jeudi 10 septembre 2015

#10 - Le muret de Fraipont & Bailly





C'est une BD empruntée à la médiathèque sans trop savoir pourquoi. C'est un pioche au hasard mais c'est une sacrée bonne pioche. Car c'est album n'est pas seulement beau, c'est aussi et avant tout l'histoire très touchante d'une plongée dans les dérives de l'âge ado. De Rosie, on suit le parcours, sa solitude, son vide et ses angoisses. 

1988, Belgique. Entre une mère à Dubaï et un père trop pris par son travail, Rosie, 13 ans, se sent bien seule. 



Alors pour affronter ce quotidien morne fait de "trouille au ventre" et de "mauvaises pensées", elle se soulage avec le whisky du père.

Et ça marche, mais ça ne marche qu'un temps. Car quand les effets de l'alcool s'estompent et bien ses souffrances reviennent de plus belle. Elle le dit "j'angoisse à en crever".

On suit ainsi le parcours de cette petiote plongée dans un milieu qui ne devrait pas être le sien. Rosie se déscolarise et au gré d'une rencontre avec Joïakim un jeune marginal elle découvre cet univers underground des keupons des eighties. On y rêve, on y écoute tantôt les Bérus, tantôt Robert Smith et ses Cure en on se défonce. à l'herbe, à la bière et au sky. Il y a de l'amour mais il y a aussi de la mise en danger. Beaucoup de mise en danger, dont tous ne sortiront pas indemnes.

Pourquoi cette mise en danger? Rosie nous livre sa réponse: "me donner la sensation d'être vivante. Pour oublier ce vide insupportable en moi".

Difficile de ne pas penser à un récit autobiographique tant l'histoire fourmille de détails. Céline Fraipont, la scénariste, est Belge et avait l'âge de Rosie en 1988. Elle répond à cette questions dans une interview lisible ici: http://www.auracan.com/Interviews/243-interview-entretien-avec-celine-fraipont-et-pierre-bailly.html

D'un point de vue professionnel j'ai trouvé ce livre très intéressant. Il nous fait découvrir avec pudeur la fragilité de l'adolescence et la facilité à adopter des conduites addictives. Cette retenue voulue par les auteurs évite ainsi de sombrer dans le larmoyant et la mièvrerie. Cet ouvrage nous rappelle aussi - et c'est ce qui m'a le plus touché - la singularité du parcours de chaque personnes addict. 




Dans nos services, nous sommes habitués à faire dans le synthétique. Combien de transmissions se limitent à "M. X, patient OH, admis ce jour pour sevrage..." quand ce n'est pas "M. X. admis pour la énième fois pour alcoolisations...". Oui, il nous faut être synthétique mais il ne faudrait pas oublier que nos patients dits OH ne sont pas des copies les uns des autres. Chacun débarque dans nos services avec son histoire de vie, son parcours, ses galères et ses souffrances. Les alcoolisations ne sont que le résultat de tout ce passif. C'est aussi les respecter que d'écouter cette souffrance qui justement à tant manquée d'oreilles attentives. Car l'alcool n'est au final que la meilleure solution trouvée à un moment donné par nos patients pour soulager une souffrance paroxystique. Dans "Le muret" l'alcool à cette fonction, cette visée, celle d'être un anxiolytique. Et c'est bien le danger car l'alcool n'apaise qu'un temps donné, il ne résout rien et surtout quand le lendemain les problèmes se reposent et bien nos patients n'ont d'autre choix que d'augmenter la dose absorbée pour obtenir la même anxiolyse... Le début du piège.


Donc vous l'aurez compris, je recommande chaudement ce livre, ou comme on dit dans le métier, je recommande ++ !!

Le Muret de Fraipont & Bailly dont on peut lire les 17 premières planches ici:
http://www.bdgest.com/preview-1418-BD-muret-le-le-muret.html


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire