lundi 19 juin 2017

Situation n°1 : de l'art de vriller son entretien pro



Women's coffee chat par Pascal Maramis


Cette chronique est à lire dans la continuité de la précédente que tu peux relire ici. Allez si tu n'en as pas le courage, Suzie Q est sympa et t'en livre un bref résumé: il y a quelques semaines je m'inquiétais du risque de voir disparaître des postes IDE au profit de métiers moins chers pour l'établissement. Je pointais notamment le manque de savoir théorique des IDE qui auront un jour du mal à défendre leur métier tant la spécificité du rôle IDE en psy est mal maîtrisée. 

Pour illustrer mon propos voici une première situation vécue il y a quelques mois.

Elle c'est Sabine. Infirmière depuis 14 ans. Si ce n'est ses deux années passées en tant qu'infirmière libérale (dans le cadre d'une disponibilité de la fonction publique), elle a fait toute sa carrière en psy. Autant dire, la psy elle connaît! Quoique... 

Après sa parenthèse d'IDEL qu'elle décrit aujourd'hui comme un échec elle est revenue de sa dispo il y a près de deux ans sur l'EPSM. Son problème, pour elle qui a déjà beaucoup tourné sur les différents pôles et services, c'est qu'elle a perdu le poste sur lequel elle était affecté. Alors à nouveau il lui a fallu intégrer le pool de remplaçant et jongler avec des plannings à la petite semaine. Pas facile... 

Aussi était-elle très heureuse de passer un entretien pour intégrer l'un des services d'admission psy adulte de l'EPSM. Sabine a pour elle sa gouaille, sa bonne humeur légendaire, son aisance à l'oral, son peps. Mais est-ce suffisant quand l'on doit parler soin? 

Nous avions convenu de nous voir après son entretien dans un troquet en ville. Et c'est donc autour d'un café qu'elle me narra son entrevue:

- Ils étaient deux face à moi, le cadre du service et le médecin.

- aarff... j'aime pas ça quand les médecins se permettent d'intervenir sur les recrutements des infirmiers.

- moi non plus.

- à mon sens c'est surtout l'erreur des cadres de se laisser embobiner par les psy. L'éternel problème de soumission. Au lieu de s'affirmer du genre "je choisis mon équipe, je la compose avec les IDE qui partagent des valeurs communes et un sens élevé du soin" et donc par conséquent "toi médecin tu travailles avec ces IDE que j'ai choisis", nos cadres se retrouvent à dire dans un premier temps "ah oui ok pourquoi pas m'assister dans le recrutement" avant de baisser leur garde dans un second temps et de leur laisser carte blanche dans la composition de l'équipe. Le médecin devient le recruteur et le cadre le secrétaire...

- J'y avais pas réfléchis mais c'est sûr que la présence du médecin m'a mise en difficulté.

- Ah bon...

- ben oui au début tout se passait bien, on a fait le point sur mes expériences passées, j'étais à l'aise, puis, le psy m'a demandé si je me revendiquais d'un courant de soin. Tu le crois ça Suzie Q: de quel courant de soin vous revendiquez vous?

- Et alors qu'a tu répondu?

- Ben rien, je voyais pas où il voulait en venir. Alors il a fait comme une grimace et il m'a dit "bon à défaut de vous revendiquer de tel ou tel conception du soin, vous avez peut-être des modèles soignants?"

- Et donc?

- Ben j'ai rien répondu non plus. J'étais pas sûr de moi mais maintenant je me dis que j'aurai dû lui citer Virginie Henderson, tu crois pas?

- Virginie Henderson, non je crois pas... Quand t'es étudiant pourquoi pas et encore mais en tant qu'infirmière en psy, je pense qu'il valait mieux ne rien dire que de citer Henderson.

- Bon si tu le dis... Et puis attend, il m'a pas lâché, c'est vraiment un pervers, je sais pas ce qu'il cherche mais j'en suis encore énervée!

- Pourquoi dis-tu qu'il ne t'a pas lâché?

- Ben il voyait bien que j'étais en difficulté pour répondre à ses questions et là il me demande "pouvez vous me donner les principaux symptômes de la schizophrénie?"

- NON!!

- Ben si!

- C'est abusé! 

- Ah tu trouves toi aussi, ça me rassure....

- Ben attend, c'est abusé, certes... mais c'est surtout insultant! Merde on peut poser cette question à un jeune DE pour vérifier s'il s'intéresse un minima à la psy ou a quelqu'un qui postule pour la première fois en psy mais la poser à quelqu'un qui a quoi? une bonne dizaine d'années d'expérience en psy, oui je trouve que c'est insultant! Non mais est-ce qu'on demanderait à une coiffeuse confirmée ce qu'est un tie and dye ou à un mécanicien d'expérience s'il sait faire une vidange? à la limite qu'il te demande quelle sont les thérapies que tu trouves efficaces ou prometteuses dans la prise en charge de la schizophrénie mais en demander une définition c'est vraiment nul... Et alors que lui as tu répondu?

- Ben j'avais rien révisé, l'IFSI c'est loin pour moi... Alors vois-tu je savais pas quoi dire. J'ai bredouillé quelque chose sur les hallucinations et le délire mais quand il m'a demandé de développer j'étais perdue...

- Bon ben écoute, tu verras bien ce que ça donne.

Sabine n'a pas eu le poste.


***
 * 


Sabine, j'ai beaucoup de sympathie à ton égard. Ta PMA, ton insouciance et ta simplicité sont des exemples à suivre pour nombre d'entre nous. Mais pourquoi ne pas avoir préparé à minima ton entretien?

Pourquoi parler conception du soin et symptômes de la schizophrénie te mettent dans un tel embarras? Pourquoi après plus de dix ans de bons loyaux services ces simples questions te posent de telles difficultés? 

Tu pointes la pseudo-perversité du médecin, mais qu'en est-il de ton degré de compétence? 

Quand j'ai essayé avec un peu plus de douceur d'évoquer cela avec toi, tu t'es d'abord renfermée puis avec sagesse tu as reconnu que tu avais peut-être une part de responsabilité dans ce que tu as vécu comme un échec. Et là je me suis aperçu que reconnaître ses difficultés est une chose, savoir les résoudre en est une autre...

- T'as raison Suzie, je devrais peut-être me replonger un peu dans les trucs psy...

- C'est à dire?

- Ben tu sais, reprendre mes cours de l'IFSI par exemple...

- Tes cours d'IFSI sont pas un peu vieillots?

- Et alors?

- Ben, c'est une chouette idée que de vouloir consacrer du temps à la clinique mais il ne faudrait pas se tromper de cible. Entre réapprendre les bases, actualiser son savoir, ou approfondir ses connaissances, on là trois potentiels objectifs qui se travaillent différemment.

- Et qu'est ce que tu veux que je fasse alors?

- Moi rien! C'est toi qui viens de me dire que voulais te replonger dans la psy. Je ne te changerai pas, c'est toi qui est au commande de ta vie, si tu décides de changer quelque chose, ce sera ton choix.

- Bon alors, tu peux au moins me dire ce que tu en penses?

- Of course! Mon avis c'est que les cours d'IFSI se contentent de  dresser les contours de la psy. A qui sont il destinés? A des infirmiers qui exerceront pour la plupart dans les soins généraux. Ils donnent donc un aperçu à ces soignants de ce que sont les affections de santé mentale. Sans être forcément mauvais, les apports en IFSI sont grossiers et manque de nuance et de détails.

- Oui c'est vrai, ça me fait penser à ces images tu sais... Vu d'en haut tu distingues un objet, une forme bien précise mais plus ton œil se rapproche de l'image et plus celle-ci cède la place a de gros pixels.

- Mais c'est exactement ça! Le parallèle est bien trouvé Sabine. Quand nous étions à l'IFSI nous regardions la psy avec un œil lointain alors les apports théoriques nous suffisaient mais en choisissant d'y bosser nous nous sommes approchés et on s'aperçoit que tout n'est que gros pixels. Nous devenons de fait des spécialistes et nous nous devons d'être à la hauteur de ce statut. 

- Et donc je fais quoi, je vais sur le net?

- Pourquoi pas mais attention, il y a tout et son contraire, des sites fiables et d'autres moins, de l'info grand public et de l'info ultra pointue. Schizophrénie sur google c'est plus d'un million de résultats. Alors avant d'enrichir ton savoir tu risques de papillonner longtemps d'un site à l'autre. Internet c'est génial, mais si tes recherches ne sont pas exigeantes tu peux t'éloigner de ton sujet de recherches très rapidement.

-  Il reste les bons vieux livres alors, c'est ça?

- Ben oui comme tu dis les bons vieux livres.

- Ouais c'est pas con, j'ai vu que l'étudiant en avait un avec lui, je pourrai y jeter un œil.

- Tu parles de ce petit livre de poche relié de chez Masson?

- Oui c'est ça un truc comme "l'indispensable en stage"

- Oui ben tu oublies! Je déteste cette collection! Rien que de les voir ça me donne envie de faire un autodafé!

- Sérieux?

- Non pas sérieux! Mais ces livres sont éventuellement intéressants pour l'infirmier en pneumo qui de tant à autre rencontre un patient qui a une schizophrénie et qui débarque dans son service pour une décompensation respi mais ils ne sont en aucun cas destinés aux soignants en psy. Nous on ne cherche pas l'indispensable mais le dispensable justement. On cherche le détail, la finesse et non pas les pixels grossiers!    

- Ouais mais quels livres? J'ai rien chez moi?

- Alors comment faire?

- Je sais pas j'ai pas forcément envie d'acheter des livres, ça coûte cher... et puis je ne saurai pas quoi prendre...

- Ecoute, prends ton GPS et ta boussole et file au centre de documentation de l'hôpital.

- Ah oui c'est vrai j'en ai déjà entendu parler mais j'y suis jamais allée.

- Il y a tout là bas, tu seras bien accueilli, la documentaliste ne croule pas sous les visites. Parle avec elle, explique ce que tu cherches et elle te trouvera des choses pertinentes.

- Ok j'vais faire ça!

To follow...

Situation n°2 à venir...

KissKiss

Suzie Q, une fiction autobiographique








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire