vendredi 25 septembre 2015

#15 - NYPD, LAPD, EPSM, même combat? Non mais ça va pas!



On en est là. Assises en équipe autour de la table. Il est 13h15 et la relève arrivera d'ici 15 minutes. J'entends le "ding" du micro-ondes et me lève pour aller y récupérer mon tupperware. L'aide-soignante m'interpelle "si tu vas en cuisine, tu peux me rapporter un fromage s'il te plaît, y'en a plein le frigo". Je lui réponds une phrase du genre "ok mais c'est bien parce que c'est toi" mais je ne dois être guère convaincante puisque aussitôt ma commande se voit augmenter d'une cuillère à café pour ma collègue infirmière et d'un fruit pour l'ASH

Mes lasagnes de légumes préparées la veille sont appétissantes bien que tout juste tiède. Hey Suzie Q. 1min30 au micro-ondes, c'est trop peu, note ça dans un coin de ta tête. Et tandis que je regagne tranquillement la table avec la liste de courses complétée, c'est le sujet le plus inadapté mais pourtant le plus récurrent qui s'y invite me grillant la politesse au passage. Et je ne suis pas encore assise que lui semble s'y être déjà bien installé tant les échanges fusent à son propos. Oui il s'agit du transit de nos patients, ce putain de transit qui a le chic - à défaut du charme - de venir ruiner nos repas. Je ne sais qui a lancé le sujet mais à coup sûr, cette pensée aurait dû à jamais rester à l'état de pensée. Mais merde alors, à quoi bon la verbaliser car maintenant va falloir faire avec... entre rire et dégoût. Oui entre rire et dégoût car aux éléments factuels intiaux (Monsieur Untel est constipé, Madame Untel à de fausses diarrhées etc...) on bascule très - trop? - rapidement dans une surenchère aussi exhaustive dans ses détails qu'elle est dégoûtante dans ses exagérations. Et si j'arrive dans un premier temps à focaliser mon attention sur mes lasagnes, il me devient de plus en plus compliquer de la maintenir dessus quand les descriptions des scènes grands lavements se font entendre. Et quand l'on pense que c'est terminé, il y a toujours quelqu'un - typiquement celui qui jusqu'alors n'a rien dit - qui aborde avec moult détails la technicité de l'évacuation manuelle des selles.*

Alors oui, on en est là. On en est là quand un patient vient frapper à la porte. Une fois, deux fois, trois fois. Tout le monde l'entend, personne ne répond. Une minute passe et - la porte n'étant pas fermée à clé - c'est finalement lui qui - désespéré de nous entendre rire mais de n'avoir aucune réponse - l'ouvre. Le fou rire de Nadège - ma collègue du jour - s'interrompt aussitôt. Elle le toise du regard et lui lance "on ne vous a pas dit d'entrer, vous voyez bien qu'on mange!

Lui sans se décontenancer répond "ben oui j'vois ça mais comment je fais pour sortir moi". 
- Et bien vous attendez... Vous pouvez ben patienter 5 minutes qu'on termine. 
- Ok, ok. Mais comme c'est écrit que les sorties sont possibles à partir de 13h15...
- Oui peut-être mais bon vous voyez bien qu'on vient de se poser. ça fait à peine 5 minutes qu'on est là, alors vous pouvez bien attendre quelques minutes. Et puis vous, c'est systématique, faut toujours que vous fassiez vos demandes quand on se pose!
- Pfff... Et ben dis donc, c'est bien compliqué ici. Mais comme vous semblez avoir envie de me tirer dessus, peut-être pourriez-vous dégainer votre trousseau de clés pour me l'ouvrir cette porte.
- N'importe quoi j'vous tire pas dessus! En tout cas c'est pas en me parlant comme ça que je vais l'ouvrir la porte. Alors maintenant vous sortez s'il vous plaît et vous...

C'est à cet instant que j'interviens.
- Laisse tomber Nadège, j'ai terminé mon repas, je vais y aller. 
Et c'est sans attendre sa réponse que je me lève et accompagne le patient vers la sortie.

Nous sommes face à la porte. 
- Donc c'est vous qui dégainez finalement. Merci.
- C'est étrange ce verbe que vous employez non?
- bah j'dis ça comme ça pour déconner dit-il en s'éclipsant vers le parc de l'hôpital, me laissant seule face à cette interrogation.

Dégainer. Aussitôt l'emploi de ce terme m'a renvoyé à mon premier jour sur l'établissement. Jour où dans le bureau du cadre supérieur de santé, celui-ci, m'avait dans un instant au combien solennel remis mon trousseau de clés. Avez vous déjà vu l'un de ses films américains ou le jeune flic intègre un commissariat et ou lui remet son arme et son badge? Non? Sûr? Alors vous avez forcément en tête ces scènes dramatiques où ce même flic après une bévue ou une injustice se voit contraint - ô déshonneur - de rendre son arme et son badge? "John, vous êtes suspendu du NYPD" ça marche aussi avec "Michael, pose ton badge et ton arme sur mon bureau, je te suspend de tes fonction au sein du LAPD". Ah je savais que ça, ça allait vous parler! Et bien dans ce bureau décrépit et impersonnel, bureau qui transpirait la misère financière de la fonction publique hospitalière c'est la seule image qui me vint.

Ce jour-là il m'avait tenu un discours assez surréaliste qui - excusez-moi mes souvenirs sont un peu confus - donnait quelque chose comme ça:

- Je suis le détenteur des clés Suzie Q. Et je vous en confie un trousseau. Prenez en soin et surtout ne le perdez pas. Quand vous ne travaillez pas, garder le en sécurité. Et quand vous travaillez faites en sorte qu'il reste toujours sur vous. Un trousseau égaré, c'est un trousseau dans les mains d'un patient. Et un trousseau dans les mains d'un patient, c'est une partie de notre pouvoir qui nous échappe. 
- Compris chef.
- J'espère.
- ... ça fait beaucoup de clés. C'est l'hôpital Trousseau ou quoi?
- Drôle, très drôle, Mlle Q. 17, il y en a 17. Des petites, des grosses, des simples et des sécurisées. Aujourd'hui vous ne savez pas ce qu'elles ouvrent et je ne vais rien vous dire à ce sujet. 
- Ah ben c'est pas pratique...
- Mais quand tout à l'heure vous sortirez de mon bureau vous allez découvrir l'hôpital. Chacune des clés vous révélera une partie de ses secrets. 
- ça fait froid dans le dos.
- et pourtant... Chaque clés ouvre une porte derrière laquelle se cache des mystères liés à une histoire vieille de plus de 200 ans.
- C'est pas vrai n'est-ce pas, vous me faites marcher non?
- Oui oui je vous fais marcher, mais que voulez-vous, j'aime bien donner un caractère quelque peu sacré à cette remise de clés.
- Et bien, c'est réussi!
- Vous savez, Suzie Q, un  jour viendra où chaque agent aura dans sa poche une carte unique, une carte numérique, une carte qui remplacera les clés de cet hôpital... Et bien j'appréhende ce jour. Ces bruits de serrures, ces bruits de clés qui s'entrechoquent, ces bruits qui rythment les journées disparaîtront avec les clés et ce sera comme un pan de l'histoire de cet endroit qui s'effondrera...
- Je n'y ai jamais pensé
- Bon en attendant, signez ici le registre de remise des clés, s'il vous plaît.

Voilà. Dégainer, quoi. Quand je l'écris ça ne fait pas très flic c'est vrai mais ce jour-là c'est bien ce à quoi que j'avais pensé. Alors au-delà de cette anecdote, y a-t-il des similitudes entre les forces de l'ordre et les soignants psy? Bon, on accomplit les uns comme les autres une mission de service publique mais hormis ça? Je ne sais pas, j'imagine que non même s'il m'arrive de voir parfois des IDE agir en cow-boy j'ose penser que c'est une minorité. Et puis on peut penser que chez les flics il y en a aussi qui se font montrer du doigt pour être trop dans la prévention et pas assez dans la répression. (NPMM&I**: notions à approfondir lors d'un prochain billet "flics-IDE-soin-répression-points de convergence et de divergence")

L'irruption de mes collègues d'après-midi signe le retour à quai du bateau Suzie Q. Fini de dériver, on rentre au port. On s'embrasse rapidement et elles poursuivent leur route direction le bureau infirmiers pour les transmissions. "Je vous y rejoins dans un instant, faut que je débarrasse ma table."

De retour en salle à manger, Nadège ne m'adresse par un regard. Chacune range son coin de table et c'est dans une ambiance étonnamment glaciale que l'on quitte cette pièce. 

Si vous bossez en psy, vous n'êtes pas sans savoir le rôle prépondérant qu'ont les couloirs de nos institutions. Leur rôle est bien plus important que la simple mission de desservir les pièces d'un bâtiment et permettre la circulation des personnes qui les fréquente. Le couloir à l'HP, c'est l'espace imprévu, l'entre-deux du soin. Souvent non-officiel il est régulièrement choisi par nombre de patients pour y délivrer des infos qu'ils n'ont pas souhaité donner dans un bureau d'entretien ou une salle de soin. dans le couloir, Ce qui est dit a un caractère officieux mais n'en demeure pas moins vrai. Et ce qui marche pour les soignés allait à présent marcher pour les soignants comme Nadège m'en fit la démonstration tandis que ce couloir nous menait en salle de trans.

Mais ça, ce sera pour le prochain billet! 


* si vous voulez allez plus loin sur le sujet du caca et impressionner vos collègues à table, je vous conseille cette excellente vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=ybs-qaUKb_k



**NPMM&I acronyme de Note pour Me Myself & I





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire