mardi 29 septembre 2015

# 16 - NYPD, LAPD, EPSM épisode 2: c'est dans le corridor que ça s'passe...

@Tom Blackwell
https://www.flickr.com/photos/tjblackwell/

ce billet fait suite à celui intitulé "NYPD, LAPD, EPSM même combat? Non mais ça va pas". 



C'est le début d'après-midi et comme souvent à ce moment c'est le calme plat. Entre les patients sortis dans le parc, ceux qui s'adonnent à une sieste digestive et ceux qui attendent le psychiatre mais qui savent qu'il n'arrive jamais avant 14h30, le couloir est désespérément vide. 

Alors nous on est là, dans ce souloir qui nous mène de la salle à manger au bureau infirmier. Les transmissions du jour seront brèves, l'activité du matin ayant été calme. Nadège et moi marchons à petits pas, sans mot dire. Et tout autour de nous, il y a cette tension qui nous enveloppe. Elle charge l'atmosphère d'une pesanteur inhabituelle. Les mains dans les poches de nos blouses, nous jouons chacune avec notre trousseau de clés, prêtes à dégainer de nouveau (voir épisode précédent). Ici, ce n'est pas Tombstone et je ne suis pas Wyatt Earp mais ce qui se trame à quelque chose du "règlements de comptes à Ok Corral".


"Fast is fine but accuracy is everything" 
"la rapidité c'est bien mais la précision c'est tout
Wyatt Earp, Marshall Américain et Chasseur de bisons.

Il me faut agir vite, vite et bien. Ce climat pesant a assez duré, il est tant d'y mettre un terme. Alors je me lance sans trop savoir ou je vais atterrir. Me sortir la tête de l'eau ou m'y enfoncer pour sombrer dans les fonds abyssaux.

- ca va?
- hein? me répond-t-elle sur la défensive
-Je te demande si ça va?
- Pourquoi crois-tu que ça n'irais pas?
- Je sais pas... une impression depuis que j'ai ouvert la porte à M. P.
- ah bah, c'est sûr moi je ne l'aurais pas ouverte cette porte!
- oui ça je l'ai bien vu... mais j'ai l'impression que ça te gène que moi je l'ai fait. J'me trompe?
- et bien puisque tu le demande, oui ça me gène.
- ok
- et tu sais pourquoi non?
- parce que je ne suis pas allée dans le même sens que toi.
- oui mais pas que Suzie, pas que. Il ne s'agit pas de moi, petite Nadège qui fait son caca nerveux.
- Explique-moi alors.
- Là on parle de cohésion, on parle d'unité d'équipe.
- Unité que si j'ai bien compris j'ai réduite à néant c'est ça?
- Disons que si dans une équipe chaque infirmière tient un discours différent au patient cela à plusieurs conséquences fâcheuses. Déjà, premier temps, c'est déstabilisant pour lui, il ne sait plus quel discours il doit croire. C'est déjà le bronx dans la tête de pas mal de patients alors si nous par nos approximations et nos divergences on en rajoute, ça va pas les aider. Conclusion: quand une collègue dis quelque chose à un patient, d'accord ou pas, on s'en fiche, tu te plie à ce qui a été dit.
- J'vois ce que tu veux dire...
- Ok, tu vois, mais t'en pense quoi?
- J'pense que je suis moyennement d'accord.
- ben vas-y développe!
- Ce que je pense, mais attention c'est juste mon point de vue, c'est que c'est un peu facile de me dire que je dois la fermer sous prétexte que tu as a parlé et que je ne dois pas te contredire sous peine de mettre en branle cette soi-disant unité d'équipe. Sur le principe je trouve l'idée séduisante, encore faut-il que chacune ait pu exprimer son point de vue. Donc quand le patient nous pose une question et qu'il nous laisse le temps de la réponse, ton idée tient la route. Car dans ce cas on se pose dans un bureau et on réfléchit en équipe à la meilleure réponse à lui apporter, et là je suis d'accord avec toi, quand une décision d'équipe est prise il est important de s'y tenir qu'importe notre point de vue personnel. Mais là c'est très différent non?
- j'vois pas...
- y'a aucune décision d'équipe. La patient entre et pose une question qui a priori appelle une réponse immédiate.
- c'est ça
- et là c'est toi qui, sans te concerter avec tes collègues, décide de la réponse. Or et excuse-moi si ce que je te dis est désagréable mais cette décision c'est ta décision et en aucun cas celle de l'équipe.
- Non mais on allait pas se concerter pour cette simple question. Je te rappelle que M. P. à le chic pour systématiquement venir nous voir quand on est en pause.
- C'est vrai et je te l'accorde parfois c'est chiant mais c'est aussi écrit dans le règlement du service que les sorties sont à 13h15.
- Oui enfin on s'est pas posée de la matinée, il peut aussi attendre un peu non?
- Oui et non, c'est pas son problème à lui qu'on ne se soit pas posée. Lui il est patient, on peut pas à la fois demander aux patients de respecter le cadre et quand il le font leur sortir l'excuse de notre organisation défaillante ou de notre rythme trop soutenu...
- Mettons que tu n'as pas tort sur ce coup là. Mais je t'ai parlé tout à l'heure de plusieurs conséquences fâcheuses. Et dans le prolongement de cette absence d'unité d'équipe on peut ajouter autre chose.
- Mais je t'écoute...
- et bien une équipe non unie, c'est une équipe qui montre ses failles, une équipe faillible. Or avec des patients qui sont au plus mal, on a besoin de montrer que l'on gère, que l'on est fort.
- Donc toi tu te considère infaillible c'est bien ça
- Oh tout de suite les grands mots. On ne peut pas se permettre la faille.
- Tu t'y connais en arithmétique?
- Hein?
- L'algèbre, les mathématiques ça te dit quelque chose?
- ben oui comme tout le monde!
- Donc les nombres relatifs??
- Oh tu sais moi hormis les calculs de dose et encore...
- Bon moins par moins ça fait plus t'es d'accord avec ça?
- Si tu le dis...
- Oui moins par moins ça fait plus, d'ailleurs y'a pas à être d'accord ou pas. C'est la vérité point.
- Et donc, quel est le rapport, je te rappelle qu'on nous attend aux trans...
- Le rapport? et bien voilà, moi vois-tu je suis pleine de faille. Et ce qui fait ma force c'est la multiplication de mes failles. mes failles par mes failles font ma force.
- Comme un peu la somme de mes failles fait ma force
- Non pas la somme, la multiplication! La somme c'est moins plus moins ce qui donne un résultat négatif. Et moi si j'additionne mes failles ça va être violent je vais me retrouver avec la faille de San Andreas sur mon dos! Non c'est bien mes failles par mes failles qui font ma force. Kapish?
- Drôle de théorie...
- C'est très sérieux j'te jure. Ton histoire d'infaillibilité, c'est une illusion à laquelle personne ne croit réellement, toi inclus non? On a tous nos failles et c'est parce qu'on en est conscient qu'on avance et qu'on progresse.
- Attend je crois que j'ai une lumière qui s'allume dans mon cerveau.
- Merde ça va faire mal!
- Je ne t'ai jamais dis que j'étais sans faille. Je parlais de l'équipe, de l'unité d'équipe. En revanche, si je suis ta théorie des nombres relatifs où l'on considère que chaque soignant à sa failles, on obtient l'équation suivante: soignant faillibles (f) multiplié par le nombre de soignants (20) que nous sommes dans l'équipe est égal à notre force (F). Donc, j'ai raison, on est fort! F=f*20
- Oui forts, pas infaillibles! Et oui notre force d'équipe naît de nos failles individuelles.
- C'est beau!
- N'est-ce pas?

Vous vous en doutez probablement mais cette discussion n'a jamais eue lieu. Malheureusement. Et si je l'ai souvent espérée, je n'ai jamais trouvée la courage de la provoquer.

Mais ce genre de situations à priori anodine se reproduit chaque jour en service psychiatrique. Les réponses que nous apportons aux patients qu'elles soient le reflet d'une décision d'équipe mûrement réfléchie ou le positionnement instantané d'un IDE doivent pouvoir s'argumenter. C'est le sens que l'on y donne qui rendra notre décision crédible aux yeux du patient. Bon même si je suis loin d'être un modèle du genre, j'essaye d'avoir un peu de recul sur mes pratiques dans l'espoir de m'améliorer au moins un petit peu!

Prochain article vendredi!



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