Girl's Talk by Fouquier |
Suite à mon texte qui soulignait une forme d'insuffisance au sein de notre métier, j'ai souhaité illustrer mes propos. D'abord autour d'un entretien professionnel et cette semaine à propos d'une histoire de vocabulaire. Bonne lecture !
Avec Claire, nous sortons du vestiaire. ça y est notre série est bouclée, place aux RH. Il est 15h, la matinée s'est déroulée sans encombre et nous marchons côte à côte vers nos voitures. Claire est une jeune collègue, diplômée de juillet dernier. On bosse souvent ensemble et je suis surpris de voir autant de motivation chez une si jeune personne. Elle est curieuse et n'hésite à potasser les dossiers patients quand bien même ceux-ci compilent des dizaines d'hospitalisations. Elle n'hésite pas à non plus à solliciter les patients pour les voir en entretien afin de compléter leur biographie, mieux comprendre leur problématique ou simplement pour entretenir le lien de confiance. Comme je m'entend bien avec elle je lui pose cette question:
- Alors Claire, ça va, tu te sens bien dans le service?
- Oui oui ça va me répond-elle sans conviction.
- c'est un petit "ça va" non? Sauf erreur, c'était bien en admission que tu voulais bosser non?
- Oui tu as raison. J'adore l'admission...
- Mais?
- Mais au final, après près d'un an ici je suis déçue...
- Déçue? par qui, par quoi?
- Comment dire... Par l'équipe infirmière, oui je suis déçue par l'équipe. Oh individuellement y'a rien à dire, tous les collègues sont sympa, l'ambiance est excellente et c'est toujours un plaisir de venir bosser car on y rigole toujours beaucoup... Mais au-delà de ça je trouve qu'on a comme un déficit de professionnalisme...
- Ahah voilà qui m'intéresse... Un déficit de professionnalisme, dis m'en plus please?
- Et bien par exemple on a sérieux problème avec le vocabulaire psychiatrique. On a un vocabulaire bien pauvre et ça se ressent sur nos transmissions orales et nos observations écrites.
- T'as un exemple?
- Ben pas plus tard qu'hier figures-toi mais c'est quasi-quotidiennement que j'ai des exemples. Donc hier on est installé autour du bureau et on est à M. B. dont je me suis chargée de l'admission. Tu sais c'est le monsieur admis pour dépression majeure. Alors je suis là à essayer d'en brosser le portrait le plus précis aux collègues qui ne le connaissent pas. J'insiste c'est vrai mais c'est parce que le risque suicidaire est réel, les idées noires même si elles sont atténuées par l'hospitalisation reste présentes par moment, donc il est à surveiller. Et tu vas trouver ça débile mais à un moment je dis pour le décrire qu'il présente un front en Oméga mélancolique. Alors c'est rien mais je les entend au bout de la table: des ricanements puis c'est G. qui prend la parole et qui dit "bon ce que Claire vous raconte avec son charabia c'est qu'il est bien tristoune le pépère".
- Tu t'es sentie vexée?
- Non mais c'est même pas ça. Je crois pas être quelqu'un de particulièrement susceptible mais j'ai remarqué que chaque fois que tu essayes d'employer des termes qui appartiennent au vocable de la psychiatrie il y a quelqu'un qui tire la conversation vers le bas. Là c'était "l'omega mélancolique" mais j'ai des exemples similaires récents avec euh... attend c'était quoi déjà.... ah oui avec "quérulents processifs". Ceci dit, ça il est vrai qu'on en rencontre pas souvent. Mais l'autre jour c'était le terme "hébéphrénie" qui avait l'air de laisser sur le bord de la route la moitié de l'équipe.
- T'exagère pas un peu?
- Mais pas du tout! Le pire et je suis prête à prendre les paris c'est que je crois qu'il y pas loin de la moitié de l'équipe qui ne fait pas la différence entre parano et paranoïde. Et c'est comme cela qu'on se retrouve à avoir des schizophrènes paranoïaques. Passe encore à l'oral mais écrit dans le dossier patient ça la fout mal... Merde ça fait quand même partie d'un minimum d'exigence qu'on peut avoir envers une équipe soignante non? On est aux trans pas au café du commerce!
- C'est bien dis ça!
- Alors du coup je me dis que si ce minimum de vocabulaire n'est pas maîtrisé comment veux tu aller plus loin. La sémiologie psy n'est pas maîtrisée et la pharmaco c'est pas mieux... Aujourd'hui il est évident que si tu parles pharmaco avec une partie de l'équipe et bien... tu parles tout seul! Va parler d'antagoniste des récepteurs dopaminergiques, c'est comme la messe en latin tout le monde opine du chef et personne n'y comprend rien!
- Oh tu sais là dessus, j'y ai jamais trop rien compris à ces histoires d'antagonistes... En tous cas, je vois que t'en a gros sur le cœur Claire!
- Non je suis juste déçue. Pour finir sur le sujet, tu vois quand je suis arrivée ici en juillet je me suis mise une forte pression. J'étais persuadée que j'allais me retrouver face à des collègues hyper-compétents, calé en psy et que j'allais être bien minable. Alors j'ai bossé, je me suis constituée un lexique pro que je continue à alimenter et à mémoriser pour améliorer mes transmissions et ma pratique en général. Et au final aujourd'hui je m'aperçois que rares sont les collègues qui sont dans une démarche d'amélioration de leur pratique. Combien parmi nous sont à même de te parler pendant plus de deux minutes de Freud et de ses apports? Qui peut parler des topiques Freudienne? On est pas nombreux, tu peux me croire! Alors c'est même pas la peine de parler de Jung ou autres. La plupart n'a jamais entendu ce nom...
- Bon ton constat est bien triste et peut-être un peu sévère. Je sais pas vraiment quoi dire hormis: est-ce que ça les empêche d'être de bons soignants?
- Et bien moi je dis oui! C'est vrai, ces mêmes personnes que je critique par rapport à leur absence de vocabulaire et de culture psy en général sont souvent de bons soignants. Elles ont un bon contact avec les patients, de l'empathie et elles savent écouter. Mais ne seraient-elles pas meilleures si elle décrivaient avec précision les symptômes qu'elle voient, si au lieu de copier mots à mots les délires du patient, elles les qualifiaient. Je dis pas qu'elles doivent de transformer en psychiatre ou en psychologue mais qu'un minimum de culture psy nous permettrait d'être mieux reconnu comme professionnel non pas de santé mais de psychiatrie.
- Alors je vais me faire l'avocat du diable et je te dis: je me fiche de ton savoir théorique, je ne suis ni pharmacien ni psychiatre. Je suis infirmière et j'en suis fière. Mon rôle c'est d'être au plus près de mes patients, de leur souffrance. Être là pour les écouter, pour leur tenir la main, pour les accompagner avec empathie et avec humanité dans ces moments pénibles qu'ils traversent... Rien à foutre du reste!
- Et bien je dis que tu as tort. Oui ce que tu décris comme ton rôle est essentiel... mais pas suffisant. On se doit d'être bon en tout. Notre métier est à la croisée des autres métiers: psy, psycho, éduc, as et même curateur parfois... C'est énorme mais ça nous oblige à être bon. Un autre exemple pour illustrer la nécessité d'avoir des bases théoriques avec la question de l'oeuf ou de la poule rapportée à la psychose. D'après toi qu'est-ce qui est premier chez un schizophrène le délire ou l'angoisse? L'angoisse est-elle réactionnelle au éléments délirants ou c'est le délire qui fait suite à une angoisse trop forte? Hein, d'après-toi Suzie Q, parce que pour moi vois-tu cette question possède - à la différence de celle de l’œuf et de la poule - une réponse, et c'est hyper-important de la connaitre. On peut pas revendiquer un rôle plein d'empathie et de compréhension sans justement comprendre l'angoisse d'un psychotique et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres!
- OK Claire, bon je crois qu'on a un peu dérivé, mais c'était intéressant de discuter avec toi, je vais réfléchir à tout ça ça marche?
- Ok Suzie Q! Attend, un dernier truc, je te promet que c'est le dernier!
- Je t'écoute.
- Le pire dans tout ça, c'est que ça me tire vers le bas.
- Comment ça?
- J'ose de moins en moins utiliser un vocabulaire pro.
- Pourquoi? tu as peur des ricanements, tu as peur qu'on se foute de toi?
- Oui mais pas que ça...
- Vas y explique
- Ben disons que j'ai surtout peur de mettre mal à l'aise quelqu'un qui ne serait pas à l'aise avec ces termes spécifiques...
- Énorme! En fait ton problème c'est que tu es trop empathique! Empathique au point de protéger tes collègues de leur suffisance professionnel! Toi t'es sacrément barré tu sais!
- Ben te fous pas de moi, c'est ce que je ressens c'est tout!
- Alors attend si je te suis, imaginons la scène suivante: tu bosses de nuit et l'un de tes patients fait un problème somatique x ou y. Suffisamment grave pour que tu préviennes le médecin de garde. Celui-ci envisage de le faire transférer aux urgences et vous demande, à toi et ta collègue de nuit, de poser une perf. Imaginons que ta collègue soit nulle en soins techniques en général et en pose de perf en particulier, est-ce que toi avec ton surplus d'empathie, tu vas refuser de poser la perf pour ne pas mettre mal à l'aise ta collègue?
- Ben p'têt pas quand même...
- Bon alors arrête tes conneries, arrête de te questionner à tout va et dis ce que tu as à dire aux trans. Parle richement si tu veux, parle en alexandrin si tu préfères mais parle psy nom de Dieu et si certain ne sont pas au niveau et bien ce n'est pas ton problème, il n'ont qu'à se mettre au taf, ils sont soignants et ne viennent pas ici pour passer le temps!
- Ok merci du conseil
- You're fuckin' welcome!
Alors on se retrouve très bientôt pour soit la situation n°3, soit pour repasser un peu de temps avec Claire...
Ah oui détail important, c'est l'été! Alors place aux vacances, reprise des activités sur le blog fin juillet!!
KissKiss
SuzieQ, une fiction autobiographique
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