je n'arrive pas à choisir, alors sauriez vous me dire ce qu'est un un bon cadre?" et lui de me répondre la réponse que je vous livre "Un bon cadre, c'est celui qu'on ne voit pas, c'est celui dont on oublie la présence et qui pourtant met en valeur comme aucun autre l'image encadrée." Et là je me dis mince, elle est là la réponse à mes questions! Alors je vous le dis Messieurs, c'est ce genre de cadre que je veux être, un cadre de l'ombre, un cadre qui bosse en sourdine pour son équipe, permettre sans faire de vague l'épanouissement de chacun, la concrétisation des ambitions individuelles, tirer un service vers le haut... Sur ce je crois vous avoir tout dit. 

Je les sens dubitatifs. Il me regardent comme une extraterrestre et ne disent rien. Ai-je trop théâtralisé cette ultime scène? Pour quelqu'un qui projette d’œuvrer dans l'ombre n'est-ce pas justement l'inverse qui vient de se produire, une sortie façon grande actrice hystérique? Je la trouve pourtant bonne moi, cette anecdote... Franchement je vois pas ce qui peut bien clocher avec ça. A moins que... Oui dis-le, avoue-le me susurres-tu à l'oreille! D'accord! Cette anecdote est complètement bidon. Il n'y a rien de vrai là dedans, elle est juste le fruit de mon imagination sans limite. Je ne suis pas entrée dans un magasin de bricolage depuis au moins 5 ans. Et alors il est où le problème? Il existe une éthique de l'anecdote peut-être? Ce qui compte c'est le message non? Et le message et bien il est vrai, il est sérieux, c'est ça que je veux être!!

... ça que je veux être ..... (?)

... ça qe j veux ête ....

... ç qe j ve ête ...

... j ve êt ...

... j ve ...

Accrochez votre ceinture, brusque décompression. Vous venez d'entrer dans un sas de dépressurisation, ça va secouer.

Je suis la salive de Suzie Q qui monte et qui descend

Je suis la sueur de Suzie Q qui coule le long de ce corps moite

Je suis une pâle imitation de Tyler Durden...

Ce que je veux être, en suis-je bien certaine? Etre cadre de santé? Est-ce un désir profond ou quelque chose qui s'est immiscé en moi au fil des années et des rencontres? 

Est-ce ma cadre qui 'a convaincu avec ces sous-entendus réguliers? "oh toi Suzie, je ne me fais pas de soucis pour ta carrière, dès que tu auras 4 ans d'expériences, je suis sûre que tu vas franchir le cap!"

Ou est-ce plus ancien encore? Mes formateurs à l'IFSI qui après mon DE me disait avec clin d’œil complice "bon et maintenant, future cadre?"

Comment Tyler? plus loin encore me dis tu, mais jusqu'où dois-je remonter?

Mes parents? mes parents qui m'imaginaient directrice et qui sans se poser la question de la compétence, de la formation, de la qualification étaient persuadés que quelque part sur cette vaste terre, un fauteuil de directrice, DG ou Présidente, n'attendait que moi et mon cul de dirigeante avide de pouvoir!

Alors, tout ça, toute cette préparation, toute cette énergie folle mise au service d'une candidature originale, cette présentation Prezi que j'ai peaufinée détails après détails, ce mind mapping, carte heuristique dessinée puis numérisée avec application de filtre photo pour en améliorer le rendu, tout ce storytelling autour de l'artisan du soin inscrit dans une modernité, dans une réalité pragmatique et économique, d'une Suzie solidement ancrée dans le sol mais le regard assurément tourné vers le ciel, tout cette mise à nu sur mon Idéal du soin et mes valeurs, tout ça pour quoi??

Faire plaisirs à mes parents? c'est ça? Juste ça?

N O  B U L L S H I T ! !

N'ai-je donc à ce point aucune personnalité, aucune emprise sur mes désirs, mes projets, mes envie, au point de ne même pas savoir l'orientation que je souhaite donner à ma carrière?

Pourquoi le refus de la direction de me sélectionner comme futur cadre n'a provoqué en moi aucun sentiment négatif, aucune déception, aucune tristesse, alors que j'ai préparé cet entretien comme l'outsider d'un combat de boxe qui s'apprête à cogner live from Vegas? Pourquoi ce putain de storytelling quand d'autres te disent y être allé à la "one again"?

Pourquoi quand j'écris storytelling google me suggère tortellini ? 

Craignais-je d'être déjà arrivé à mon point d'incompétence? C'est vrai c'est flippant ce principe de Peter, qui énonce que dans une hiérarchie, tout employé à tendance à s'élever jusqu'à son point d'incompétence et donc qu'avec le temps tout poste sera occupé par un incapable...

(remarque, si on y réfléchis, ça peut signifier, que j'ai passé mon entretien devant des personnes qui ont bénéficié au fil des ans de ce principe de Peter et qui donc ont aujourd'hui atteint leur point d'incompétence et qui en bons incompétents qu'il sont, ont foiré le recrutement des cadres de santé en sélectionnant les moins à même de remplir les missions d'un CDS, ce qui, dans ce cas précis, met fin au principe de Peter puisque des personnes compétentes ne peuvent s'élever à leur point d'incompétence! Truc de malade quoi! Vous me suivez?? Vite il faut en avertir Peter, l'informer que son principe est déconnant! L'un d'entre vous, amis lecteurs, a-t-il son mail, son 06? Quoi?? Quoi?? Peter is dead, oh my God!! Ah oui quand même, depuis le 12 janvier 1990, condoléance à la famille...)

Avant de me perdre définitivement il est temps de terminer cet article. Je ne sais pas si mon projet de devenir cadre avait uniquement vocation à satisfaire le désir de mes parents. Ce que je sais en revanche, c'est que depuis le refus de ma hiérarchie, je me sens étonnamment libérée et plus à l'aise dans mon métier d'infirmière.

Tu vois papa, tu vois maman, j'ai tenté, j'ai essayé, je me suis défoncée pour y arriver mais ça n'a pas marché. Peut-être ai-je été reçue par des incompétents qui n'ont pas vu que j'étais la meilleure, je sais que c'est que vous me direz, ou peut-être, ces personnes étaient-elles au contraire très compétentes, si compétentes qu'elles ont lu que derrière ma préparation millimétrée, derrière ma mise en scène ultra-chiadée, il y avait quelque chose de pas naturel, quelque chose de caché, quelque chose qui leur a mis la puce à l'oreille et qui disait "celle-ci, elle a pas faite pour être cadre". Alors merci papa, merci maman, votre projet de réussite pour moi était beau mais il restera un rêve, votre rêve. Et si ma réussite était déjà d'être une bonne infirmière... Si être une infirmière qui chaque jour tente de prendre soin de ses patients n'était pas un degré d'incompétence cher à Peter mais au contraire une magnifique compétence?

Quand j'ai commencé à écrire cet article, je ne savais pas où cela allait me mener, je ne pensais pas du tout partir sur de l'auto-analyse, je pensais même axer cela sur quelque chose de pratico-pratique, en accordant une attention particulière sur les outils utilisés pour passer mon entretien (prezi et mind mapping) et sur ma préparation et ma méthode de travail.

Et puis sans prévenir il y a eu en milieu d'article, un virage Fight Club et Tyler Durden (qui est probablement le film qui m'a le plus marqué). Alors en toute logique il eut été judicieux de conclure par une citation extraite de ce film qui en possède tant de terribles!!! Et puis il y a eu ce retour de mes années lycée avec ce principe de Peter, résurgence de mes cours d'éco et de nos passionnantes lecture de texte des grands économistes. Peter maniait l'ironie avec délectation. Pour vous convaincre, appréciez les deux suivantes:

"Allez à l'église ne vous fait pas plus chrétien, qu'aller au garage ne fait de vous un mécanicien"

"Le plus noble de tous les chiens est le chien-chaud (hot-dog), il nourrit la main qui le mord"


Kiss Kiss,

Suzie Q, 
une fiction autobiographique



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